Le gouvernement Legault a révélé ces derniers jours son « Plan pour la langue française », qui représente des investissements de 603 millions de dollars sur cinq ans pour contrer le déclin du français au Québec. C’est le ministre de la Langue française Jean-François Roberge qui a présenté ce plan en 21 mesures, et il a expliqué que 183,3 millions de dollars seraient alloués pour « augmenter l’offre culturelle et la découvrabilité sur des plateformes comme Netflix et Amazon Prime ». En d’autres mots, le gouvernement annonce son intention de vouloir réglementer le web et les algorithmes des plateformes, ce qui donne des airs de déjà-vu, le gouvernement fédéral de Justin Trudeau ayant passé des lois semblables ces dernières années avec des résultats assez catastrophiques…
Qu’on me comprenne bien ; je suis de tout cœur avec la cause de la protection du français, et je suis même un peu soulagé que le gouvernement réalise enfin l’influence du web sur l’anglicisation québécoise – qui était un angle mort depuis de nombreuses années – mais je ne peux m’empêcher d’être un peu sur mes gardes.
Trop souvent ces derniers temps, quand les gouvernements ont cherché à mieux réglementer le web, ils ont fini par nuire à la liberté d’expression et ruiner son dynamisme. Et j’ai de très gros doutes quant à l’obsession réglementaire qu’on cultive dans chacune de ces initiatives ; je doute fort que ce soit la solution. Ainsi, quand j’entends Roberge dire qu’il va « forcer les plateformes » à modifier leurs algorithmes pour présenter plus de contenu français, je vois venir les mêmes problèmes soulevés qu’au fédéral.
En subordonnant les plateformes web au CRTC avec la loi C-11, le gouvernement Trudeau a enfermé l’internet canadien dans une bulle à part… Veut-on réellement se créer une bulle québécoise dans la bulle canadienne? Qu’est-il donc arrivé au concept de « world wide web »?
Une culture web mal cernée
J’écris surtout cette réflexion parce que je ne sais pas exactement ce que le ministre entend par « plateformes » et jusqu’où il veut aller ; car il y a des différences fondamentales entre certaines de ces plateformes, et ça semble trop souvent négligé par les politiciens.
D’abord, il y a une énorme différence entre des sites de streaming comme Netflix, AppleTV, Disney, HBO et des plateformes web telles que YouTube, Google, Tik Tok, etc.
Les uns ne sont que des projecteurs de divertissement ; une expérience passive, semblable à la télévision. Il n’y a pas réellement de culture web sur ces plateformes ; on ne fait qu’y écouter des films chacun dans nos maisons comme on le faisait avant internet. Ces sites ne diffusent que ce qu’on pourrait appeller la « culture officielle »; c’est-à-dire les grosses productions.
Les autres, comme YouTube, sont carrément des réseaux sociaux où tout le monde peut publier du contenu, commenter, partager, etc. C’est sur ces sites que se façonne la culture web – et par extension, la culture « officieuse » dans son sens large. Ils forment en quelque sorte un nouvel espace public, une nouvelle agora où se forment de nouvelles tendances culturelles.
La distinction doit être très claire entre cette « culture officielle » et « culture officieuse » et entre les plateformes de streaming et les médias sociaux qui les représentent : manquer de le faire pourrait mener le gouvernement à penser réglementer une industrie – celle du divertissement – en réglementant en fait les interactions entre les gens sur des agoras numériques – et donc la société elle-même.
Si le ministre se limite à demander à Netflix de présenter plus de films québécois, ça ne sera pas si mal, mais s’il demande à YouTube d’en faire autant, ce projet de loi prendra une toute nouvelle signification et deviendra inacceptable pour beaucoup de gens.
Qu’est-ce que la culture, pour le gouvernement?
Le principal problème de l’approche gouvernementale, c’est de penser que protéger la culture québécoise passe entièrement par la sauvegarde de son industrie culturelle.
Il faut bien le comprendre, l’industrie du divertissement n’est pas la culture d’un peuple ; ça en est seulement l’une de ses expressions. Et tout comme la culture web n’est pas Netflix ou Amazon Prime, mais se forme organiquement sur les réseaux sociaux, la culture québécoise n’est pas créée dans des studios montréalais ; elle se développe dans nos rues, dans nos foyers, dans nos communautés.
Mais lorsque la culture est discutée au niveau gouvernemental, on semble y préférer la définition restreinte. « Supporter la Culture », pour tous les dinosaures du jet set québécois et du gouvernement, c’est essentiellement donner des gros chèques et des réglementations avantageuses à l’industrie du divertissement. La vraie culture ; la culture organique qui se crée dans le quotidien des gens et sur les réseaux sociaux, est constamment négligée.
Maintenant, on peut arguer que l’industrie du divertissement – qu’on appelle pompeusement les « milieux culturels » – a une fonction de transmission culturelle, et qu’elle a une réelle influence sur la société et sa culture. Avoir plus de productions québécoises devrait logiquement encourager les gens à parler français et être fiers de leur langue. Mais plus que jamais auparavant, cette influence s’est érodée. Elle s’est dissoute dans la gargantuesque production de contenus 24/24 par des utilisateurs du monde entier.
Un menu de films québécois ou français sur Netflix ne fera jamais le poids en termes d’influence sur le langage contre les milliers de shorts et de Tik Tok de partout dans le monde que les jeunes se partagent à longueur de journée. Ils n’apprennent plus à parler à regardant leurs héros dans des films qu’ils ne voient que quelques fois dans leurs vies ; ils apprennent les jargons de leurs influenceurs préférés ou de n’importe quel contenu web qui les intéressent sur le moment.
C’est sur les réseaux sociaux comme Tik Tok ou YouTube que les jeunes s’anglicisent ; pas sur les plateformes de streaming. On tombe donc sur un nouveau problème : si le déclin du Français est plus attribuable aux médias sociaux qu’aux plateformes de streaming, on ne peut pas pour autant tenter de réglementer les réseaux sociaux avec les mêmes logiques ; on tomberait rapidement dans l’atteinte à la liberté d’expression, voire dans une forme vicieuse d’ingénierie sociale par l’État.
En mettant Netflix et Youtube dans le même panier; on ne cerne pas convenablement l’enjeu et risque de créer beaucoup de problèmes pour peu de résultat.
La culture web fonctionne à la carotte, pas au bâton
On se retrouve donc dans une impasse, non? Réglementer les plateformes de streaming ne règlerait pas le problème, mais on ne pourrait pas non plus réglementer les médias sociaux sans limiter la liberté d’expression…
C’est peut-être parce que la solution n’est pas nécessairement de réglementer davantage, mais plutôt de créer de meilleurs incitatifs pour de la création de contenu québécois.
Nous entrons dans une nouvelle ère où le contenu de divertissement est créé de manière organique parmi la population, via les réseaux sociaux. La culture qui en émerge est plus dynamique que jamais, plus insaisissable, plus mondialisée, aussi… Elle n’est plus confinée aux médiums étroits des arts traditionnels et de l’industrie.
Tout soutien gouvernemental à la culture ou du fait français doit prendre cette nouvelle réalité en compte.
Peut-être qu’au lieu de trafiquer les lois et les subventions en faveur des grosses productions et l’industrie culturelle, le gouvernement devrait commencer à explorer la possibilité de mieux soutenir les créateurs web, les influenceurs, les Tik Tokeurs et les YouTubeurs, qui influencent directement le web et les générations montantes.
Dans cette éventualité, il serait aisé et légitime de rendre ce soutien conditionnel à un bon usage du français et certains critères définis. On n’enlèverait donc rien créateurs, on ne viendrait pas ruiner le dynamisme libertaire du web par de nouvelles lois ; on offrirait simplement un meilleur soutien aux créateurs de contenu qui se donneraient la peine de faire une bonne promotion de la culture québécoise francophone.
Pensez-y : Il ne fait aucun sens que tant d’argent soit encore gaspillée dans le gouffre sans fond du jet set québécois alors que des influenceurs sont capables d’avoir de meilleures cotes d’écoutes avec des budgets infinitésimaux.
Ça semble être une farce, mais je suis très sérieux : redirigeons ces sommes considérables vers les influenceurs pour leur apprendre à parler. Et tâchons de ne pas prendre la route réglementaire dystopique de Justin Trudeau en s’enfermant dans une bulle internet québécoise censurée et contrôlée à l’intérieur d’une bulle internet canadienne censurée et contrôlée…