À chaque printemps, au Québec, la police lance des opérations pour « envoyer un message » par rapport à une multitude de comportements assez banals, comme les « partys » dans les parcs, les casques sur les vélos électriques, les gens perchés sur les murailles, à Québec… Autrement dit, à chaque printemps, alors que la population se sent revivre et célèbre le retour de l’été, la police joue les casseux de partys et s’assure d’étouffer le plus possible la vie sociale organique.
Une société vieillissante
À la défense des policiers, il y a une pression des citoyens eux-mêmes pour réduire nos parcs au silence. La société est vieillissante et de moins en moins tolérante de l’agitation des jeunes.
Autrement dit, on a des boomers qui passent leur temps à ressasser leur jeunesse folle dans les années 60-70, qui désormais passent leur temps à appeler la police au moindre rassemblement d’ados dans des parcs. « Ils font trop de bruit », « ils boivent », « ils prennent toute la place », etc. Il y a toujours une raison, mais ce qu’on remarque, au bout du compte, c’est qu’il n’y a qu’une seule manière de vivre en société selon eux : la leur. Et elle implique de souper à 5 heures et de se coucher à 9h.
C’est ça, le Québec moderne : des parcs vides, des vieux grincheux qui veulent dormir et des jeunes qui n’ont rien d’autre que leurs écrans pour passer le temps. Une véritable société gériatrique.
On est loin de « l’esprit latin » et européen qu’on tente parfois d’attribuer aux Canadiens français. Ou en tout cas, cette ardeur de vivre semble rapidement s’éteindre…
Un « modèle européen » quand ça nous chante
En effet, on passe notre temps à vanter le « modèle européen » quand vient le temps de parler de transport : on veut des rues piétonnes, des places publiques « à échelle humaine », un meilleur couplage résidentiel/commercial, etc. Mais dans tout ça, le gros angle mort, c’est à quel point notre culture est diamétralement opposée à celle de l’Europe au sujet de l’utilisation des lieux publics par les citoyens.
Alors que l’alcool et les célébrations en public sont extrêmement contrôlées au Québec et que les amendes pleuvent contre ceux qui dérogent le moindrement des règles, l’Europe cultive habituellement une plus grande tolérance au regard de ces petits plaisirs urbains. D’une manière générale, on sent une plus grande confiance de l’État envers les citoyens.
Car c’est bien beau avoir des rues piétonnes et de belles places publiques, encore faut-il qu’il y ait quelque chose à faire. C’est pourquoi l’Europe semble si vivante lorsque comparée au Québec : une petite bouteille de rouge et des charcuteries entre amis sur le bord du Canal de la Villette, à Paris… Une petite Heineken sur les marches du Sacré-Coeur… Un petit negroni pour emporter d’un bar de Rome pour déambuler dans les ruelles… Diantre! Même la Turquie, un pays musulman, s’avérait plus tolérante de l’alcool en public lorsque j’ai visité Antalya, sur le bord de la Méditerranée, en 2010. Il règne en Europe un laisser-faire qui fait passer l’Amérique – dont le Québec fait partie – comme extrêmement puritaine sur le sujet.
Et qu’on me comprenne : il existe bel et bien des règlements interdisant l’alcool en public dans certaines villes d’Europe, mais le point, c’est que la tolérance est beaucoup plus élevée.
Nous avons pourtant nos équivalents ici au Québec, qui naissent spontanément malgré la répression. Chaque printemps, les Québécois sortant d’un long et dur hiver aiment se retrouver à l’extérieur pour décompresser. Je donnerai des exemples de ma ville, Québec, mais je suis persuadé qu’il se retrouve des équivalents partout : un pique-nique sur les Plaines d’Abraham au beau soleil, alternant entre le cidre et le frisbee, quelques petites bières perchés sur les murailles, en regardant les gens déambuler sur la Place d’Youville, un petit barbecue entre ami au parc Victoria…
Chaque printemps, les Québécois prennent le risque de s’adonner à ces petits plaisirs… Et chaque année, la police leur donne des amendes et font des rondes pour les disperser…
Et ça ne se limite malheureusement pas qu’aux occurrences aléatoires de ces petites manifestations de plaisir ; on a aussi carrément réprimé les célébrations de la Saint-Jean-Baptiste, qui était la seule exception à cette règle, où les Québécois pouvaient festoyer à leur guise l’espace d’une soirée sur les plaines d’Abraham. Il peut déjà y avoir des arguments légitimes contre la consommation d’alcool en public en temps normal ; mais laisser les autorités empêcher les gens de célébrer leur nation comme ils l’entendent montre bien à quel point nous sommes devenus dociles.
Une mode post-pandémique
En 2021, la pandémie et les règles de confinement ont poussé beaucoup de gens à renouer avec ces plaisirs urbains puisque c’était la seule manière de se rassembler entre amis. Les services de police s’étaient aussi montrés beaucoup plus tolérants de l’ambiance de fête qui en émergeait. Pour être honnête, la vitalité qui se dégageait des parcs en cette période était probablement la seule chose de positive à sortir de cette foutue pandémie ; j’en garde de précieux souvenirs.
Mais cette belle tendance née de la pandémie, que les jeunes semblent perpétuer à chaque printemps depuis, est désormais sujet de controverses. Selon les autorités, le party a assez duré. Quelle tristesse quand même, pour ces jeunes qui ont perdu leurs premières années de la vingtaine, enfermés chez eux à double tour, de se voir désormais éjectés des parcs…
Les casques à vélo
La pandémie a aussi révélé l’obsession sécuritaire au Québec. On a beaucoup souligné cette « culture du risque zéro » qui a fait en sorte que nous avons été soumis aux pires mesures de confinement en Amérique du Nord. On voit un peu cette tendance avec les récentes campagnes de la police pour forcer le port du casque sur les vélos électriques en ville.
Encore une fois, la police mobilise des effectifs pour donner des amendes en série à ceux qui pédalent les cheveux dans le vent, ce qui fait en sorte que certains organismes faisant la promotion du transport actif leur demandent plus de tolérance.
Car si l’objectif est d’encourager le plus possible les gens à abandonner leurs voitures au profit du vélo, avec des services comme le Bixi à Montréal ou ÀVélo à Québec, l’imposition du port du casque pourra en décourager plus d’un.
L’argument de la sécurité est compris par tous, mais l’obligation du port du casque réduit significativement la flexibilité de ce mode de transport. On veut que les gens puissent l’utiliser, vaquer à leurs occupations, prendre un autre vélo pour se rendre ailleurs, etc. Mais la chose est très différente si ça implique de s’encombrer toute la journée avec un casque. Le fait de ne pas en avoir ne devrait pas forcer les gens à utiliser un moyen de transport polluant.
Une solution proposée est de réduire la vitesse des vélos électrique, qui est de 30 km/h en ce moment, à 25km/h… mais encore là, ça crée un effet dissuasif ; l’un des point majeurs relevés par les gens qui utilisent le service étant que les vélos sont très rapides et donc un moyen de transport efficace.
On se retrouve donc un peu dans le même genre d’impasse où la liberté individuelle et l’obsession sécuritaire de l’État s’entrechoquent.
Une question de priorité
Il s’avère évidemment un peu délicat de défendre la consommation d’alcool en public et le fait de ne pas porter de casque ; on pressent déjà les répliques culpabilisantes qui ferait de nos propos une admission que l’alcool est essentielle pour avoir du plaisir, ou que la sécurité des gens à vélo n’est pas importante. Mais là n’est pas le point. Le point, c’est que ce n’est pas à l’État de choisir pour les citoyens. Si quelqu’un veut relaxer avec une bière au soleil en admirant la beauté de sa ville, s’il veut repartir léger, sans casque avec un vélo électrique, il ne devrait jamais en être empêché ou mis à l’amende.
Surtout que dans un contexte d’augmentation de l’itinérance, de la criminalité et de la prise de drogues dures en public partout au pays, il est légitime de se demander si nos corps de police ont les priorités aux bonnes places.
Au lieu de chasser les ados fêtards des parcs comme des indésirables, pourrions-nous simplement leur apprendre à être responsables? Une permission sous condition est toujours plus efficace qu’une interdiction claire qui sera de toute façon contournée.
Les jeunes chassés se trouveront toujours un nouveau lieu caché, et ils auront plus tendance à jeter leurs déchets partout pour les cacher plutôt que de simplement les mettre à la poubelle. En effet, la majorité des canettes de bières lancées dans des buissons sont une manière de « cacher les preuves » en raison de nos lois trop sévères.
Faites le test : permettez-leur de festoyer sous condition de bien se ramasser et de se disperser après 23h… et gageons que vous retrouverez le parc plus propre qu’à leur arrivée! Par sentiment de gratitude, c’est bien souvent ce qui se passe lorsque la police se permet d’être magnanime. C’est ainsi qu’on crée une culture responsable et respectueuse dans les lieux publics, pas en infantilisant les gens et en les traitant comme des criminels et des vandales pour avoir voulu célébrer le printemps entre amis.
De toute façon, nous avons déjà des règlements appropriés pour l’ivresse publique ou les troubles à l’ordre public en cas de dérapages grave ; nous n’avons pas besoin d’interdire la consommation en tant que telle.
Bref, pourrions-nous arrêter de policer la vie sociale à outrance comme des puritains invétérés et laisser la police s’occuper de vrais enjeux?