Suite à la hausse de la taxe carbone par le gouvernement fédéral le 1ᵉʳ avril dernier, de nombreuses manifestations ont éclaté partout dans le Canada anglais. Cette politique est un point de contentieux important entre les libéraux de Justin Trudeau, les conservateurs de Pierre Poilievre et les gouvernements provinciaux qui y sont assujettis. Cette taxe ne s’appliquant pas au Québec, qui a plutôt intégré la Western Climate Initiative – une bourse du carbone -, on entend souvent les Québécois dire que la taxe carbone ne les concerne pas. Est-ce vraiment le cas?
D’abord, il faut dire que la tarification du carbone mise en place par le gouvernement Trudeau est particulièrement complexe et son explication à la population s’est avérée jusqu’à maintenant un échec. Il faut comprendre que les provinces peuvent opter pour mettre en place elles-même leur système de tarification du carbone. Sinon, elle doivent se soumettre au système fédéral. Dans tous les cas, le fédéral fixe des normes nationales minimales auxquelles les systèmes provinciaux doivent s’ajuster. C’est pour cela que le Québec, qui participait déjà à la bourse du carbone avec la Californie, l’Arizona, l’État de Washington, le Nouveau-Mexique et la Nouvelle-Écosse est exempté du système fédéral.
Le modèle mis en place par le gouvernement Trudeau fonctionne de deux manières ; d’abord, la collection d’une taxe à la consommation d’hydrocarbures, qui concerne principalement les particuliers qui consomment des hydrocarbures pour leur transport ou leur chauffage résidentiel, et ensuite, une tarification de la pollution pour l’industrie. Dans le cadre de cette dernière, le fédéral fixe des normes de rendements pour l’industrie ; les entreprises qui dépassent le niveau d’émission fixé par cette norme doivent payer, tandis que celles qui émettent moins de GES reçoivent des crédits qu’elles peuvent ensuite revendre aux industries polluantes – un peu à la manière de la bourse carbone.
En théorie, une grande proportion de l’argent accumulée par ces tarifications est réinvestie dans les technologies vertes ou redistribuée aux entreprises et particuliers sous forme de remise de taxes. Le gouvernement affirme donc que 8 canadiens sur 10 dans les provinces soumis à la taxe carbone recevront plus en redevances que ce qu’ils auront payé. Mais l’origine de ces remises n’étant pas toujours claire, beaucoup de Canadiens n’ont pas l’impression de les recevoir. Par exemple, c’était le cas pour 42% des Ontariens.
Pour ce qui est des Québécois, ils ne reçoivent pas de redevances sur les recettes accumulées dans la bourse du carbone ; l’entièreté de celles-ci étant versées dans le Fonds d’électrification et de changements climatiques afin de financer le développement des technologies vertes.
Maintenant, si le fédéral tente de se faire rassurant en limitant son analyse essentiellement à ce que les contribuables paient vs ce qu’ils reçoivent en redevances, et s’il est vrai qu’à ce sujet, le Québec n’est pas concerné par ces tarifications, il ne faut pas oublier que celles-ci ont des impacts sur l’économie dans son ensemble, et particulièrement sur la chaîne d’approvisionnement, qui dépend largement des hydrocarbures.
Il est essentiel de prendre en considération l’impact de cette taxe sur le prix des produits de consommation, particulièrement dans une période inflationniste comme celle qu’on vit en ce moment. Les effets de cette remise allant de 200$ à 450$ par trimestre – et qui pousse le gouvernement à dire que les contribuables ont tout à gagner dans cette législation – sont nettement atténués lorsqu’on prend en compte la flambée des prix pour les denrées essentielles.
Et pour ce qui est du Québec – dont les citoyens ne reçoivent carrément pas de remise – l’impact sur les prix se fait quand même sentir.
Le principal problème de la tarification du carbone, c’est qu’il y a un effet d’accumulation des taxes dans la chaîne d’approvisionnement : chaque étape, entre la production et les tablettes des commerces, est tarifée.
Prenons l’exemple banal d’une barre tendre. Il faut savoir qu’heureusement, les activités agricoles sont exemptées de la taxe carbone. Ainsi, toute l’essence, le diesel ou le propane utilisé par de la machinerie agricole n’est pas taxé. Ça vaut aussi pour les émanations biologiques, comme les gaz que produisent les vaches. Cela dit, à partir du moment où le grain quitte la ferme, la tarification commence.
Ainsi, spéculons un peu sur toutes les tarifications du carbone qui doivent s’appliquer entre le moment ou un grain de céréale quitte la ferme jusqu’au moment de son achat en tant que barre tendre à l’épicerie. D’abord, le camion de transport qui déplace le grain de la ferme jusqu’aux séchoirs à grains ou aux élévateurs à grains sera taxé. Les séchoirs et les élévateurs à grains, qui ne sont étrangement pas exemptés en tant que matériel agricole comme on pourrait le croire, seront aussi taxés. Suite à cela, les grains seront majoritairement acheminés par des trains au diesel, qui seront évidemment taxés. Arrivés à destination, plus près des grands centres, le grain sera momentanément entreposé dans des silos, dont les opérations seront probablement taxées. Ensuite, des camions de transports assureront la livraison du grain entre ces silos et l’usine de barre-tendre qui l’aura commandé. Ce transport sera, évidemment, taxé. Les activités de transformations se déroulant à cette usine ont toutes les chances de nécessiter beaucoup d’énergie et de produire des GES ; et ce sera taxé.
Maintenant ; les barre-tendre nécessitent habituellement un emballage ; il faut donc retourner plus loin dans la chaîne d’approvisionnement. Pour créer cet emballage, la plupart du temps fait de plastique, on aura déjà taxé la compagnie de pétrole ayant extrait les ressources pétro-chimiques, les activités de transports jusqu’à l’usine de transformation, les activités de transformation à l’usine d’emballage en question et le transport des emballages jusqu’à l’usine de barres tendres.
Finalement, lorsque les barres tendres sont prêtes et emballées, elles doivent être transportées dans des entrepôts de distribution. Les transports et les entrepôts seront tous deux taxés. Et enfin, lorsque l’épicerie fera une commande à cet entrepôt, un camion qui sera taxé transportera la cargaison de barres tendres jusque sur les tablettes d’une épicerie qui, selon son mode de chauffage et ses nécessités opérationnelles, sera probablement aussi taxée.
Bref, les impacts de la taxe carbone dépassent largement le simple enjeu de la taxation directe des contribuables ; elle a un impact sur l’ensemble de l’économie canadienne. Ainsi, à moins de consommer 100% québécois, les Québécois paieront bel et bien pour la taxe carbone de manière indirecte. Ce sont tous les produits de consommation canadiens qui sont affectés, et même les produits venant de l’étranger, qui doivent quand même être pris en charge par des compagnies de transport et de distribution à leur arrivée au pays.
La décision du gouvernement fédéral de suspendre cette taxe pour les foyers se chauffant au mazout dans des régions isolées qui en dépendent a engendré un vague de contestation partout au Canada, précisément parce que cet enjeu est loin de se limiter au chauffage résidentiel. D’autant plus que cette suspension avait des airs électoraliste en une période où le Parti libéral chute dans les sondages des provinces atlantiques, qui dépendent beaucoup du mazout. Mais quoiqu’il en soit, les Québécois doivent faire attention avant de se sentir immunisés et d’affirmer ne pas être concernés par la taxe carbone ; la promesse des conservateurs de l’abolir pourrait bel et bien avoir un impact significatif sur leur porte-feuille.