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Harvard attaquée par les « ultra-conservateurs »? Vraiment?

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Mardi dernier, Claudine Guay, la présidente de la célèbre université américaine Harvard, s’est résignée à donner sa démission. Cette décision faisait suite à des nombreuses controverses, notamment son passage à une audition du congrès américain où elle aurait affirmé qu’appeler au génocide des juifs ne violait pas nécessairement les règlements du campus, ainsi que des allégations subséquentes de plagiat.

Malgré l’effet bombe dans l’opinion publique américaine et l’évidence déconcertante des raisons ayant mené à cet outrage populaire, la couverture médiatique – particulièrement francophone – présente l’histoire de manière quelque peu euphémisée, renvoyant la responsabilité de cette démission aux « ultra-conservateurs » américains et à une campagne de salissage et d’acharnement.

Il faut le faire. Un énième exemple de sphères académiques défendant l’indéfendable et tombant dans le déni et la victimisation dès qu’on les rappelle à l’ordre.

Notons que Claudine Guay était la première femme noire à diriger Harvard et n’était en poste que depuis juillet dernier, ce qui fait de son mandat le plus court de l’histoire de l’institution. Elle était aussi professeure de science politique, un domaine hautement propice aux débats en 2023 ; autant d’éléments apportant une teneur politique à l’exercice de ses fonctions en une époque de crise de confiance envers les cercles académiques.

Sur France24, Sébastien Seibt consolide cette théorie d’un complot ultra-conservateur, et va même jusqu’à échafauder une théorie frôlant le complotisme en attribuant pratiquement l’entièreté de cette controverse au militantisme « d’extrême-droite » de Christopher Rufo :

Les médias plus traditionnels, du New York Times au Washington Post, insistent tous sur le rôle joué par cet activiste d’extrême droite dans la chute de Claudine Gay, qui a démissionné de son poste de directrice de la célèbre université de Harvard. […] Pour Christopher Rufo et d’autres, le faux pas de Claudine Gay “a été l’ouverture tant attendue pour initier leur campagne contre un symbole de tout ce qui ne va pas à leurs yeux dans le système universitaire américain”, explique Thomas Gift, directeur du Centre d’études de la politique des États-Unis à l’University College de Londres. […] C’est Christopher Rufo qui, avec le journaliste ultra-conservateur Christopher Brunet, a lancé le 10 décembre, sur Twitter, les accusations de plagiat à l’encontre de Claudine Gay.

Sébastien Seibt résume – dans une démagogie digne de ce qu’il condamne – la « bête noire » de Rufo : « le système éducatif américain serait aux mains de dangereux gauchistes. »

Il n’y a donc absolument aucun examen de conscience. À les entendre, Harvard et les milieux académiques « can do no wrong » ; ils sont sans faille et toutes controverses sont nécessairement le fruit d’une pression externe prédatrice. Même lorsqu’il s’agit d’une présidente minimisant des appels au génocide!

Seibt cherche tellement à trouver un méchant conservateur dans cette histoire qu’il va même jusqu’à faire de Rufo une sorte de légende incontournable de la droite américaine. En titrant un paragraphe « Un avant et un après Christopher Rufo », il élabore la théorie selon laquelle Rufo serait à l’origine de la remise en question de la « critical race theory » à partir de 2020… Une telle ineptie ferait rire si ce n’était pas si grave ; tous les gens ayant le moindrement suivi la politique américaine dans la dernière décennie savent que la critique sévère qui est faite à cette théorie académique était déjà très bien implanté dès 2016 au moins et constituait l’un des grands thèmes de la présidence Trump (qui avait banni son enseignement dans les écoles)!

Diantre! Même au Québec, les débats autour de cette théorie qu’on appelle « racisme systémique » précèdent 2020! Et personne ne connaît Rufo ici. De toute évidence, Seibt ne connaît pas grand-chose aux milieux militants conservateurs, et sa prise de connaissance tardive semble avoir un effet de loupe sur des personnalités aléatoires d’un enjeu qui le surpasse largement.

Maintenant, au Québec, l’essentiel de nos journaux ne font que reprendre des articles des agences de presse françaises, et s’ils ne vont pas jusqu’à élaborer de théories farfelues comme le journaliste de France24, on observe quand même un immense accent mis sur les complaintes de Claudine Guay, qui attribue sa chute à une campagne de diffamation : « Il a été compliqué de voir le doute planer quant à mes engagements à faire face à la haine et à respecter la rigueur académique… et effrayant de faire l’objet d’attaques personnelles et de menaces alimentées par du racisme », expliquait notamment Guay dans sa lettre de démission.

Et ce genre d’affirmations à l’emporte-pièce s’accumulent sur près de la moitié des articles.

Un gros accent, aussi, est mis sur l’explication de la position de Guay lors de son passage au congrès. Dans une condescendance à peine voilée, on se voit expliquer en quoi défendre l’expression d’idées génocidaires contre les juifs « dépend du contexte » et comment une petite ambiguïté autour du concept d’Intifada a pu mener à ce faux pas de la présidente. Si la républicaine Elise Stefanik a bel et bien défini l’Intifada comme intrinsèquement génocidaire au début de sa série de question, ce qui est questionnable, il demeure évident que sa question subséquente sur l’expression d’idées génocidaires sur les campus était très, très claire et pouvait être répondu par un simple oui ou non.

Enfin, si cette démission – qui a suivi celle d’Elizabeth Magill, présidente de l’Université de Pennsylvanie – peut être vue comme une victoire des milieux conservateurs contre les sphères académiques postmodernistes, la couverture médiatique et la réaction de ces mêmes cercles académiques démontrent que l’obstination et le refus de faire un examen de conscience demeure très fort dans ces milieux, et qu’à chaque retour raisonnable du balancier, on en profite pour taper sur une extrême-droite fantasmée qui n’existe que dans la tête des militants de gauche.

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