La défaite fait mal. Elle est contestée avec raison, car il y a eu de nombreuses irrégularités, mais je crois que ce ne sera pas suffisant pour empêcher une alternance du pouvoir.
Au-delà des péripéties des derniers jours, le recul républicain aux élections de mi-mandat et les sondages défavorables de cet été laissaient présager le rejet de Trump par une partie de l’électorat.
En août, j’ai mentionné les nombreuses raisons qui pouvaient amener Trump à être réélu : un dynamisme convaincant de l’économie avec presque tous les indicateurs au beau fixe et plusieurs succès sur la scène internationale.
Alors, que s’est-il passé?
Regardons sans complaisance des tendances de fond de la société américaine et aussi quelques difficultés de la campagne du président Trump.
Le contexte de la défaite
Des médias hostiles
La campagne électorale et les quatre dernières années ont montré la proximité des médias traditionnels avec les démocrates et un biais anti-Trump féroce, à l’exception notable de Fox News.
Une démographie instrumentalisée
Les démocrates sont pro-immigration, souvent même complaisants envers l’immigration illégale. La première génération qui arrive au pays le leur rend bien. Dans plusieurs États, cela a fait une différence. C’est aussi l’approche clientéliste des libéraux de Trudeau au Canada. Trump a amélioré son score chez les noirs et les latinos, mais pas suffisamment. Il reste que les deux partis ont maintenant des appuis solides dans différentes ethnies; c’est une victoire pour la démocratie américaine.
Le marécage de Washington
Une grosse couche bureaucratique s’est développée à Washington, appelée parfois « le marécage ». En théorie, ces fonctionnaires agissent sans partisanerie; mais tant à l’Agence du revenu, au FBI ou à la CIA que dans d’autres organismes fédéraux, cela n’a pas été le cas; ils se sont comportés à la manière d’un corps législatif non élu. Ils n’ont pas fait de cadeaux à Trump et ont relayé les complots démocrates sur l’influence russe tout en empêchant le président de riposter efficacement.
On a aussi l’impression que les bonnes nouvelles sont arrivées un peu trop tard dans la campagne de Trump, tels les accords de paix au Moyen-Orient et les révélations sur les opérations du tandem Joe-Hunter Biden; on ne peut s’empêcher de penser que des responsables se sont traîné les pieds pour que ces dossiers aboutissent le plus tard possible.
Une crise du leadership américain
C’est plate à dire, mais il est possible qu’un pays riche, avec une classe moyenne nombreuse, s’assoupisse. Après moi le déluge, profitons doucement de la vie. Sleepy Joe, ça ne s’adressait pas seulement à Biden, cela concernait et concerne plus que jamais les élites endormies que dénonçait Trump. Et une partie de l’électorat qui s’est tournée vers le monde bisounours de la gauche.
Le slogan America first a plu à cet électorat volatil qui craint de s’engager dans des conflits militaires. Deux questions se sont alors posées en sourdine :
- Les Américains sont-ils prêts à défendre leurs alliés au Moyen-Orient contre l’islam conquérant? Sont-ils prêts à en découdre avec l’Iran, à contester son statut de puissance régionale et à bombarder ses sites nucléaires (ou à aider Israël à le faire) en s’engageant possiblement dans une guerre plus longue? Cela avec le danger de créer des millions de réfugiés et la déstabilisation de nombreux régimes voisins qui ont en commun une grande impopularité?
- Les Américains sont-ils prêts à s’engager dans un conflit régional majeur si la Chine cherche à bloquer ou à envahir Taïwan? Prendre le risque de soutenir cet allié concerne aussi les autres pays menacés par le régime communiste de Pékin.
Je ne dis pas que de nombreux électeurs se sont posé ces deux questions avant de voter, mais plusieurs influenceurs dans le marécage y ont pensé et ils ont coché « non ». On veut la paix, laissez-nous tranquilles. Comme les élites françaises qui hésitent à engager le combat contre l’islamisme; ils préfèrent penser à autre chose et détourner le regard. Comme Chamberlain en 1938 contre Hitler. Une partie de l’électorat sent alors que le pays n’est pas prêt à adopter une pose martiale. Cela peut être un signe de déclin national. Biden sera plus « souple ».
Trump avait promis de défendre les valeurs de la civilisation occidentale et de rendre à l’Amérique sa grandeur. Le repas était trop copieux pour certains.
Des choix périlleux de Trump
Un positionnement trop protectionniste
Les GAFAs, l’économie du savoir et celle de la mondialisation se sont éloignées des républicains. Plusieurs de ces multinationales ont réagi aux dangers à court terme du protectionnisme pour leurs affaires, à commencer par la Silicon Valley. Les produits à haute valeur ajoutée ont besoin de marchés et de main d’oeuvre concurrentielle. Des milliards de dollars sont en jeu, les démocrates n’ont pas eu de problème de financement.
L’industrie de la construction a aussi grandement profité du Made in China ces trente dernières années. Les classes populaires ont pu rénover à moindres frais leur maison et déménager plus souvent. Il y a une hésitation à tourner la page sur cette amélioration du niveau de vie, même si ce libre-échange s’est avéré trompeur, une porte ouverte au dumping, à la délocalisation des usines et au vol de la propriété intellectuelle américaine.
La réduction trumpienne des déficits commerciaux avec la Chine pourrait être une approche à repenser si elle entraîne des déficits massifs. La création d’emploi s’est faite au prix d’un endettement record du pays et de facilités monétaires qui devront être payées dans le futur. Les effets néfastes à long terme de cette politique se feront ressentir de toute façon, par l’inflation, la dévaluation de l’épargne et la crédibilité du pays auprès de ses débiteurs. Wall Street n’a pas suivi Trump sur ce chemin-là, sans pour autant proposer des alternatives claires. Pour ne rien arranger, en réaction au Covid-19, les deux partis proposent de dépenser sans compter pour relancer l’économie, en injectant des montants assez voisins.
Les limites du populisme
Les médias se sont acharnés sur les travers personnels de Trump, dévoilant au passage leur propre superficialité. Évidemment, le président a parfois été vulgaire. Mais ça prend un caractère offensif pour s’opposer au marécage et aux compromissions internationales sur de supposés « consensus », des traités de libre-échange au déménagement de l’ambassade à Jérusalem en passant par les Accords de Paris sur le climat.
Tout de même, Trump a eu une propension à être volontairement clivant, peut-être à cause d’une personnalité égocentrique. Il a consolidé sa base électorale sans avoir pu l’élargir.
Les confusions dans la gestion de la pandémie n’ont pas aidé. Le président aurait dû afficher un peu plus de compassion. Il ne suffisait pas de déléguer ce travail à Mike Pence et à la Première dame. Le coronavirus a pu agir comme un révélateur de la faiblesse de l’appui de Trump dans l’électorat féminin, qui n’était pas acquis, et chez les personnes âgées.
Le Parti républicain devra aussi reprendre le débat avec des leaders urbains qui ont succombé aux sirènes démocrates. Il n’est pas sain qu’un grand parti n’aie pas le dessus dans plusieurs métropoles.
Une stratégie électorale incertaine
Il manquait peut-être à sa campagne un message clair, porteur et rassembleur, autre que le slogan de 2016 (MAGA). C’est une marque d’égocentrisme de ne pas se renouveler. « Je suis parfait ».
Et après?
De nombreux facteurs culturels et la force de la société civile laissent penser que l’Amérique pourra se reprendre en main. Ce n’est pas demain que les gauchistes vont prendre le pouvoir. Les partisans de Trump ont élu plusieurs représentants capables de débattre et de peser sur les choix futurs. L’esprit d’entreprise américain et la fierté nationale n’ont pas disparu.
L’adversaire du moment, la Chine totalitaire, est aussi un colosse aux pieds d’argile : sa classe moyenne a passé un contrat résiliable avec le régime communiste : voir augmenter son niveau de vie en échange de sa passivité politique. Plusieurs nuages s’accumulent qui mettent en péril cette croissance continue : la Chine souffre d’un système financier opaque et surendetté, ses minorités nationales se rebellent, ses voisins s’en méfient. De quoi affecter sa marge de manoeuvre.
L’application du programme démocrate pourrait ralentir la reprise américaine. Il y a un danger que Biden, un candidat extrêmement corrompu et à la santé chancelante, doive laisser sa place à Kamala Harris, beaucoup plus connectée sur la gauche du Parti démocrate. C’est là-dessus que comptent les Sanders et autres Ocasio-Cortez pour avancer leur programme radical en environnement, pour détruire la méritocratie au bénéfice des minorités courtisées et hausser les impôts de tout le monde.
Cependant, il y a eu un peu d’exagération à propos de l’avenir de l’extrême gauche au Parti démocrate. Il n’est pas sûr qu’ils gardent finalement tant d’influence. Ce ne sera pas la première fois que la direction du parti les fera passer à la trappe après s’être servis d’eux. On n’a qu‘à voir comment Bernie Sanders a été marginalisé à plusieurs reprises, même s’il semble avoir repris du galon récemment. Les prochains mois verront peut-être une nuit des longs couteaux.
L’arrivée de Biden aux commandes ne marquera pas le premier recul des États-Unis. Et l’Oncle Sam pourra s’en relever. N’oublions pas qu’après Carter, il y a eu Reagan.
Nous, les conservateurs, ne pensons pas que l’histoire est écrite d’avance, comme les déterministes du champ gauche. Nous croyons à la puissance des idées et de la liberté et nous ne nous découragerons pas de la défaite d’un certain conservatisme chez notre voisin du Sud. Il ne tient qu’à nous de bâtir dans notre propre pays un programme attrayant basé sur les valeurs qui ont fait le succès des sociétés occidentales et qui relève avec courage les défis de notre temps.
Trump, c’était le général Patton de la guerre culturelle. Un caractère difficile, mais un vrai leader. Une bataille a été perdue, mais des forces immenses attendent en réserve, celles qui croient en la liberté de dire et d’entreprendre. Le peuple américain et l’Occident peuvent reprendre l’initiative et se tourner vers d’autres figures inspirantes.
On a dit que Trump incarnait toutes les grandes valeurs américaines. Disons qu’il les incarnait imparfaitement, mais avec force. Inspirons-nous de cette force.