Alors que l’on commémore aujourd’hui le 6 juin 1944, date historique du Débarquement de Normandie, il est bon de rappeler que c’est bien en sol québécois que les grandes lignes de cette opération furent tracées. Moins de dix mois avant que les plages d’Utah, Omaha, Gold, Juno et Sword ne soient gravées dans l’histoire, c’est dans le huis clos feutré du Château Frontenac et de la Citadelle que les chefs alliés ont donné leur feu vert au plan qui allait libérer l’Europe.
Québec, centre stratégique du monde libre
Du 17 au 24 août 1943, Québec devient l’épicentre diplomatique de la planète. Winston Churchill, Franklin D. Roosevelt et William Lyon Mackenzie King s’y rencontrent dans une atmosphère de haute tension militaire et géopolitique. L’événement est gardé secret jusqu’à la fin, les citoyens ignorent presque tout de ce qui se trame derrière les murs de leur propre capitale. Le premier ministre canadien, Mackenzie King, joue un rôle secondaire, mais non négligeable : il accueille, héberge, et observe avec fierté deux géants du XXe siècle se disputer le sort du monde sur ses terres.
L’opération Overlord : la Normandie décidée à Québec
L’objectif principal de cette conférence — nom de code QUADRANT — est clair : déterminer quand et comment ouvrir un second front en Europe. Staline, à Moscou, presse depuis des mois ses alliés occidentaux de lancer une offensive qui soulagerait la pression sur l’Armée rouge, aux prises avec la Wehrmacht sur le front de l’Est.
C’est à Québec que l’opération Overlord est finalisée : un débarquement en France, prévu pour mai 1944 (et repoussé finalement au 6 juin en raison de la météo). Le site choisi sera la Normandie. L’accord est difficile. Roosevelt, prudent, veut un engagement massif et préparé. Churchill, méfiant, privilégie encore l’approche méditerranéenne. Mais les généraux américains finissent par l’emporter. L’issue de la guerre se jouera sur les plages françaises — et cette décision, rappelons-le, a été prise en plein cœur du Vieux-Québec.
L’autre bombe : le nucléaire en coulisses
Moins connu du grand public, un autre accord signé à Québec aura des conséquences tout aussi lourdes pour l’histoire : l’Accord de Québec du 19 août 1943, par lequel les États-Unis et le Royaume-Uni unissent officiellement leurs efforts dans la conception de l’arme nucléaire.
Roosevelt et Churchill scellent leur alliance atomique dans le plus grand secret. Le Canada, bien que présent géographiquement, n’est pas invité à signer. Pourtant, il fournit une part essentielle des ressources — uranium de la Saskatchewan, eau lourde de Shawinigan — et participe activement aux travaux scientifiques.
L’accord prévoit notamment que ni les États-Unis ni la Grande-Bretagne n’utiliseront la bombe sans l’accord de l’autre. Cet engagement solennel — qui sera contourné plus tard à l’insu des Canadiens — montre à quel point la guerre se joue aussi dans les laboratoires et les alcôves feutrées de la diplomatie scientifique.
Anecdotes d’un sommet secret
L’austérité militaire n’empêchait pas quelques épisodes rocambolesques. Un sergent canadien, Émile Couture, découvre un jour une serviette oubliée par un officier américain à la Citadelle. À l’intérieur : des plans détaillés de l’opération Overlord. Couture, discipliné, remet immédiatement le tout à ses supérieurs. L’affaire ne fuitera jamais — mais les mesures de sécurité sont renforcées dès le lendemain.
Churchill, fidèle à son excentricité légendaire, exige qu’un bain froid soit aménagé dans le fleuve Saint-Laurent, au pied de la Citadelle. On le voit aussi arpenter les corridors en peignoir, un cigare à la bouche, déclamant des tirades improvisées à ses aides de camp.
Pendant ce temps, le général américain George C. Marshall, figure austère et méthodique, incarne la rigueur du Pentagone. Il ne sourit pas, mais il gagne le débat stratégique sur le terrain d’Overlord.
Une semaine décisive, une ville oubliée
L’histoire retiendra le 6 juin comme le jour du Débarquement. Mais l’histoire québécoise doit aussi retenir que cette date est née, en partie, à Québec. C’est dans une ville fortifiée, ancienne capitale du continent français, que le monde libre a tracé les lignes de son offensive finale contre la tyrannie nazie.
Aujourd’hui, peu de plaques ou monuments rappellent cet épisode fondateur. Et pourtant, pendant une semaine, Québec a été — littéralement — le centre nerveux du destin du monde.