La fête de Dollard des Ormeaux, célébrée le lundi précédant le 25 mai, commémore un événement survenu en 1660. Adam Dollard des Ormeaux, un militaire français, avait mené un groupe de colons ainsi que des alliés autochtones hurons et algonquins pour tenter de stopper une importante offensive iroquoise contre Ville-Marie (l’actuelle ville de Montréal). L’affrontement, connu sous le nom de bataille du Long-Sault, s’est déroulé sur la rivière des Outaouais entre le 2 mai et le 10 mai 1660. Bien que Dollard et ses hommes aient tous été tués par une force iroquoise nettement supérieure en nombre, leur action aurait contribué à retarder ou dissuader l’attaque sur la colonie.
Telle était la version soutenue traditionnellement dans les manuels scolaires du Québec. Toutefois, depuis la révolution tranquille, une historiographie plus critique portée par le nationalisme progressiste et le courant décolonial avance une version moins héroïque selon laquelle Dollard cherchait plutôt à intercepter les convois de fourrures iroquoises. Cette réinterprétation a contribué à la transition de la « fête de Dollard » vers « la Journée nationale des Patriotes », l’événement officiellement célébré au Québec depuis 2003. La fin mai n’est pas directement liée à un événement précis des rébellions des Patriotes de 1837-1838, mais elle offrait une date déjà fériée à « recharger » politiquement.
Dans le Québec post-Révolution tranquille, les Patriotes, porteurs d’idéaux démocratiques comme le gouvernement responsable et l’autodétermination, sont apparus comme des figures plus « respectables et consensuelles » que Dollard des Ormeaux. La mémoire de ce dernier n’est plus célébrée officiellement, hormis par des groupes conservateurs ou nationalistes de droite plutôt marginaux, dont Nouvelle Alliance (qui conjugue les deux commémorations).
Le groupe Nouvelle Alliance, qui se définit comme indépendantiste et nationaliste, avait prévenu qu’il tiendrait une commémoration au monument de Dollard du parc Lafontaine, le lundi 19 mai à 11:30. C’était un événement légal et autorisé. Toutefois, quand les membres de Nouvelle Alliance sont arrivés sur les lieux lundi matin, ils se sont violemment fait repousser par un groupe de militants anarchistes et d’extrême gauche, qui se sont approprié le monument. Ça revient à occuper la statue précisément le jour qui lui est dédié.
« Ni patrie ni État », « Pas de frontières, pas de nations, fuck les déportations » pouvait-on lire sur les grandes banderoles que le groupe de militants anarchistes et « antifascistes » avait déployé en bordure du monument. Ils avaient aussi placé deux drapeaux, le palestinien et le libanais, de chaque côté de la statue, signalant que leur militantisme n’est pas à une contradiction près : pas de patrie, pas de nation, mais ça dépend pour qui.
Un important dispositif policier a été déployé sur place pour établir un cordon afin de séparer les deux groupes. Les policiers n’ont pas tenté de déloger les contremanifestants et Nouvelle Alliance a dû tenir son événement en retrait de la statue en composant avec les perturbations bruyantes de ses opposants.
Selon une source ayant participé au rassemblement de Nouvelle Alliance, le groupe de contre-manifestants comptait entre 80 et 100 personnes, dont plusieurs étaient masquées. Ils faisaient flotter le drapeau LGBTQ+ dans sa version la plus radicale, le « progress pride », qui intègre les luttes trans-activiste et « anti-raciste », et se servaient d’un amplificateur pour noyer les discours de leurs rivaux avec de la musique forte. À un moment donné, ils ont carrément fait jouer le morceau emblématique de la propagande maoïste : « Red Sun in the Sky », dans sa version chinoise d’origine. Ce participant ajoute qu’il a même entendu un contremanifestant crier : « mort aux fascistes ». Le camp du bien peut se permettre de telles incivilités, semble-t-il.
Le traitement de la nouvelle n’est pas en reste. Selon Le Devoir, ce sont des « citoyens » et des « voisins préoccupés » qui « s’opposent à un rassemblement du groupe nationaliste identitaire Nouvelle Alliance ». On observe un contraste frappant entre la menace d’un fascisme hystérisé et la banalisation d’une extrême-gauche anarcho-communiste, qui emploie pourtant des tactiques d’intimidation dignes des chemises brunes. Et on nous les présente comme de simples concitoyens préoccupés et bienveillants.
La contremanifestation avait été publicisée en tant que « fête populaire contre le fascisme » et relayée sur des sites d’organisations communautaires, ainsi que sur celui du Conseil central du Montréal métropolitain (CCMM), une instance syndicale affiliée à la CSN connue pour son engagement militant. Deux tentes de la CSN ont d’ailleurs été érigées du côté de la contremanifestation. Que la CSN dénonce ce qu’elle perçoit, à tort ou à raison, comme du fascisme est une chose. Mais qu’elle n’éprouve aucune gêne à s’associer à des militants antinationalistes et anarcho-communistes en dit long sur la dérive idéologique de la centrale syndicale. « La CSN participe à une manifestation antinationaliste et anarchiste » aurait pu faire un bon titre dans un univers parallèle.
Parce que dans l’invitation diffusée sur le site de Résistance Montréal, on remarque que les organisateurs s’en prennent pas seulement au groupe Nouvelle Alliance, mais aussi à François Legault, qui « refuse obstinément de reconnaître le racisme systémique et multiplie les politiques islamophobes et les déclarations xénophobes »; à Paul St-Pierre Plamondon, qui « mène (…) une répugnante croisade anti-immigration et anti-woke afin de séduire un électorat en perte de repères identitaires » et Pierre Poilievre, qui « reprend sans honte le slogan aux accents trumpiens de « canada first » ». Ce groupe s’est servi d’un épouvantail « fasciste », mais il dénigre de la même manière tout ce qui est moindrement nationaliste et conservateur. Il fallait un prétexte pour rendre acceptable la tenue d’une manifestation antinationale à l’occasion de la deuxième commémoration à portée nationaliste en importance au Québec, derrière la Saint-Jean-Baptiste.
En juin 2020, le monument Dollard des Ormeaux avait été vandalisé à la peinture rouge dans un geste visant à dénoncer le colonialisme. Après que le progressisme bien-pensant de la révolution tranquille ait fait le jeu du révisionnisme décolonial en évacuant Dollard du calendrier des jours fériés; et à une époque où l’administration de Valérie Plante reconnaît officiellement Montréal comme un « territoire autochtone non cédé », le simple hommage rendu au personnage devient-il un geste répréhensible? Nous sommes bien loin du 24 mai 1920, où trente mille personnes s’étaient rassemblées dans le parc Lafontaine pour l’inauguration du monument en son hommage.