Dans une tribune publiée par The Hub, Peter Menzies, ancien vice-président du CRTC et ex-éditeur du Calgary Herald, lance un avertissement sans détour : l’indépendance du journalisme au Canada est aujourd’hui compromise par la relation de plus en plus étroite entre les médias traditionnels et le Parti libéral du Canada. Il affirme que seule la presse indépendante permet encore aux Canadiens de comprendre l’étendue de cette codépendance qui met en péril la liberté de la presse et la confiance du public dans les institutions médiatiques.
Une dépendance gouvernementale qui s’installe
Peter Menzies explique que ce lien trouble a commencé sous des apparences anodines : un crédit d’impôt transitoire présenté comme une aide ponctuelle aux éditeurs pour faciliter leur adaptation à l’ère numérique. Mais cette mesure, censée être temporaire, a été prolongée et même bonifiée à tel point que certaines publications, comme le Winnipeg Free Press, sont devenues totalement dépendantes de ces subventions pour demeurer rentables.
Selon un rapport de Blacklock’s Reporter cité par Menzies, le Free Press a enregistré un revenu net de 2,7 millions de dollars l’an dernier… pour une subvention fédérale de 2,8 millions, grâce au Crédit d’impôt pour la main-d’œuvre journalistique. Cette aide gouvernementale, qui devait initialement prendre fin en 2024, a été étendue et renforcée, atteignant jusqu’à 29 750 $ par employé pour les salles de rédaction reconnues par un comité consultatif nommé par le cabinet fédéral.
Bob Cox, architecte et bénéficiaire
Peter Menzies rappelle que Bob Cox, ancien éditeur du Free Press, a joué un rôle clé dans la création de ce système d’aide en sa qualité de président de News Media Canada, l’organisme qui avait suggéré ce crédit d’impôt au gouvernement Trudeau. Cox déclarait pourtant en 2019 devant le comité des finances de la Chambre des communes : « Je vois cela comme un programme de transition, une aide temporaire. Je n’aime pas l’idée d’une subvention à long terme qui deviendrait permanente. » Pourtant, le programme a perduré… et profité à son propre journal.
Cox siège également au comité d’attribution des subventions, et agit comme directeur du scrutin pour la circonscription fédérale de Winnipeg-Nord, remportée sans surprise par le libéral Kevin Lamoureux le 28 avril dernier. Menzies souligne le potentiel conflit d’intérêts de cette double implication dans l’administration électorale et la presse subventionnée.
Dans une note à ses actionnaires, FP Canadian Newspapers Ltd, propriétaire du Free Press, exprimait d’ailleurs ouvertement son inquiétude quant à sa viabilité si les subventions gouvernementales étaient abolies : « L’incertitude du paysage politique continue d’influencer l’industrie de la presse », peut-on y lire. Le journal avertit qu’une modification ou suppression du régime de subventions pourrait avoir un « effet défavorable » sur ses activités.
Une presse libre… financée par l’État?
Pour Menzies, le cœur du problème n’est pas tant que des journaux prennent position ou adoptent une ligne éditoriale proche du gouvernement, mais plutôt qu’ils le fassent sous perfusion publique. « Si le Free Press veut être un journal libéral, libre à lui », écrit-il. « C’est l’essence même d’une presse libre. » Mais cette liberté éditoriale doit être exercée sans ingérence ou dépendance étatique. Et c’est précisément cette indépendance qui est minée lorsqu’un journal affirme qu’il ne pourra plus survivre sans que le gouvernement en place soit réélu.
La situation devient d’autant plus délicate que les contribuables, qu’ils soient conservateurs ou libéraux, se trouvent désormais dans la position paradoxale de financer des journaux dont ils rejettent peut-être les positions. Peter Menzies illustre cela en soulignant que des électeurs libéraux de Toronto financent involontairement des publications conservatrices comme le Toronto Sun ou le National Post, tout comme des électeurs conservateurs subventionnent des titres perçus comme pro-libéraux. « Comme pour la CBC, nous sommes désormais tous actionnaires du Winnipeg Free Press, du Toronto Sun, du National Observer, etc. », note-t-il.
L’urgence d’un contrepoids indépendant
Mais ce que déplore le plus Menzies, c’est l’asymétrie croissante entre médias subventionnés et indépendants. Tandis que les premiers bénéficient de programmes étatiques massifs comme le Crédit d’impôt pour la main-d’œuvre journalistique ou l’Initiative de journalisme local (également prolongée et doublée), les seconds doivent survivre sans aucun appui gouvernemental — par choix éthique ou par exclusion délibérée.
Menzies salue le travail de Blacklock’s Reporter, de The Hub, et de quelques autres bastions de la presse indépendante qui, selon lui, sont aujourd’hui les seuls garants de l’intégrité journalistique au Canada. Sans eux, conclut-il, les Canadiens n’auraient aucune idée du « pacte de dépendance » qui s’est formé entre les médias dominants et le gouvernement Trudeau.
Dans une perspective d’avenir, Menzies appelle à une réflexion nationale sur le rôle de la presse et le financement public de l’information. Il promet d’ailleurs d’approfondir cette question dans des textes à venir, insistant sur le fait que sans médias indépendants capables de concurrencer équitablement les géants subventionnés, la démocratie canadienne risque de perdre l’un de ses piliers fondamentaux : une presse libre, critique et véritablement indépendante.
— à partir d’un texte de Peter Menzies dans The Hub