Le premier ministre François Legault est dans l’eau chaude en cette fin de congé pascal pour avoir partagé une réflexion de Mathieu Bock-Côté sur un aspect de la culture catholique des Québécois. Ce dernier affirmait dans un billet que cet héritage avait contribué à la propension des québécois pour la solidarité. Il n’en fallait pas plus pour que les opposants à la loi 21 sur la laïcité de l’État déchirent leur chemise et accusent le premier ministre de ne pas respecter les principes qu’il a lui-même imposés. Or la laïcité n’a jamais eu pour but d’effacer le patrimoine religieux ou d’empêcher la réflexion des politiciens sur celui-ci.
Quand les opposants deviennent plus zélés que les partisans.
La raison pourquoi les opposants à la loi 21 sont aujourd’hui si prompts à en appliquer les principes, c’est qu’ils voudraient à tout prix présenter la laïcité comme une injonction autoritaire contre toutes les religions. Ils sont déçus de voir que malgré la laïcité, il est encore possible de discuter du patrimoine religieux et de son importance au Québec.
Évidemment, ils argumenteront qu’ils ne font que souligner un « deux poids, deux mesures » des Québécois de souche contre les religions « étrangères », or ils révèlent davantage leur propre haine de la religion catholique et de la culture dominante du Québec ; la seule, semble-t-il, qui mériterait d’être réprimée. Car une seule réflexion sur l’influence que cette religion a pu avoir sur la société québécoise d’aujourd’hui par le principal représentant de cette nation est instantanément vu comme un positionnement pro-catholique, alors qu’il ne relève que d’un fait historique indiscutable : les Canadiens français ont été de culture catholique pendant plus de 400 ans et ça a eu une influence sur leur société.
D’ailleurs, ces mêmes âmes offensées n’avaient rien à dire à propos du congé pascal cette fin de semaine? À propos de Noël et des jours fériés de manière générale? Jamais la loi 21 n’a eu pour objectif de faire table rase de notre passé ; jamais elle n’a eu pour objectif d’invisibiliser la religion dans la société. Son champ d’action se limite à la neutralité de l’État et de ses employés, et c’est la réalisation de ce caractère très limité de cette loi qui enrage aujourd’hui ses opposants.
Laïcité et patrimoine
Ainsi, la réponse de monsieur Legault à ces accusations de faire l’éloge de christianisme fut de rappeler qu’il faut « distinguer la laïcité de notre patrimoine ». Il a entièrement raison.
Devrait-on s’abstenir de protéger notre héritage architectural catholique et nos milliers d’Églises et monuments religieux sur le territoire sous prétexte qu’on ne doit pas promouvoir la religion? Devrait-on cesser d’enseigner notre histoire sous prétexte que la religion y a joué un rôle prépondérant?
Devrait-on s’abstenir de réfléchir sur l’influence de la religion dans notre histoire sociale? Ou doit-on simplement s’en abstenir lorsqu’il peut en ressortir un élément positif?
Legault aurait-il été critiqué de la sorte s’il avait critiqué le clergé de la « Grande Noirceur » plutôt que d’insinuer qu’il y a aussi eu du bon à notre culture catholique?
On comprend évidemment un certain devoir de réserve sur le sujet vu la position de pouvoir du gouvernement, or ce même gouvernement est redevable du peuple québécois dont l’histoire et le patrimoine est indissociable de ce fait religieux.
La laïcité… un produit de la culture chrétienne
J’irai même plus loin : bien que la chose semble contre-intuitive, la laïcité est un concept qui émane avant tout du christianisme. Renier entièrement la culture chrétienne n’aurait donc pas de sens et ferait de la laïcité un principe vide et désincarné.
Aucune autre religion n’a autant débattu et théorisé les limites entre le politique et le religieux. Durant des siècles, le clergé et les autorités politiques ont réfléchi sur leurs complémentarités et leurs oppositions, tout cela afin d’en arriver à un équilibre qui profite au peuple avant-tout. Dès le Moyen-Âge, les figures du pape et de l’empereur ont incarné physiquement cette division entre pouvoir « spirituel » et « temporel ».
Pour beaucoup, on justifiait cette division par la fameuse phrase de Jésus Christ : « Rendez à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu ».
Même au sein de la société, cette division était présente entre le clergé et le peuple : les premiers s’occupant de questions spirituelles, « hors du siècle » et les deuxièmes vivant « dans le siècle » et s’occupant de préoccupations profanes. C’est d’ailleurs ce qui différencie profondément le voile islamique de celui des nonnes, qui ont choisi de vivre « en dehors du siècle » dans des cloîtres, contrairement à l’application d’accoutrement religieux pour tous, même profanes, dans l’Islam.
Cette division centrale dans le christianisme est même à l’origine de la science politique moderne, qu’on attribue souvent à Machiavel. Bien que sa pensée soit désormais vue de manière péjorative et soit mal comprise, il ne prônait pas l’immoralité politique, mais bien l’amoralité politique. C’est à dire qu’il concevait qu’une politique rationnelle devait être séparée de la moralité religieuse, qui impose des principes absolus parfois inapplicables.
Bref, la longue évolution vers des régimes politiques séculiers en occident s’est faite non pas contre la religion chrétienne, mais en son sein même, au travers de siècles de débats.
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Enfin, réfléchir sur l’histoire et le patrimoine religieux de la majorité québécoise n’a rien de contraire aux principes de la laïcité. Je vous poserais d’ailleurs la question : affirmer que la laïcité émane des sociétés chrétiennes irait-il à l’encontre… de la laïcité? Non, car le but n’est pas de faire table rase du passé, mais bien de peaufiner une saine division entre le politique et le religieux dans le respect de l’histoire des peuples.