J’ai eu le malheur de suivre l’interminable dépouillement des votes de la partielle de LaSalle-Émard-Verdun hier, qui s’est conclue autour de 2h30 du matin. Je le dis à la blague, puisque, tout de même, malgré le plus long dépouillement en raison de l’action militante du collectif The Longest Ballot, la course à trois extrêmement serrée entre le NPD, le Parti Libéral et le Bloc Québécois s’est avérée assez divertissante. En effet, toute la soirée, les trois candidats n’ont cessé de s’entre-dépasser, et à plusieurs reprises, les résultats étaient si serrés qu’on avait carrément des égalités entre des candidats. Le bloc a remporté un château fort libéral, ce qui est un coup dur pour Trudeau, certes, mais que penser de ces résultats serrés qui auraient facilement pu déboucher sur une victoire libérale ou néo-démocrate?
D’abord, ce qui saute aux yeux, c’est la vitesse avec laquelle la candidate libérale Laura Palestini a jeté la serviette et fait son discours de défaite, autour de 22:40. Elle était alors troisième ; une catastrophe pour les libéraux. Mais les résultats étaient si serrés qu’il a fallu attendre qu’au moins 97% des boîtes soient dépouillées, dans les alentours de 2 heures du matin, avant d’annoncer une victoire. Pire : Laura Palestini est en fait revenue en tête à plusieurs reprises pendant la nuit, menaçant sérieusement de l’emporter dans la dernière heure, avant de finalement être supplantée à nouveau par Louis-Philippe Sauvé, du Bloc Québécois. Elle a donc terminé en seconde position plutôt qu’en troisième.
Ce départ hâtif lors d’une soirée électorale qu’on annonçait déjà très longue a donné une image de sérieux défaitisme dans le camp libéral… Une image de déroute. C’est comme si dès les premières minutes, Laura Palestini, s’était résignée à la troisième place et avait baissé les bras. L’hécatombe venait de commencer dans les sièges libéraux ; il n’y avait plus rien à faire. Dans les faits, elle est passée très proche de gagner… Mais en politique, tout est une question d’image ; elle va sûrement se le faire reprocher.
Pour le Bloc Québécois, c’est évidemment une victoire qu’ils vont chercher à mousser, pour se présenter comme l’alternative de choix pour les Québécois lors de la prochaine élection. Mais elle sera probablement aussi un levier de négociation supplémentaire pour Yves-François Blanchet dans sa relation avec le gouvernement minoritaire de Justin Trudeau. Depuis que l’alliance entre le Parti libéral et le NPD a été dissoute, le bloc forme la balance du pouvoir et peut déterminer si on tombe en élection.
À moins, au contraire, que cette victoire gonfle le Bloc d’optimisme et l’encourage au contraire à précipiter la chute de Trudeau le plus tôt possible. Et pour être honnête, bien des gens en seraient soulagés…
D’ailleurs, notons que cette partielle se déroulait le premier jour de la reprise des travaux parlementaires à Ottawa, ce qui donne assurément le ton pour démarrer la saison! À tout moment, nous pourrions tomber en élections, et à peu près tous les analystes et sondeurs s’entendent pour dire qu’il va s’agir d’une hécatombe libérale. L’entièreté de la carte semble virer au bleu… mais le Québec y résiste encore beaucoup. Ou plutôt, il tombe dans une autre teinte de bleu. On le sait : si au Canada, l’alternative aux Libéraux est habituellement le Parti conservateur, au Québec, c’est habituellement le Bloc.
Il y a donc une forte compétition en ce moment entre le Bloc et le Parti Conservateur pour gagner le cœur de la population québécoise. Les conservateurs ne se faisaient probablement pas trop d’illusions quant à leur potentiel de ravir ce château-fort libéral qui avait épousé la vague orange en 2011, mais voir le Bloc le faire à leur place doit probablement faire un pincement au coeur. En fait, c’est plutôt mi-amer pour les conservateurs : il s’agit d’une défaite libérale et d’un signal clair de la déconfiture à venir, mais en même temps, elle consolide un peu la position du bloc pour le prochain cycle électoral.
Remarquez que la performance des conservateurs dans la circonscription s’est tout de même amélioré, passant de 7,5% à 11,6% des votes, mais ce n’était clairement pas assez pour entrer dans la course avec les trois partis en tête, qui se talonnaient entre 26%, 27% et 28%.
Pour ce qui est du NPD, le candidat Craig Sauvé a mené durant de bonnes parties de la soirée, ce qui doit rendre la défaite amère. En effet, le parti de Jagmeet Singh a déployé beaucoup d’efforts dans les derniers mois afin de prendre LaSalle-Émard-Verdun, et il devait espérer commencer la saison en beauté suite au bris théâtral de son alliance avec Trudeau, tout récemment. D’ailleurs, le NPD avait déjà réussi à prendre la circonscription lors de la « Vague orange » de 2011. Ce ne fut pas assez cette fois-ci – Jagmeet Singh n’est pas Jack Layton… – mais tout de même, la course a été assez serrée pour penser que le Parti libéral pourrait bel et bien être en danger dans des circonscriptions plus de gauche.
D’ailleurs, le NPD a conservé son siège dans l’autre partielle au Manitoba, ce qui compense probablement sa défaite à Montréal.
Bref, bien qu’il s’agisse d’une victoire éclatante pour le bloc dans le sens qu’il prend une région traditionnellement libérale, les résultats demeurent un peu mitigés en raison de l’extrême concurrence de tous les partis impliqués. Les résultats sont si serrés qu’il est difficile de tirer des conclusions sur qui profitera le plus des résultats de cette partielle. La seule chose qui semble absolument claire, c’est que le Parti libéral est en chute libre et les autres partis ont déjà commencé à se diviser son électorat.