Chaque troisième lundi de mai, le Québec célèbre la Journée nationale des Patriotes, en mémoire des hommes et des femmes qui, en 1837-1838, ont lutté pour la démocratie, la justice sociale et l’autonomie politique du Bas-Canada. Parmi les symboles les plus puissants de cette commémoration figure Le Vieux de ’37, une illustration d’Henri Julien devenue une icône de la mémoire collective québécoise.
Henri Julien (1852-1908), caricaturiste et illustrateur québécois, a marqué l’histoire de l’art au Canada par ses représentations vivantes de la culture et des luttes de son peuple. Son œuvre Le Vieux de ’37 incarne l’esprit de résistance et le souvenir des Patriotes, offrant une image saisissante de l’engagement pour la liberté et la justice.
Henri Julien : parcours d’un pionnier
Henri Julien, né le 14 mai 1852 dans le faubourg Saint-Roch à Québec, grandit au sein d’une famille profondément ancrée dans le monde de l’imprimerie. Son père, Henri Julien, était tourneur pour une presse mécanique, et ses frères, Émile et Télesphore, devinrent respectivement imprimeur et graveur . Dès son jeune âge, Henri manifeste un talent certain pour le dessin, qu’il développe de manière autodidacte. En 1869, il débute sa carrière en tant qu’apprenti-graveur pour une imprimerie, avant de travailler pour l’imprimerie Desbarats de 1869 à 1888 .
En 1874, Julien accompagne une expédition de la Police montée du Nord-Ouest jusqu’aux contreforts des montagnes Rocheuses. Ses dessins, publiés dans L’Opinion publique entre juillet 1874 et février 1875, témoignent de cette aventure et marquent une étape importante dans sa maturation artistique. Cette expérience renforce sa confiance en lui et le positionne comme un caricaturiste de renom.

En 1888, il devient directeur artistique du Montreal Daily Star, faisant de lui le premier caricaturiste de presse à temps plein au Canada. Pendant 22 ans, il illustre des événements historiques, des scènes parlementaires et des caricatures politiques, tout en continuant à produire des œuvres inspirées de la culture québécoise. Parmi ses illustrations marquantes figurent celles de La Chasse-galerie et des Légendes du Nord-Ouest, qui témoignent de son attachement aux traditions et au folklore de son peuple.
Genèse de Le Vieux de ’37
Le Vieux de ’37 trouve son origine dans une collaboration entre Henri Julien et le poète Louis-Honoré Fréchette. Vers 1880, Julien crée une illustration pour accompagner le poème Le Vieux Patriote, publié dans le recueil La Légende d’un peuple en 1887. Cette première version en noir et blanc représente un vieil homme armé, vêtu d’une tuque et d’une ceinture fléchée, incarnant la mémoire vivante des rébellions de 1837-1838. L’illustration visait à renforcer le message du poème, qui évoque la transmission des idéaux patriotiques aux générations futures.

Au début du XXe siècle, Henri Julien revisite son œuvre en réalisant une version en couleur, utilisant des techniques telles que l’aquarelle et la gouache. Cette nouvelle interprétation, datée de 1904, est le fruit d’une commande du colonel Arthur Mignault, petit-fils d’un patriote ayant participé à la bataille de Saint-Denis. Mignault souhaitait rendre hommage à son aïeul et aux idéaux des Patriotes. La peinture, intitulée Le Patriote, représente un homme déterminé, prêt à défendre ses convictions.
La version de 1904 de Le Vieux de ’37 est devenue une icône culturelle au Québec. Elle a été largement diffusée, notamment lors de la Journée nationale des Patriotes, et a inspiré de nombreuses représentations artistiques et politiques. L’œuvre incarne la résilience et la fierté du peuple québécois, rappelant l’importance de la mémoire historique dans la construction de l’identité collective.
Réception et postérité
Depuis sa création, Le Vieux de ’37 d’Henri Julien a transcendé son statut d’illustration pour devenir un symbole puissant de la mémoire collective québécoise. Initialement conçu pour accompagner le poème Le Vieux Patriote de Louis Fréchette, l’image a rapidement acquis une vie propre, incarnant la résilience et l’identité du peuple canadien-français. Son adoption par divers mouvements sociaux et politiques témoigne de sa portée et de sa signification profondes.
Dans les années 1960 et 1970, l’œuvre a été réappropriée par le Front de libération du Québec (FLQ), qui l’a utilisée sur des tracts et des communiqués pour symboliser la lutte pour l’indépendance du Québec. Cette utilisation a renforcé l’association de l’image avec la résistance et la quête de justice sociale. Par la suite, Le Vieux de ’37 est devenu un emblème récurrent lors de la Journée nationale des Patriotes, célébrée chaque année au Québec pour honorer ceux qui ont combattu pour la démocratie et la liberté.
Au fil des décennies, l’image a été reproduite sur divers supports, allant des affiches aux objets commémoratifs, et a inspiré de nombreux artistes contemporains. Par exemple, l’artiste Roger Thiffault a créé une œuvre intitulée Enraciné, représentant Le Vieux de ’37 fusionné avec un arbre, symbolisant l’enracinement profond des valeurs patriotiques dans la culture québécoise. Cette réinterprétation souligne la manière dont l’image continue d’évoluer tout en conservant sa signification originelle.
Aujourd’hui, Le Vieux de ’37 demeure une figure emblématique du patrimoine québécois, rappelant l’importance de la mémoire historique et de la transmission des valeurs de courage, de détermination et de solidarité. Son impact perdure, inspirant les générations actuelles à se souvenir et à célébrer l’héritage des Patriotes.
L’héritage vivant du Vieux de ’37
La figure du Vieux de ’37, immortalisée par Henri Julien, dépasse largement le cadre de l’illustration pour s’inscrire au cœur de l’imaginaire collectif québécois. En incarnant un patriote vieilli mais toujours debout, armé et résolu, l’œuvre rappelle que la mémoire des luttes du passé reste vivante et qu’elle façonne toujours l’identité contemporaine. À travers le regard déterminé de ce personnage, c’est tout un peuple qui se reconnaît dans l’héritage de la résistance et de la volonté de justice.
Henri Julien, par sa carrière exceptionnelle de caricaturiste, d’illustrateur et d’observateur de la société, a su créer des images puissantes et durables. Il fut non seulement un pionnier dans le domaine de la presse visuelle canadienne, mais aussi un passeur de culture et d’histoire. Son talent pour condenser, en un seul dessin, des siècles de mémoire et d’émotion populaire, fait de lui une figure majeure de l’art québécois et canadien.
En cette Journée nationale des Patriotes, le Vieux de ’37 réapparaît sur les murs, dans les rassemblements, sur les bannières et dans les esprits. Il nous rappelle que derrière les luttes pour la démocratie, l’égalité et la liberté se trouvent des hommes et des femmes, souvent oubliés, dont le courage résonne encore. Grâce à l’art d’Henri Julien, ces voix continuent de parler, de résister, et d’inspirer.