Depuis quelque temps sur Facebook, on constate une hausse marquée de demandes sur des pages de type spotted de gens qui demandent aux habitants de leur ville ou quartier s’ils ont des emplois disponibles à occuper rapidement. Bien sûr, cela ne remplace pas des études statistiques sérieuses, mais c’est néanmoins symptomatique de la crise actuelle. Est-ce que le patronat n’a pas amplement exagéré la soi-disant pénurie de personnel ? Quelques éléments de réflexion s’imposent.
Si on va sur un site de recherche d’emploi comme Indeed, on peut se dire qu’effectivement, il y a une grave crise de pénurie de personnel partout. Des centaines d’offres par exemple dans une ville de taille moyenne comme Sherbrooke. Pourtant, lorsque nous grattons un peu la surface, on constate qu’il s’agit souvent des mêmes employeurs : des chaînes de magasins et de restaurants, du nettoyage, de la vente. Pas grand-chose n’est indiqué si l’on a un diplôme qui permettrait en théorie de travailler pour une institution publique.
Les emplois mentionnés plus haut, qu’il s’agisse d’être vendeur, commis de dépanneur ou aide-cuisinier, ce sont tous des emplois précaires et mal payés avec peu d’avantages sociaux. Le patronat nous dit souvent qu’ils font régulièrement de nouvelles concessions aux employés pour qu’ils restent, et pourtant, le roulement demeure. Dans une chaîne d’équipement de bureaux par exemple, sur les 20 employés actuels, un employé rentré il y a 6 mois est parmi ceux ayant le plus d’ancienneté. Les autres sont partis par ennui au travail, ou à cause des caprices du patron. Le patron refuse de récompenser ses meilleurs employés, qui quittent pour d’autres emplois précaires.
On dit souvent que les jeunes ne veulent pas travailler, mais est-ce possible qu’ils voient les avantages sociaux de leurs parents, et qu’ils savent pertinemment qu’ils n’auront jamais à ceux-ci, même en travaillant pour l’État ? Par exemple, dans le nord du Québec, il est toujours possible de travailler sur des barrages ou dans les mines, mais pas aux conditions des anciens avec la généralisation de la sous-traitance. Qui a non seulement nullement empêché la hausse des coûts, mais aussi diminué les conditions de travail de plusieurs gars rentrés après leurs collègues plus anciens ?
De plus, Couche-Tard affirme recevoir plus de 25 000 pour ses dépanneurs au Canada et aux États-Unis. De même que Wal-Mart pour un nouveau magasin affirme avoir reçu plus de 3000 candidatures pour 300 postes. Qu’est-ce que ces chiffres-là démontrent ? Selon un directeur interrogé dans l’article de La Presse, il affirme que ce sont probablement des gens qui cherchent un deuxième emploi. C’est mauvais signe. Ça veut dire que les gens s’appauvrissent et qu’il est de plus en plus difficile de rejoindre les deux bouts avec un seul emploi.
Donc, peu importe, qu’il y ait ou non une pénurie de personnel, la hausse des taux d’intérêt, l’inflation qui continue de ronger notre salaire, affecte l’ensemble de la société. Les employeurs offrant de bonnes conditions sont peut-être frileux d’investir dans un contexte incertain. Et les autres qui offrent de mauvais emplois, profitent d’une main-d’œuvre qui n’a pas vu ses conditions tant s’améliorer depuis une vingtaine d’années. Le salaire n’est pas tout. Quand bien même que le salaire minimum serait maintenant de plus de 15$ de l’heure, les mauvaises habitudes patronales sont tenaces.
Le libre marché a permis le développement de nos sociétés. Il permet en théorie aux inventeurs et aux aventuriers de faire compétition pour attirer à la fois les clients et les employés, au grand bénéfice de tous. Mais il y a quelque chose de brisé lorsque les entreprises rechignent à payer plus pour leurs employés qui sont en principe capables de trouver mieux ailleurs. Même si ce n’est que pelleter le problème ailleurs. La pénurie de personnel et la victimisation des lobbys d’affaires font qu’il est difficile de prendre les acteurs économiques en pitié quand ils réclament toujours plus de travailleurs étrangers qui feront une pression à la baisse sur les salaires et les conditions pour les natifs ou même pour les immigrants arrivés avant eux qui se sont intégrés à notre écosystème.