La carrière de Justin Trudeau est en phase terminale. Selon les projections 338Canada, tous les sondages depuis plus d’un an donnent une avance aux conservateurs, et cette avance ne fait que monter. La projection de siège actuelle leur donnerait une super majorité avec plus de 200 sièges.
Même si Trudeau n’avait pas été un désastre qui a régné sur une augmentation monstre du coût de la vie et accumulé plusieurs scandales éthiques, le simple fait qu’il ait été au pouvoir pour près d’une décennie ne lui est pas favorable. Peu importe qu’il lance de l’argent à tel et tel groupe pour faire disparaître le problème – comme il a fait tout au long de sa vie – ça ne se règlera pas. La seule chose qu’il peut faire, c’est reporter le plus possible l’élection d’ici au 20 octobre 2025 et s’accrocher au pouvoir jusqu’à la fin.
Ça donne à son adversaire, Pierre Poilievre, une position particulière : celle de Premier Ministre en attente. Une position assez enviable; c’est plutôt rare qu’on semble autant assuré de l’issue d’une élection un an à l’avance comme ça. Cela dit, c’est surtout une élection basée sur la nécessité de sortir Trudeau plutôt qu’un appui total à Poilievre. Donc, une fois que Trudeau sera hors du théâtre politique, que va faire Poilievre?
C’est une question qui se pose, car la plus grande force et le plus grand défaut de Poilievre est son adaptabilité et sa flexibilité. Ce n’est pas un idéologue, mais plutôt quelqu’un qui essaye d’être au milieu des Conservateurs, tout en restant assez croquant pour apparaître combatif – un atout pour les politiciens de droite en notre époque. À voir ces chiffres de sondages, cela s’annonce une stratégie gagnante.
Pour le complimenter, je pense qu’il est un politicien habile, capable de faire parler de lui et d’être une espèce de provocateur modéré, capable de donner de la viande rouge à sa base, tout en évitant d’être trop comparé à Donald Trump, qui n’est pas particulièrement populaire chez les électeurs canadiens. La question est plus sur le fond que sur la forme.
Dans cette vidéo, il établit ce que seraient les priorités de son gouvernement
- Couper les impôts
- Bâtir des logements
- Réparer le budget
- Stopper le crime
Toutes des positions qui raisonnent bien sur papier, mais avec une grande absente: l’immigration.
L’immigration est directement ou indirectement liée aux quatres problématiques citées par Poilievre, mais pourtant, il est difficile de trouver des clips ou il en parle, contrairement à quasiment tous les autres sujets. Et ceux qu’on peut trouver sont… incohérents.
Ici il parle devant une foule d’Indiens et promet de stopper les déportations de personnes avec des permis expirés (ça ne fait pas très « Loi et ordre »…) mais ici il dit qu’il faudrait baisser l’immigration considérant la cadence de notre construction de logements. Au mieux, on peut qualifier la position de Poilievre comme “pas claire”. Il est possible qu’il se stabilise sur cette question, on est encore loin de l’élection, cela dit, il me semble un peu absurde qu’il ne saute pas sur cette question quand des sondages indiquent qu’environ le trois quart des Canadiens trouvent que les seuils d’immigration sont trop hauts.
Il faut cependant dire, à ce point, pour gagner les élections avec une aussi grande majorité que ce qui est prédit dans les sondages, le PCC va avoir besoin de beaucoup de votes d’immigrants, c’est logique. En fait, il se pourrait que ça soit un calcul : il est sans doute plus facile et plus payant d’aller chercher des sièges à Toronto plutôt que de gruger quelques sièges au Bloc. La problématique de l’immigration est bien différente au Québec qu’au Canada Anglais.
Malgré tout, il y a une opportunité manquée de la part de Poilievre de calquer un peu le discours de François Legault en 2018: “ On va en prendre moins, mais on va en prendre soin”. Un discours plutôt modéré qui ne ferait peur à personne, même aux immigrants eux-mêmes.
Sinon, Poilievre pourrait se porter comme le représentant de ceux en ayant plein le casque du politiquement correct, défendant l’automobile comme un symbole d’autonomie individuelle, le pétrole comme une source de prospérité, les armes à feu comme un symbole du citoyen modèle. Par contre, contrairement à, disons, ce qu’étaient le pot et ses consommateurs pour Trudeau en 2015, ces diverses tendances de droite forment un public déjà acquis aux conservateurs. Poilievre manque d’un projet pour gagner des nouveaux votes enthousiastes, désirant voter pour lui et non pas « contre Trudeau ».
Le point que j’essaie d’amener n’est pas que Trudeau va gagner un quatrième mandat, mais que Poilievre risque de s’ennuyer de Trudeau pour rallier le Canada autour de lui. Une fois que c’est lui qui va être sur la ligne de tir des médias quand quelque chose va mal aller. Il lui faudra un grand enthousiasme de la part des canadiens pour le défendre, enthousiasme que j’ai du mal à imaginer pour l’instant.
Pour ceux qui pensent que je fais du défaitisme, j’aimerais vous rappeler deux exemples historiques. Tout d’abord, celui de Pauline Marois, après 9 ans de Jean Charest (figure associée à la corruption et qui a fini son mandat en perdant son propre siège en pleine crise des carrés rouges). Les libéraux ont pourtant regagné la majorité avec Couillard seulement un an et demi plus tard. Si l’on va au fédéral: Joe Clark, n’aura même pas fait un an en tant que Premier Ministre avant que Pierre Trudeau récupère son siège en 1980. L’avantage que Poilievre a par rapport à ces deux cas est qu’il aura vraisemblablement un gouvernement majoritaire, cependant, cela donne plus de temps aux Libéraux de se reconstruire. Il ne faut absolument pas prendre pour acquis que les électeurs vont en vouloir aux libéraux pour toujours. Au pire, ils vont dire “le problème, c’était Trudeau”.
En fait, le pire scénario, c’est que si la situation concernant le coût de la vie ne s’améliore pas rapidement, les électeurs pourraient en venir à la conclusion “dans le fond, Trudeau n’était pas le problème”, et ce même s’il l’est absolument.
Pour faire bref, oui, Pierre Poilievre sera vraisemblablement le prochain Premier Ministre Canadien, avec une très grande majorité. Cependant, ce que je ne vois personne dire, c’est que tout s’annonce pour qu’il ait un mandat difficile devant lui et que s’il veut le demeurer, il faudra qu’il travaille très dur pour se montrer à la hauteur.