La nomination récente de Micheal Sabia à la tête d’Hydro-Québec arrive en un contexte énergétique inédit au Québec. La fin annoncée des surplus électriques autour de 2027 et l’obstination d’une transition massive vers le tout-à-l’électrique met la société d’État dans une situation particulièrement difficile. De grands chantiers devront être entrepris, et il faudra que le nouveau PDG parvienne à ménager la sécurité énergétique et le réalisme d’un bord et les injonctions morales et les signalements de vertu idéalistes de l’autre. Les enjeux sont majeurs pour les perspectives de développement québécoises. Ce sera donc un mandat déterminant pour l’avenir du Québec et la responsabilité qu’incombe désormais à Sabia est monumentale.
L’impasse énergétique
Lorsque la CAQ a pris le pouvoir en 2018, le PDG d’Hydro-Québec de l’époque, Éric Martel, affirmait que la société d’État disposerait de surplus énergétiques pour encore 20 ans. On cherchait alors carrément de nouveaux clients afin de ne pas gaspiller ces surplus ; d’où la signature de nouveaux contrats d’approvisionnement avec New-York et le Massachusetts. Or la situation a bien changé et il fut révélé l’an dernier que les surplus fondaient à vue d’œil et disparaîtraient autour de 2027. Au point même où les Américains eux-mêmes commencent à douter d’Hydro-Québec.
C’est qu’outre la croissance de la consommation électrique de manière générale, les politiques de transition énergétiques, qui visent à tout convertir à l’électrique, du chauffage résidentiel aux voitures, feront exploser la demande dans les prochaines années. Dans ce nouveau contexte de rigueur environnementaliste, les projections d’Hydro-Québec doivent être réévalués d’urgence. Si rien n’est fait, la Québec manquera rapidement d’électricité.
Ce n’est pas sans raison que François Legault a donné de vastes pouvoir dans plusieurs champs de compétences à Pierre Fitzgibbon, en faisant un « super-ministre » de l’Économie, de l’Innovation, de l’Énergie et du Développement régional. Plusieurs options sont sur la table pour pallier l’éventuel déficit énergétique :
D’abord, on envisage la construction de nouveaux barrages et le gouvernement Legault en a fait une de ses priorités. Or, comme l’expliquait bien Robert Dutrisac du Devoir le 20 mai dernier, tout le processus menant à la construction de ces méga-structures prend habituellement autour de 15 ans, ce qui est déjà trop long pour répondre à la fin des surplus prévu dans 4 ans… De plus, il reste de moins en moins de sites et de rivières adaptés pour la construction de barrages qui en vaudraient la peine. Le gouvernement étudie en ce moment la rivière Petit Mécatina sur la Côte-Nord, mais on n’en est à ce stade qu’aux analyses préliminaires et ce projet pourrait prendre une dizaine d’années avant d’être opérationnel. Sans compter les possibles blocages lors des évalutations environnementales et en termes d’acceptabilité sociale.
Sophie Brochu, la prédecesseure de Sabia, s’opposait néanmoins au gouvernement Legault quant à la possibilité de construire des barrages, et priorisait plutôt les options d’élargir le parc éolien et de parfaire l’efficacité énergétique. En cela, Brochu était certainement animée par une idéologie verte un peu plus intransigeante. Car d’une part, l’intermittence de l’énergie éolienne ne peut qu’en faire une énergie complémentaire, mais ne règlera pas le problème des pics de consommation. D’autre part, les projections des économies d’énergie possibles sont tellement ambitieuse qu’elles feraient rougir même les plus fervents écologistes d’il y a quelques années, et même s’il est possible d’aller rechercher 25 TWh, on demeure loin des 100, 150 TWh qui seront nécessaires pour éviter le déficit énergétique annoncé.
Entre inquiétudes et enthousiasme
La nomination de Micheal Sabia, qui dispose d’une longue feuille de route dans les milieux financiers et gouvernementaux, divise désormais les analystes du secteur de l’énergie. Occupant des postes de haut fonctionnaire au fédéral dès les années 80, ayant participé à la privatisation du Canadien National pour ensuite devenir chef de la direction de Bell Canada, il est nommé PDG de la Caisse de dépôt et de placement du Québec. Il occupera le poste pendant dix ans entre 2009 et 2019. Outre d’autres assignations, il devient en 2020 sous-ministre des Finances du Canada, poste qu’il quitte aujourd’hui pour prendre la tête d’Hydro-Québec.
Ce curriculum semble d’abord ravir les milieux économiques, qui vivent avec plus d’inquiétudes les limitations du Québec en termes de développement. Fitzgibbon nous apprenait en effet pendant l’hiver que son gouvernement ne pourrait même pas accepter la moitié des projets de développement industriels en raison du manque d’énergie. Beaucoup spéculent que la relation entre le super-ministre et Sabia pourrait être plus fructueuse que celle qu’il avait avec Brochu, qui était nettement plus inflexible sur les objectifs de transition verte.
C’est notamment le cas de Karl Blackburn, président et chef de la direction du Conseil du patronat, qui rappelle qu’en 2023, les milieux financiers sont une part essentielle de la transition énergétique : « Plus que jamais, ils doivent être ensemble. Partout dans le monde, on le voit : les finances et la transition font maintenant partie du discours économique ».
D’un autre côté, les chercheurs du milieu de l’énergie et les environnementalistes demeurent sceptiques et soulignent le haut niveau de complexité technique nécessaire pour opérer Hydro-Québec, particulièrement au moment d’une transition énergétique inédite où les technologies évoluent rapidement.
Selon Normand Mousseau, de l’Institut de l’énergie Trottier à Polytechnique Montréal ; « M. Sabia reste d’abord et avant tout un financier, alors qu’on a devant nous un enjeu de transition qui est très technique. On aurait eu besoin de quelqu’un qui comprend en profondeur le système énergétique, qui maîtrise les technologies et les investissements requis ».
Même son de cloche chez Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal : « Michael Sabia n’a pas de compétences particulières en énergie. Ça va être tout un défi, parce qu’en réalité, rien ne le prépare aux défis dans le secteur de l’énergie. » Le chercheur affirme qu’au lieu de nommer quelqu’un capable de « lever des milliards », le gouvernement aurait dû privilégier quelqu’un capable de « sensibiliser les Québécois » à la transition énergétique. « Ce dont on a besoin, c’est davantage un spécialiste de la décarbonation et de la transition énergétique. On espère au moins que M. Sabia va consulter au maximum l’expertise à l’interne ».
Ces réactions sont d’ailleurs éloquentes en ce qui a trait aux évolutions récentes dans le secteur de l’énergie. Remarquez que le focus des chercheurs est désormais moins de régler le déficit énergétique et les limitations qu’il impose sur l’économie que de foncer tête baissée dans la « décarbonation » et la transition verte. C’est à croire que les experts de l’énergie sont désormais plutôt une extension de la climatologie que de simples experts en production énergétique. Évidemment, les domaines sont liés, mais l’objectif ultime semble avoir radicalement changé. Il est d’ailleurs un peu trompeur de présenter la chose comme une opposition entre le milieu économique et celui de l’énergie : le milieu de l’énergie ne se limite pas à l’électricité et il serait grand temps pour le Québec de le reconnaître.
Rouvrir la porte au gaz naturel?
Un des éléments qui complique énormément la transition énergétique québécoise est son obstination à bannir le gaz naturel. Pourtant considérée comme une énergie de transition par le ministre Fitzgibbon, et carrément comme une énergie verte en Europe, le gouvernement Legault pourtant a fermé la porte à toute nouvelle prospection ou exploitation dans la province. Mais non seulement on se refuse à utiliser cette ressource abondante sur notre territoire, mais on force de plus en plus la conversion du chauffage des bâtiments publics à l’électrique et des lobbys tentent de pousser les municipalités à bannir complètement le gaz naturel sur leur territoire!
Hydro-Québec a d’ailleurs fait une sortie publique sur le sujet pour exprimer ses inquiétudes et se faire le plus clair possible : seulement à Montréal, si tous les bâtiments alimentés actuellement au gaz naturel se convertissaient à l’électrique du jour au lendemain, Hydro-Québec n’aurait plus assez d’énergie pour alimenter le Québec.
N’oublions pas non plus que le Québec dispose d’une centrale électrique au gaz naturel à Bécancour, qui est utilisée comme centrale d’appoint. Une récente étude de l’institut économique de Montréal révèle d’ailleurs qu’elle fut utilisée 18 fois simplement pendant l’hiver 2021-2022 pour répondre aux pics de consommation. Autrement dit, le gaz naturel vient déjà sauver la peau de la société d’état à plusieurs moment de l’année.
Bien que le Québec n’exploite pas de gaz naturel, la ressource est facilement accessible au Canada et se révèle plus abordable que les autres sources de production électrique, ce qui diminuerait même le fardeau économique qui pèse sur les contribuables.
Évidemment, la chose ne relève pas directement d’Hydro-Québec, mais on peut penser qu’un PDG plus terre à terre et strictement intéressé par les chiffres pourrait potentiellement faire changer d’avis le gouvernement et le faire lever son bannissement des hydrocarbures. Dans un tel cas de figure, les réserves Québécoises de gaz naturel pourraient suffire au besoin de consommation de la province pendant au moins 40 ans et engendrer des bénéfices d’environ 93 milliards de dollars.
Les arguments en faveur d’un cocktail énergétique plus diversifié, incluant le gaz naturel, pour parfaire la sécurité énergétique québécoise sont donc très solides et il sera intéressant de voir s’il y aura plus d’ouverture pour cette alternative dans les échanges entre M. Sabia et M. Fitzgibbon.
Un effet Fitzgibbon?
Mais voilà, tout n’est pas gagné et l’incertitude persiste. Car si certains analystes et environnementalistes craignent une vision trop économique chez Hydro-Québec, il faut quand même leur rappeler le changement radical de discours de la CAQ et d’individus tels que Pierre Fitzgibbon, qui semblent désormais voir la décarbonation et la transition énergétique dans leur soupe alors qu’ils étaient initialement concentrés sur le développement économique du Québec.
En effet, depuis quelque temps, la CAQ a complètement renié les perspectives de développement des hydrocarbures sur le territoire et fait de la décarbonation LA grande priorité. Par moment, on croirait entendre le Parti vert, au point même de recevoir quelques éloges de la part de quelques solidaires.
Et la chose concerne désormais même les milieux financiers, avec les cote ESG, et la majorité des gouvernements mondiaux qui suivent religieusement les lignes du Forum économique mondial et des accords de Paris.
Ainsi, si un individu controversé et réputé pour son penchant économique comme Pierre Fitzgibbon a pu en venir à réciter que la décarbonation est la priorité comme un mantra, si l’ensemble des « milieux de l’énergie » sont désormais des relais technologiques de la climatologie aux dépens de la sécurité énergétique et si François Legault, qui voulait exploiter nos ressources gazières pour rendre le Québec riche, parle désormais seulement en termes de transition, on peut légitimement se demander si Micheal Sabia ne subira pas un même type de conversion rapide…
Qu’il s’entende mieux avec Fitzgibbon est une chose, mais Fitzgibbon est déjà très loin dans ce couloir étroit qui refuse toute diversification énergétique. Il reste donc à savoir quels seront les changements réels dans cette relation entre Hydro-Québec et le gouvernement, et si M. Sabia osera s’opposer au dogme en place ou bien s’il s’y soumettra comme le ministre de l’Énergie et du Développement et tant d’autres.