La Californie dont vous rêviez n’existe pas
Santa Monica. Hollywood. Palm Springs. Pour beaucoup, la Californie évoque un rêve américain sous stéroïdes : des collines baignées de soleil, des plages infinies, des gratte-ciel modernes et une culture de la réussite dopée à l’innovation. Mais cette image léchée, vendue depuis des décennies par les films, les clips et les brochures touristiques, s’effondre brutalement. Ce que les écrans ne montrent pas, ce sont les tentes de fortune sur Sunset Boulevard, les seringues dans les parcs publics, la montée de la violence et le climat d’anarchie rampante.
Le 8 juin 2025, le président Trump a ordonné le déploiement de 2 000 membres de la Garde nationale et 700 Marines dans certains secteurs de Los Angeles, ravagés par des émeutes urbaines. Mike Blanchfield, dans un reportage pour l’Associated Press, rapporte que cette intervention fédérale a été imposée sans l’accord du gouverneur Gavin Newsom, déclenchant une crise constitutionnelle. La maire de Los Angeles a dénoncé un « coup de force autoritaire » et déposé un recours devant la Cour suprême.
Mais ce nouveau spasme de violence n’est que la pointe de l’iceberg. Loin d’être un phénomène isolé, il s’inscrit dans un long déclin social, culturel et politique que connaît la Californie depuis plus d’une décennie.
Des émeutes périodiques à l’anarchie institutionnelle
L’histoire californienne récente est jalonnée d’explosions populaires. En 1992, les émeutes de Los Angeles, provoquées par l’acquittement des policiers ayant battu Rodney King, ont fait plus de 50 morts et causé plus d’un milliard de dollars de dégâts. Sous le premier mandat de Donald Trump, les manifestations Black Lives Matter ont dégénéré en violences à Oakland, Portland et LA.
Mais c’est à Seattle et Portland que l’on a vu une véritable bascule idéologique : des zones dites « autonomes », comme la CHAZ (Capitol Hill Autonomous Zone), y ont été proclamées, en rupture totale avec l’autorité publique. Comme le rapporte le Seattle Times, ces zones se sont rapidement transformées en havres de violence, de trafics et de règlements de comptes, avant d’être évacuées dans le chaos.
L’itinérance comme symptôme d’un effondrement urbain
À San Francisco, plus de 8 000 personnes vivent dans la rue. En 2023, on y a enregistré 806 décès liés à la drogue, selon le San Francisco Chronicle. Le Los Angeles Times rapporte que les morts par overdose chez les sans-abri ont doublé depuis 2015. Le fentanyl, méthamphétamine et crack sont consommés au vu et au su de tous, souvent avec des accessoires distribués par des ONG ou des programmes gouvernementaux dans une logique de « réduction des méfaits ».
Au nom d’une approche soi-disant humaniste, les autorités californiennes ont fait de la tolérance extrême un principe de gouvernance. Les politiques de réduction des méfaits sont devenues des politiques de permissivité illimitée : distribution de seringues, de pipes à crack, tolérance envers les injections en public. Selon une enquête de KQED, une majorité d’intervenants en santé communautaire déplorent l’effet paradoxal de ces mesures : elles créent une normalisation de l’usage de drogues dures et n’encouragent plus la réhabilitation.
Une frontière poreuse et l’infiltration des cartels
Le sud de la Californie est situé à moins de 250 kilomètres de la frontière mexicaine. Ce positionnement stratégique — vanté autrefois pour sa richesse commerciale et culturelle — est désormais un handicap sécuritaire majeur. Selon le Los Angeles Times, la frontière californienne est devenue « l’un des corridors de trafic les plus dangereux au monde », traversée chaque jour par des flux incontrôlés de drogues, d’armes et de migrants clandestins. La criminalité transnationale s’est enracinée dans les grandes villes du sud, faisant de Los Angeles un hub logistique pour les cartels, particulièrement actif dans la traite humaine, comme le confirme une enquête du Wall Street Journal.
Face à ce chaos, l’administration Trump a décidé de frapper fort. En novembre 2024, le président a nommé Tom Homan au poste de « Border Czar ». Ancien directeur par intérim de l’ICE sous Obama, Homan est connu pour sa position sans compromis : défenseur des séparations familiales à la frontière qu’il juge dissuasives, partisan de la tolérance zéro, il incarne une vision sécuritaire assumée. Dès sa prise de fonction, il a promis de « rétablir l’ordre à la frontière et dans les villes sanctuaires » — et de tenir tête aux gouvernements locaux jugés complices du chaos migratoire.
Ce durcissement a vite débouché sur des actions concrètes : des raids massifs de l’ICE ont été menés début juin 2025 à Los Angeles, avec plus de 150 arrestations en deux jours. Ces interventions musclées ont provoqué un choc. Des manifestations ont éclaté dans les quartiers ciblés, notamment à East LA et South Central. Le 7 juin, les tensions ont dégénéré en violentes émeutes, avec incendies, affrontements, destructions de commerces et immobilisation de véhicules. Dans plusieurs vidéos circulant sur les réseaux sociaux, on voit des militants incendier des drapeaux américains et bloquer des intersections majeures.
Face au récent envoi de 2 000 soldats de la Garde nationale et de 700 Marines, la maire de Los Angeles, Karen Bass, a dénoncé une « occupation militaire » et attribué les troubles non aux manifestants, mais à « la provocation fédérale ». Newsom, de son côté, a lancé une poursuite constitutionnelle pour contester cette immixtion jugée illégale, invoquant le Posse Comitatus Act et rappelant que seuls les gouverneurs peuvent légalement demander une assistance militaire en l’absence d’insurrection formelle.
Tom Homan, loin de reculer, a au contraire accentué la pression. Dans une déclaration reprise par Fox News, il affirme que « les villes sanctuaires protègent des criminels » et que « chaque jour de laxisme met en danger les citoyens américains ». Il a même évoqué la possibilité de poursuites judiciaires contre les responsables politiques locaux qui feraient obstacle aux opérations fédérales, avant de tempérer, face aux critiques, en disant qu’il s’agissait d’un avertissement symbolique.
Cette politique de fermeté rencontre un soutien croissant dans l’opinion conservatrice, mais aussi dans le grand public américain. À la permissivité des années Newsom succède une logique de confrontation brute : descente de police, justice fédérale expéditive, Garde nationale dans les rues.
Effondrement des services publics sous l’effet du DEI
L’approche DEI (diversity, equity, inclusion) s’est imposée comme un dogme dans les institutions publiques californiennes — y compris les services d’urgence. Le New York Post et la City Journal rapportent que des critères identitaires ont été explicitement priorisés dans le recrutement des pompiers à Los Angeles, reléguant les compétences opérationnelles au second plan. Ce glissement idéologique vers l’égalitarisme symbolique a contribué, selon plusieurs analystes, à affaiblir la cohérence et la performance d’organismes aussi essentiels que le LAFD, dans un contexte où chaque minute peut faire la différence.
Mais les incendies qui ont ravagé Santa Monica début 2025 ne sont pas nés d’une seule erreur. En amont, Gavin Newsom a sabré plus de 100 millions de dollars alloués aux programmes de prévention des feux — un choix lourd de conséquences, alors même qu’il augmentait parallèlement les subventions destinées à des projets « verts » plus symboliques qu’utiles sur le terrain. Les retards dans les coupes de végétation morte, l’inefficacité administrative liée à la surréglementation environnementale, et la baisse constante des effectifs de pompiers depuis 2019 ont amplifié la vulnérabilité des zones boisées.
Lorsque les flammes ont gagné les collines résidentielles, les carences sont apparues de manière flagrante : hydrants vides, manque de personnel formé, lenteur des inspections et des alertes. Le système d’intervention semblait désorganisé, désarmé, presque résigné. Et pendant que les maisons partaient en fumée, l’administration municipale s’empressait de nier toute responsabilité, pointant le climat ou la fatalité.
En réalité, c’est l’ensemble de l’architecture décisionnelle californienne qui est en cause. La priorité donnée à l’affichage identitaire plutôt qu’à l’exigence de résultat, la fuite en avant budgétaire dans les symboles écologiques plutôt que dans l’entretien du réel, et l’érosion de la culture de responsabilité publique ont formé un cocktail explosif. Les feux ne sont pas seulement le produit du climat, mais d’une incurie politique aggravée par l’idéologie. Et la Californie brûle dans l’indifférence hautaine de ceux qui prétendent la gouverner au nom du progrès.
Les universités comme bastions du fanatisme progressiste
En Californie, les universités sont devenues depuis longtemps les incubateurs idéologiques d’un progressisme radical. De Berkeley à UCLA, en passant par UC Davis et UC Irvine, ces établissements publics, autrefois bastions de la liberté académique, sont aujourd’hui à la pointe d’un militantisme post-moderne où l’identité prime sur le savoir. On y exige des « pronoms affirmés » dès l’inscription, on y organise des safe spaces réservés selon la race ou le genre, et on y impose des « diversity statements » obligatoires pour tout poste académique. À l’Université de Californie, on rapporte que jusqu’à 75 % des candidatures à des postes de recherche en physique ou en biologie ont été rejetées non pas pour incompétence scientifique, mais pour manque de conformité idéologique aux normes DEI (Diversity, Equity, Inclusion).
Ces campus ont engendré une génération hypersensible, où la panique morale devient virale. Le moindre mot mal interprété peut entraîner des protestations, des enquêtes administratives, voire des renvois. Des professeurs sont sanctionnés pour avoir mal utilisé un pronom, des étudiants pour avoir exprimé une opinion dissidente, même modérée. Le débat y est remplacé par le soupçon. À force de cultiver le repli identitaire et la surveillance idéologique, les universités californiennes ont normalisé un climat de confrontation, où toute autorité est suspecte, et toute institution est vécue comme oppressive.
Ce terreau idéologique ne reste pas confiné aux amphithéâtres. Il déborde dans les rues. Les leaders des mouvements qui alimentent les émeutes actuelles à Los Angeles sont souvent issus de ces campus : jeunes diplômés ou militants en réseau, familiarisés avec le lexique militant et les tactiques de l’agit-prop. L’hostilité envers la police, l’État, la propriété privée et même la logique juridique naît dans les cours d’études décoloniales et s’exprime ensuite dans les rassemblements violents. La radicalité académique devient radicalisation sociale.
La Californie, en tolérant ce glissement des institutions universitaires vers un militantisme autoréférentiel, a nourri une génération pour qui le désordre est un droit, et la contrainte, une oppression. Et quand les slogans de salle de classe deviennent des barricades dans la rue, ce n’est pas une surprise : c’est le prolongement logique d’un système qui a troqué la formation intellectuelle pour l’endoctrinement émotionnel.
Hollywood : de la machine à rêves à la fabrique de scandales
Pendant des décennies, Hollywood incarnait une aura quasi divine — les stars étaient des figures idéalisées, intouchables, dont la magie transcendait l’écran. Mais l’irruption des réseaux sociaux a fracassé ce mythe : Instagram, TikTok et Twitter ont rapproché les célébrités des foules, révélant leur quotidien banal — ou toxique — et provoquant un effondrement de l’admiration vénérable. Comme le note un article sur Medium, « les plates‑formes permettent une connexion directe avec les fans, mais elles érodent la mystique » . Le public, de plus en plus à l’affût d’authenticité, ne pardonne plus les faux-semblants.
Mais Hollywood a lui-même contribué à cette chute. Le récit progressiste a pris une part excessive dans les grands studios — Disney inclus. Les remakes « woke » et les documentaires révisant l’histoire (corrections de rôles, casting diversifié à tout prix) ont suscité des frondes : la refonte de Snow White, jugée repensée pour éviter des problématiques identitaires, a été accusée de trahison culturelle — au point que Disney a réduit sa promotion face aux critiques.
Par-dessus tout, Hollywood a été frappé par une cascade de scandales vertigineux. Harvey Weinstein a été condamné à 16 ans de prison, déclenchant l’effet Weinstein — catalysant le mouvement #MeToo et exposant un système de harcèlement et d’abus couvrant des décennies . L’affaire Jeffrey Epstein, avec ses ramifications dans le monde du cinéma, puis plus récemment les accusations contre P. Diddy (plus de deux douzaines de poursuites, dont trafic sexuel et agression physique étayées par des vidéos et enquêtes) ont creusé le discrédit moral de cette industrie.
Ce regain de conservatisme ne relève pas seulement d’un fantasme complotiste : le modèle hollywoodien — où pouvoir, argent et impunité étaient inextricablement liés — a toujours existé. Mais l’ère numérique a exposé la décadence avec plus de brutalité. Entre la perte de l’illusion stellaire, le radicalisme idéologique imposé et les scandales à répétition, Hollywood souffre aujourd’hui d’une crise de crédibilité qui la transforme, aux yeux de beaucoup, d’un centre culturel à un symbole de déclin moral.
Exode massif et « californisation » du Texas
Entre 2020 et 2024, plus de 360 000 personnes ont quitté la Californie, selon un rapport du U.S. Census Bureau repris par Forbes. Le Texas, la Floride et le Tennessee accueillent ces exilés, dont beaucoup fuient les taxes excessives, la criminalité, et le coût de la vie. Le paradoxe : certains importent avec eux l’idéologie qui a causé leur départ.
Des figures médiatiques comme Joe Rogan, Ben Shapiro et Elon Musk ont quitté LA pour Austin, entraînant avec eux une migration de startups, d’influenceurs et de capitaux. Cette « californisation » du Texas est vue à la fois comme une opportunité et un danger : renouvellement culturel ou contamination idéologique?
La Californie comme avertissement
La crise du logement, l’explosion de la consommation de drogues dures à Montréal, l’augmentation des agressions violentes, les tensions liées à l’immigration : tous ces symptômes rappellent dangereusement la trajectoire californienne. En janvier 2025, le Journal de Montréal rapportait que le nombre d’overdoses avait doublé en cinq ans dans le centre-ville.
Nos politiques publiques — inspirées, souvent, par les mêmes écoles de pensée — reproduisent les mêmes erreurs. La tolérance devient abandon, l’inclusion devient dogme, la compassion devient complaisance.
La Californie dont nous rêvions n’existe plus. Peut-être n’a-t-elle jamais existé autrement qu’en cinéma. Mais ce qui est certain, c’est que le modèle californien est aujourd’hui un repoussoir, non un idéal. Le décor reste intact — palmiers, plages, condos — mais l’envers du décor est une dystopie : drogués titubants, trafiquants humains, policiers désabusés, citoyens en fuite.
Il reste à voir si le reste de l’Amérique — et du Canada — aura la lucidité de ne pas la suivre dans sa chute.