Dans le premier article d’une suite à venir sur « l’argot montréalais » pour le Devoir, Sarah Rahmouni, fait un portrait plutôt complaisant de la créolisation accélérée du français montréalais, titrant avec l’euphémisme : « Un français appelé à évoluer à Montréal ».
En effet, faisant état de l’usage de plus en plus répandu des expressions « Wesh » (Salut), « Wallah » (Sur Dieu), « la Hess » (La misère), « Kho » (frère), la journaliste décrypte l’émergence d’un argot arabisé et créolisé déjà présent depuis plusieurs décennies dans les quartiers les plus chauds en France.
Interrogeant quelques un de ses locuteurs – notamment parmi une masse grandissante de jeunes issus de l’immigration – l’auteur s’interroge sur cette nouvelle réalité sociolinguistique :
« Outre un langage familier utilisé entre amis, l’argot montréalais a « une certaine signification » pour Lamia Dib. « Ça démontre aussi que les communautés maghrébines et des Caraïbes se sont intégrées. Ce sont des communautés bien présentes à Montréal et au Québec, et c’est une manière pour elles de s’être approprié la langue », explique la jeune femme. »[1]
Le directeur du Centre de la recherche interuniversitaire sur le français en usage au Québec est ensuite mobilisé dans l’article pour expliquer « [qu’on] emprunte aux autres langues depuis toujours. Ça se produit quand il y a différents groupes qui cohabitent et qui sont en contact [sur un territoire] »[2].
Rahmouni rappelle évidemment le côté controversé d’une évolution aussi significative du français chez un peuple historiquement caractérisé par les pressions linguistiques étrangères, et évoque les critiques qui parlent d’un « appauvrissement » du français plutôt que d’une « évolution ». Ce qui est bien vite réfuté dans un argumentaire frôlant l’âgisme de Wim Remysen : « Le rapport à la langue n’est pas le même chez les plus jeunes ou chez les personnes un peu plus âgées, qui ont connu l’époque de la Révolution tranquille et les luttes pour assurer que le français soit bien défendu sur la place publique à Montréal »[3].
Un autre commentateur, Smaïn Belhimeur, originaire d’Algérie, affirme pour sa part que l’aspect colonial de son pays lui fait voir le français « comme une arme »[4]. Et à Rahmouni d’en rajouter, citant l’auteur algérien Kateb Yacine, qui affirmait du français qu’il était le « butin de guerre »[5] des Algériens… La journaliste fait alors un lien vague entre ces affirmations et le combat pour le français au Québec, supposant que les aspirations de ces nouveaux créoles rejoindraient celles des identitaires québécois.
Un angle d’analyse étrangement absent de cette analyse est évidemment l’apport d’internet aux évolutions langagière en 2022, qui l’emporte grandement sur le niveau réel de cohabitation des groupes donnés. On ne pourrait évidemment limiter l’argot montréalais à ces sources extérieures, chaque ville et quartier développant légitimement son langage, or il apparaît raisonnable de comparer le français ici décrit à l’argot des cités françaises, gangrénées par le crime et la culture du gangstérisme, et qui est relégué notamment par les youtubeurs français dont l’influence est écrasante chez les jeunes au Québec.
En d’autres mots, ce qu’on définit comme une spécificité montréalaise prend beaucoup plus l’aspect du résultat de l’importation du pire de la « culture française » contemporaine.
[1] Rahmouni, S. « Un français appelé à évoluer à Montréal ». Le devoir. https://www.ledevoir.com/societe/745680/serie-l-argot-montrealais-un-francais-appele-a-evoluer-a-montreal?utm_medium=Social&utm_campaign=Autopost&utm_source=Facebook&fbclid=IwAR0mp10PVL-jsWw-bmA_Q7pxYwo41WM6GC_4AtK4tAF9uGhhYw31nwVBFAw#Echobox=1660681201
[2] Idem.
[3] Idem.
[4] Idem.
[5] Idem.