Pannes répétées, problème de bruit, cafouillages dans la gestion du projet ; le REM a beau être fondamentalement différent que le tramway de Québec, mais on ne peut s’empêcher de spéculer sur les problèmes potentiellement similaires que pourrait rencontrer la ville de Québec. D’une manière générale, les performances du REM dans ses premiers mois de vie active sont si catastrophiques qu’elles décrédibilisent les grands projets de transports collectifs en cette ère où leur promotion est élevée comme une panacée.
D’abord, dès son inauguration, le REM a multiplié les arrêts de service, paralysant des milliers de personnes ayant décidé de faire confiance à cette nouvelle ligne de transport. Face aux multiples défis techniques qui restaient à relever malgré l’ouverture de la ligne, la CDPQ intra, en charge de ce projet désormais chiffré à 8 milliards de dollars, a dû annoncer qu’elle aurait encore besoin de quelques mois de « rodages » avant que les opérations n’atteignent leur efficacité maximale. Après quelques mois, ce temps de rodage s’étire en longueur, frustrant les usagers et les autorités publiques.
Cette semaine, le REM a connu quatre interruptions de service en quatre jours ; la goutte qui fait déborder le vase pour plusieurs usagers, dont certains ont carrément décidé de renouer avec l’automobile pour éviter de se retrouver une fois de plus en retard au travail.
Si la CDPQ intra rappelle que sur ses 800 premières heures de vie active, le REM n’a été paralysé que 8 heures, et que ces chiffres signifient une efficacité de 99%, il semble cependant que chaque panne occasionne d’immenses problèmes logistiques qui portent ombrage à l’efficacité habituelle du réseau, particulièrement lorsqu’elles surviennent lors des heures de pointe.
En effet, lors d’une panne, la planification d’alternatives et la coordination entre les sociétés de transport de Longueuil, de Montréal et la CDPQ intra semblent extrêmement laborieuses. Ainsi, non seulement la CDPQ intra doit roder ses opérations sur le REM, mais elle a aussi été confrontée à un rodage de ses communications et de sa logistique en cas de pannes, ajoutant une couche de complexité à une situation déjà problématique.
Aussi, le niveau sonore atteint par le REM a créé beaucoup de mécontentement auprès des riverains, au point où même le Bye Bye de 2023, une émission reconnue pour son côté très bien-pensant, a jugé bon de s’en moquer. Voir des montréalais critiquer une ligne de transport en commun avait quelque chose de lunaire et d’inédit pour le reste du Québec ; c’est dire à quel point le niveau de décibels produit causait problème.
Enfin, notons que le projet, pris en charge par la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ intra), est le fruit de décennies de développements antérieurs, et que son exécution actuelle, démarrée en 2017, laisse un goût amer au gouvernement québécois. En effet, la ministre des Transports Geneviève Guilbeault déclarait cette semaine que ça n’avait «Pas de bon sens d’être tributaire d’organisations extérieures» pour mener à bien les grands projets d’infrastructures au Québec.
C’est qu’en 2022, le gouvernement a retiré la CDPQ intra du projet de REM dans l’est de Montréal et cette semaine, elle a décidé elle-même d’abandonner l’étude du potentiel prolongement du Réseau express métropolitain (REM) vers Longueuil en raison d’une incapacité à gérer autant de dossiers en même temps.
Or, la déclaration de Guilbeault est particulièrement curieuse, puisque c’est son gouvernement qui a remis le projet de tramway et de troisième lien à la Caisse de dépôt et placement il y a quelques mois, jugeant que c’était l’organisation appropriée pour le mener à bien. Alors que le gouvernement Legault justifiait cette décision par l’expertise de la CDPQ intra dans le domaine, on en vient à se demander si ce n’était pas simplement une manière de s’en laver les mains, et maintenant que la Caisse de dépôt est débordée, la ministre des Transports regrette.
Maintenant, admettons d’entrée de jeu que le REM et le projet de tramway à Québec relèvent de technologies différentes, et que les problèmes rencontrés par les deux types de trains seront probablement différents. Cela dit, on peut se poser la question si un éventuel « rodage » du tramway pourrait être encore plus problématique.
D’abord, la ligne se retrouvant directement dans le trafic automobile, la possibilité de pannes dans le réseau pourrait cause tout un tas de problèmes logistiques non seulement pour le RTC, qui devra dépêcher des bus qu’il avait retirés de la ligne des Métrobus, mais aussi pour les services d’urgence, qui devront potentiellement rediriger le trafic en cas paralysie dans une zone achalandée.
Les pannes du REM, dont certaines ont pour origine des problèmes liés à la glace et au climat, réactivent aussi les inquiétudes quant à l’efficacité d’un tramway lors d’intempéries hivernales. Malgré des années d’études et de développement, des tests en chambre climatique en Autriche aux tests extérieurs sur le tronçon de la rive sud en passant par les technologies de déneigement des voies, des freins hivernaux, des briseurs de glace et j’en passe, le REM n’est pas encore complètement rodé. Et tout ça dans un environnement particulièrement contrôlé que constitue une voie ferroviaire uniquement destinée à ces trains. Considérant que le tramway circulera dans la ville, parfois sur les mêmes artères que les automobiles, l’encombrement régulier des voies publiques lors des tempêtes et des opérations de déneigement laisse perplexe quant à la fluidité d’un futur tramway.
Le problème du bruit inquiète aussi. Comme le projet de tramway, le REM promettait de ne pas déranger les riverains. Or, nous voyons bien que la production sonore des rails a été nettement sous-évaluée et que de nombreux ajustements ont dû être faits dans les derniers mois. Il faut prendre en compte que le tracé actuel du tramway prévoit traverser parmi les plus beaux quartiers de la Ville de Québec ; une pollution sonore exagérée serait ainsi carrément catastrophique.
Enfin, si la gestion du REM par la Caisse de dépôt pose déjà problème pour le gouvernement Legault alors qu’il lui donnait toute sa confiance dans les derniers mois, on peut s’attendre à des problèmes similaires dans la ville de Québec. On parle quand même d’un projet évalué à au moins 10 milliards de dollars et qui s’étendra sur plus de dix ans ; qui sait à quoi ressemblera la « période de rodage » pour adapter ce transport disruptif en plein cœur de la Capitale-Nationale.
D’autant plus qu’on parle ici d’un projet de « transport structurant », c’est-à-dire un premier tronçon auquel devra, par définition, s’attacher de multiples autres qui, eux aussi, pourraient prendre des décennies à construire. En d’autres mots, en se lançant dans le projet de tramway, on se lance dans des chantiers interminables qui s’étendront potentiellement jusqu’aux années 2050, et tout ça, avec un support extrêmement ténu dans la population.
Le domaine des transports est probablement le seul où les autorités publiques assument à 100% des objectifs de décroissance. Malgré toutes les évolutions technologiques qu’on pourra leur attribuer, le transport ferroviaire demeure une technologie peu flexible héritée du 19ᵉ siècle. Dans l’obsession grandissante des objectifs de transition, on déclare ouvertement vouloir réduire le parc automobile de moitié et on se lance dans ce qui est, ni plus ni moins, qu’une collectivisation des transports. Ça paraît bien sur papier, ça fonctionne relativement bien dans les grands centres urbains, mais on est probablement en train de jeter la flexibilité de l’automobile avec l’eau du bain. Et pousser la population à prier chaque matin pour que le service ne soit pas interrompu, ce n’est pas exactement la vision que les gens se faisait du futur.