Le Parti conservateur remporte l’élection partielle dans Toronto-St. Paul’s, une circonscription Libérale depuis 1993 [souvent remportée avec des majorités de 50%+ pour la Libérale Carolyn Bennett].
Ce qui rend la victoire si particulière, c’est que la candidate Leslie Church était demeurée en tête presque tout au long du décompte, avec une avance qui oscillait entre 6% et 1.2%. Malgré l’écart trop serré pour qu’on puisse la déclarer élue, sa victoire était pressentie. Durant le long dépouillage, les analystes s’attendaient au résultat mitigé qui allait permettre aux deux principaux partis de se féliciter: les Libéraux de Justin Trudeau pour conserver un de leurs bastions ontariens, et les Conservateurs de Pierre Poilievre pour resserrer considérablement l’écart de 25% [à l’élection de 2021] à 5% ou moins.
Vers 4:00 du matin, alors que tous les analystes avaient abandonné l’antenne depuis belle lurette avec cette présomption, le candidat Conservateur, Don Stewart, a pris l’avance au dépouillement de la 189ᵉ boîte de scrutin [sur 192]. Ayant maintenu la tête, il a été déclaré vainqueur avec 42.1% du vote, contre 40.5% pour la candidate Libérale Leslie Church.
Don Stewart travaille pour l’organisation canadienne de réglementation des investissements. Il a précédemment occupé des postes de directeur dans le secteur des marchés financiers et des services bancaires d’investissement. Il est également réserviste des Forces armées canadiennes.
Toronto-St.Paul’s n’avait pas été remportée par le Parti conservateur depuis la victoire de l’ancienne ministre Barbara MacDougall en 1988. Par la suite, la circonscription est devenue un château fort Libéral, que la ministre Carolyn Bennett a souvent remporté avec au-delà de 50% du vote. Sa démission pour devenir ambassadrice du Canada au Danemark a donné lieu à l’élection partielle.
La circonscription de Toronto-St.Paul’s se trouve juste au nord de celle d’University-Rosedale, qui est détenue par la ministre des Finances et vice-première ministre, Chrystia Freeland. Sa population est de race blanche à 64%, et l’anglais est la langue parlée à la maison par 62% des résidents – deux données élevées pour Toronto. Toronto-St.Paul’s contient une importante communauté juive, qui représente 15 % de sa population. Les Chrétiens comptent pour 41%, les Musulmans pour 3.7% et les Hindous pour 3.2%, tandis que 35% des résidents disent n’avoir aucune appartenance religieuse.
Avec un revenu médian de 50,400$ et un revenu moyen significativement plus élevé de 96,000$, le comté a un profil économique mixte, mais une portion de l’électorat est financièrement très aisée.
Par comparaison, c’est un peu comme si les Conservateurs remportaient une élection partielle sur l’île de Montréal dans un comté comme Mont-Royal ou NDG-Westmount. Un résultat absolument catastrophique pour Justin Trudeau.
Selon les projections électorales du site Canada 338 mises à jour le 23 juin, Toronto-St.Paul’s restait dans la colonne «PLC enclin», avec des intentions de vote évaluées à 39% contre 35% pour le PCC. Certes, le vote de protestation est toujours susceptible de faire basculer une élection partielle, mais le résultat confirme la chute libre de Justin Trudeau rapportée par les sondages agrégés. Canada 338 estime que si une élection fédérale avait eu lieu en juin, le PLC n’aurait fait élire que 70 sièges, soit 90 de moins qu’à l’élection de 2021. On peut même envisager une défaite Libérale comparable à celle de 2011, qui avait vu le parti relégué au rang de 2ème opposition avec un maigre 34 élus, son record historique.
Suite à cette humiliante perte, Chrystia Freeland s’est empressée d’affirmer que Justin Trudeau devait demeurer chef du parti. Elle n’a probablement pas envie de devenir la Kim Campbell du camp Libéral, sacrifiée à l’élection de 1993 contre Jean Chrétien. Si le PLC doit subir une écrasante défaite, mieux vaut que ce soit avec Trudeau qu’avec elle en tant que cheffe.
Il y a évidemment, même parmi les opposants à Trudeau, qu’ils soient indépendantistes, populistes ou même conservateurs purs et durs, des trouble-fêtes pour dire que lui et Pierre Poilievre sont bonnet-blanc blanc-bonnet. Force est de reconnaître que le wokisme de Justin Trudeau est inégalé. Il est connu dans le monde entier pour ses politiques liberticides et pour ses déclarations intransigeantes [dans lesquelles il associait notamment le mouvement des camionneurs au racisme et à la misogynie]. Les conservateurs et les populistes du monde entier nous prennent en pitié. Difficile de penser qu’un Premier Ministre Conservateur puisse imposer des lois tendancieuses comme C-16 ou C-63, maintenir la taxe carbone, ou être aussi islamophile et immigrationniste.
La vision d’un Canada post-national de Justin Trudeau s’oppose diamétralement à l’émancipation du nationalisme québécois. La débâcle du PLC devrait réjouir même les partisans du Bloc et du PPC. Contrairement au Parti Libéral, le Parti Conservateur est enclin à considérer une approche décentralisatrice – c’est dans son ADN. Dans une perspective souverainiste, ou même autonomiste [et aussi libertarienne], c’est absurde de préférer la gouvernance des « rouges » à celle des « bleus » au palier fédéral.
Sur X, Justin Trudeau s’est contenté de remercier sa candidate tout en félicitant le vainqueur et en ajoutant: « Notre équipe libérale a encore beaucoup de travail à faire pour réaliser de véritables progrès pour les Canadiens. Remettons-nous au travail ». Une forte proportion des réponses lui suggère de démissionner, souvent par voie de formulations qui manquent de courtoisie. L’électeur moyen semble estimer que l’équipe libérale en a surtout déjà suffisamment fait pour miner sa qualité de vie et nuire au tissu social.