C’est un secret pour personne : Trump a l’habitude des formules chocs. Ce n’est donc pas une surprise que tant de gens soient scandalisés au sujet de ses récentes déclarations sur l’OTAN. Lors d’un rally devant ses partisans, il aurait déclaré que les États-Unis sous sa gouverne ne porteraient pas assistance aux pays qui n’investissent pas assez dans leur défense advenant une attaque russe, ajoutant même qu’il encouragerait la Russie « ‘à faire ce que bon lui semble ».
C’est effectivement choquant de penser que la principale puissance de l’OTAN ferait fi de l’article 5 qui stipule que tous les alliés doivent se porter assistance en cas d’attaque, et encore plus choquant de penser que Trump encouragerait la Russie dans ses prédations, cela dit, n’est-on pas en train de s’offusquer de la forme du message plutôt que de son contenu? Pourquoi les États-Unis devraient-ils constamment être le chien de garde de pays qui refusent obstinément de financer convenablement leurs forces armées comme le requiert l’OTAN?
En 2006, les ministres de la Défense des pays membres de l’OTAN ont convenu qu’ils devaient dépenser au moins 2% du PIB de leurs pays respectifs en défense afin de maintenir les capacités opérationnelles de l’alliance. Cette « règle du 2% », bien que non contraignante, est toutefois jugée comme un minimum pour faire sa part dans l’organisation. Or sur les 28 membres en 2014, seulement 3 pays investissaient plus de 2%, et sur les 30 membres en 2022, ils étaient n’étaient que sept à le faire.
Évidemment, dans tout ça, les États-Unis sont loin devant, investissant en moyenne le double de ce que leurs alliés dépensent en termes de défense, ce qui cause de plus en plus de frustrations vis-à-vis d’alliés qui ne semblent pas prendre leur défense au sérieux, s’attendant toujours à être secourus par les Américains en cas de crise.
Autrement dit, c’est comme si les pays membres de l’OTAN voulaient bénéficier de l’assurance que constitue l’organisation sans pour autant payer leur juste part. Vous imaginez ce qui arriverait avec votre compagnie d’assurance si vous cessiez de payer l’entièreté de vos cotisations? Poser la question, c’est y répondre.
Il est donc ahurissant de voir le niveau d’hypocrisie dans les analyses à ce sujet, et comment on perd de l’énergie à s’insurger contre les propos de Trump sans jamais démontrer la moindre intention de régler le problème sous-jacent qui entraîne la frustration très légitime des américains.
Trump est extrêmement sévère contre l’OTAN ; il a menacé à plusieurs reprises de retirer les États-Unis de l’organisation précisément en raison de ce problème. Mais Trump n’est pas opposé à l’OTAN en soi ; il ne fait ce genre de pressions que pour son bien et pour forcer les États membres à faire leur juste part. Dans les faits, la contribution des États-Unis à l’OTAN a augmenté sous la présidence Trump.
Mais les États membres continuent à faire à leur tête et à être négligents. On n’a d’ailleurs pas à chercher bien loin : on apprenait en avril 2023 que Justin Trudeau avait déclaré en privé à l’OTAN que « jamais » le Canada n’atteindrait les objectifs de l’alliance en matière de dépenses en défense. « Jamais »! Aussi bien dire que le Canada serait « toujours » vulnérable et dépendant des Forces armées américaines pour se défendre…
Trudeau a beau faire de beaux discours pour assurer que « le Canada est un partenaire fiable de l’OTAN, un partenaire fiable dans le monde entier », ça ne reste que des mots, des mots, toujours des mots… La réalité, c’est que le sous-financement de l’armée canadienne est une préoccupation grandissante chez nos alliés. Dans l’article de La Presse à ce sujet, on note que « L’OTAN, par exemple, est « préoccupée » par le fait que le Canada n’a pas renforcé son groupement tactique en Lettonie. La Turquie a été « déçue » par le « refus » du Canada d’aider à transporter l’aide après un tremblement de terre au début de l’année. Haïti est « frustré » par la réticence du Canada à organiser une mission de sécurité. »
Du côté américain, on déplore dans le Washington Post que «Les lacunes généralisées en matière de défense entravent les capacités canadiennes, tout en mettant à rude épreuve les relations avec les partenaires et les contributions à l’alliance».
C’est d’autant plus gênant qu’on apprenait l’été suivant que l’approvisionnement de notre armée était carrément en crise, et que nos soldats payaient de leur poche pour se procurer de l’équipement de base tel que « des imperméables, des ceintures pour les munitions ou encore des casques modernes ». Outre des dépenses militaires insuffisantes de manière générale, des lourdeurs bureaucratiques entre le ministère de la Défense et celui de l’Approvisionnement font en sorte que l’armée n’est même pas capable de dépenser l’entièreté de son budget, qui était de 10 milliards entre 2017 et 2021.
Cette situation limite considérablement les capacités opérationnelles de notre armée, en plus de la rendre peu attractive pour de nouvelles recrues dont elle manque énormément. Qui voudrait risquer sa vie au sein d’une organisation aussi broche à foin? Ce qu’on remarque, par contre, c’est une tendance croissante à la mise en place de politiques wokes et de campagne de promotion de la diversité et de l’inclusion en son sein, qui, encore une fois, ne vise pas exactement le bon public cible pour attirer de futurs militaires, et pourrait au contraire les dissuader.
Mais non, apparemment, le scandale, c’est que Trump ose critiquer les alliés des États-Unis qui ne font aucun effort pour assurer leur propre sécurité. Sur les ondes de TVA, on entendait l’ex-députée de la CAQ Joëlle Boutin s’inquiéter de l’éventuelle élection du monstre orange : «C’est très préoccupant. C’est comme s’il discréditait complètement une organisation […] qui a assuré quand même une stabilité au sein des membres. Je trouve ça très préoccupant. […] Ça me fait peur comme citoyenne canadienne». L’ex-ministre péquiste Stéphane Bédard, pour sa part, ne lésine pas en termes d’alarmisme : « Tout ce que ça démontre, c’est le risque qu’on court actuellement. Au niveau de la stabilité mondiale, l’élection de Trump aurait un impact épouvantable ».
Ainsi donc, notre classe politique et médiatique craint plus les conséquences d’une présidence Trump que le fait que nos soldats peinent à se procurer du matériel et doivent s’acheter eux-mêmes leurs casques? Ils s’inquiètent seulement de ne plus pouvoir profiter d’une assurance de défense aux crochets des États-Unis? Ce qui est réellement épeurant, c’est de voir à quel point on néglige notre armée et nos soldats et on s’attend constamment à être sauvés par les organisations internationales.
Les propos de Trump étaient-ils choquants? Certes. Mais la solution est d’une simplicité déconcertante : prenons nos responsabilités en matière de défense et finançons notre armée correctement. Voilà. Problème réglé.