D’après un article de Ruchir Sharma publié dans le Financial Post le 2 juin 2025
Alors que les débats économiques aux États-Unis tournent de plus en plus autour de la possibilité de dévaluer le dollar pour relancer la fabrication nationale, un contre-exemple de taille s’impose discrètement depuis des décennies : la Suisse. Comme l’explique Ruchir Sharma dans le Financial Post, le franc suisse, loin d’être un frein, est la devise la plus solide du monde — et pourtant, la Suisse demeure l’une des économies manufacturières les plus performantes du globe.
Le franc suisse : la devise la plus performante du monde
Ruchir Sharma rappelle que le franc suisse surpasse toutes les autres monnaies depuis 50 ans, 25 ans, 10 ans, 5 ans, et même au cours de la dernière année, malgré les rebonds de certaines devises affaiblies. Cette performance monétaire durable ne semble nullement avoir nui à la compétitivité helvétique. Au contraire, la Suisse affiche des exportations proches de leurs sommets historiques, représentant 75 % de son PIB et près de 2 % du commerce mondial.
Loin d’illustrer une théorie selon laquelle une monnaie forte freine les exportations, le modèle suisse montre qu’une économie peut prospérer en misant sur la qualité de ses produits et sur la réputation du label « Made in Switzerland ».
Qualité, innovation et sophistication industrielle
La clé du succès suisse réside dans la sophistication de ses exportations. Sharma souligne que le pays est classé premier par le Harvard Growth Lab pour la « complexité » de ses exportations — un indice mesurant le niveau avancé de savoir-faire nécessaire à leur fabrication. Ces produits vont bien au-delà du chocolat et des montres de luxe : ils incluent médicaments, produits chimiques, et composants technologiques.
L’innovation joue un rôle central. Depuis plus d’une décennie, la Suisse domine les classements des Nations Unies en matière d’innovation, non seulement en raison de ses investissements massifs en recherche et en éducation appliquée, mais aussi grâce à son retour sur investissement tangible.
Le pays génère plus de 100 dollars américains de PIB par heure travaillée — un niveau de productivité supérieur à celui des 20 plus grandes économies mondiales.
Un tissu entrepreneurial unique et un excédent extérieur solide
L’économie suisse repose sur un système politique et économique décentralisé, qui favorise l’essor de petites entreprises — lesquelles représentent plus de 99 % des sociétés du pays. Pourtant, elle possède aussi une concentration élevée de grandes entreprises mondialement compétitives dans les secteurs pharmaceutique, chimique, et de la haute technologie.
Son secteur manufacturier représente 18 % de son PIB — l’un des niveaux les plus élevés parmi les pays développés. Plus de la moitié des exportations suisses sont considérées comme « high-tech », soit plus du double de la part américaine.
Grâce à des produits hautement spécialisés et coûteux, la Suisse maintient un excédent courant moyen supérieur à 4 % du PIB depuis les années 1980. Ces revenus commerciaux sont réinvestis massivement à l’étranger, contribuant à un excédent net d’investissement international de plus de 100 % du PIB, ce qui renforce sa résilience face aux chocs économiques mondiaux.
La dette privée : la seule ombre au tableau ?
Sharma note que le principal point faible de l’économie suisse est son niveau élevé de dette privée. Toutefois, à la différence des États-Unis ou d’autres pays européens, la Suisse compte très peu de « zombie companies », ces entreprises incapables de rembourser les intérêts de leur dette.
Cette solidité structurelle permet à la Suisse d’opérer efficacement quel que soit le climat économique mondial. Lors du choc monétaire de 2015, le franc s’était envolé à la suite d’un changement de politique de la Banque nationale suisse. Les industriels suisses n’ont pas paniqué : ils ont simplement réorienté leur production vers des biens encore plus sophistiqués, moins sensibles aux variations monétaires.
Une leçon pour les grandes puissances économiques
Enfin, Ruchir Sharma met en garde contre les illusions économiques persistantes en Occident, notamment aux États-Unis. Si certains pays d’Asie de l’Est ont initialement tiré parti de monnaies sous-évaluées pour se développer, ce ne fut qu’un facteur parmi d’autres : infrastructures, ouverture au capital étranger et montée en gamme ont joué un rôle plus déterminant.
Pour les économies avancées, miser sur la qualité plutôt que sur le prix est essentiel. Une monnaie faible peut même être contre-productive en incitant les industriels à produire des biens bon marché, plutôt que de viser l’excellence. La leçon suisse est claire : un franc fort, accompagné d’innovation, de rigueur et d’une marque nationale forte, est loin d’être un obstacle. Il est même un modèle à suivre.