Nous apprenions dans les derniers jours que la ville de Québec enregistrait une décroissance économique pour la première fois en 20 ans. En effet, selon le Conference Board du Canada, le produit intérieur brut aurait diminué de 0,4% en 2023. Si la perte de dynamisme de la ville se faisait déjà sentir par les citoyens et commerçants depuis quelques années, ces chiffres nous confirment finalement cette impression.
En réaction à ces données, le maire de Québec, Bruno Marchand, a reconnu des inquiétudes et en a profité pour ramener son projet de tramway à l’avant-plan : « Ça prend de grands projets pour tout ce qu’ils amènent économiquement et le tramway en fait partie. »
Bien qu’il ait raison au sujet des grands projets, qui semblent cruellement manquer à Québec depuis quelques années, cette manière d’instantanément retourner en mode promotionnel au sujet du tramway laisse songeur. N’est-ce pas justement le problème? Le fait que l’administration municipale ait développé une telle obsession pour ce projet, au point de ne voir aucun avenir pour la ville en dehors de celui-ci?
Quoi qu’on dise au sujet de la pandémie ou de la situation économique mondiale à l’heure actuelle, le maire a une part de responsabilité dans le recul économique de la ville de Québec. Marchand a passé l’essentiel de son temps depuis 2021 à parler de transport actif, de transport structurant ou de rues piétonnes, et ce, au moment où les commerçants aux quatre coins de la ville lançaient des signaux d’alarme.
Même le nouvo St-Roch, merveille de Jean-Paul l’Allier, semble replonger tranquillement dans la morosité des dernières années du Mail St-Roch ; les sans-abris ont recommencé à occuper l’espace, au point où le restaurant emblématique Woke N’ Roll a dû renoncer au service aux tables et ne sert qu’en livraison ou pour emporter. Les travaux sur Saint-Joseph n’ont certainement pas aidé à la reprise post-pandémique, mais quand même, on sent tout de même un recul.
En ce qui a trait à l’héritage du maire Labeaume, quoi qu’on pense de son style particulier, on ne peut nier l’immense dynamisme de Québec sous sa gouverne. Arrivé juste à temps en 2008 pour finaliser les préparations du 400e anniversaire de la ville, qui se révèlera un succès phénoménal, il a su maintenir le momentum pendant les 13 années suivantes et faire vivre à Québec des années de développement ininterrompu.
Certes, Labeaume voyageait beaucoup – trop, selon certains – mais il s’agissait de missions commerciales pour la plupart couronnées de succès, où il concluait des ententes et des partenariats avec des villes du monde entier. On se rappelle notamment les célébrations pour souligner le 50e anniversaire du jumelage de Québec avec Bordeaux. Il revenait avec des idées de projets d’embellissement pour la ville, mais ce n’était pas le seul point de ses voyages ; ils visaient le partage de connaissances en matière de développement économique, de tourisme et d’urbanisme, sans pour autant se limiter au transport durable.
Et des projets d’embellissement, il en a réalisé! Il a poursuivi la politique de redynamisation de la basse-ville de L’Allier, a lancé la création d’écoquartiers à la Pointe-aux-lièvres et d’Estimauville, a refait à neuf la promenade Samuel de Champlain, etc. Et des grands projets, il en a réalisé! Bien que les résultats soient mitigés, on lui doit le centre Vidéotron et l’anneau de glace de Sainte-Foy.
Sous sa gouverne, la ville accueille des évènements d’envergure internationale, comme le Red Bull Crashed Ice, où une descente de glace dans le Petit-Champlain donnait lieu à des courses en patin vertigineuses. Le Festival d’été de Québec passera d’un festival mineur à un incontournable pour les artistes du monde entier. Le maire travaillera aussi d’arrache-pied pour accueillir les Jeux Olympiques.
Encore une fois, si tous ses projets n’ont pas abouti, on ne peut nier que Labeaume aimait beaucoup sa ville et travaillait dur pour la faire rayonner à l’international.
Mais les dernières années du règne de Labeaume sont marquées par la montée des débats autour du transport à Québec, qui se cristalliseront autour du 3ième lien et du tramway. Après avoir hésité entre un service rapide par bus (SRB), Labeaume optera finalement pour le tramway. Il faut se le rappeler : le tramway n’est pas le projet de Marchand, mais celui de Labeaume. On disait même « le tramway de Labeaume » à l’époque pour le railler.
Mais désormais, Bruno Marchand semble avoir pris ce projet à bras-le-corps, au point où il est devenu l’axe principal de sa politique municipale. Malgré une élection extrêmement serrée où il était présumé perdant une partie de la soirée, le nouveau maire agit comme si la population de Québec lui avait donné le seul mandat de réaliser le tramway et résister au 3e lien. Son agenda politique semble obnubilé par la question du transport et ses seuls autres « grands » projets consistent essentiellement en la création de pistes cyclables, de rues piétonnes ou de limitation de la circulation automobile.
Là où Labeaume voyait probablement un peu trop grand – avec les Nordiques et les Olympiques, par exemple – et était peut-être un peu trop porté aux célébrations et à l’embellissement des places publiques, Marchand, pour sa part, semble obsédé par la décarbonation et les moyens de transports alternatifs. Il se sent investi d’une mission : celle de sauver la planète. Et en ce sens, il ne peut voir d’avenir pour Québec en dehors de sa vision étriquée du transport durable.
Il parcourt le monde pour aller regarder des pistes cyclables et s’étonner que des villes médiévales – construite à une époque où la majorité des gens se déplaçaient à pied – puissent aussi bien fonctionner en bannissant les voitures. C’est notre maire en espadrille ; l’apôtre du transport actif, qui sied mieux sur un vélo que dans une séance de conseil. Et désormais, Québec est devenue la ville d’un seul projet ; celui du tramway.
Et tout ce qu’on voit, ce sont des blâmes portés au gouvernement caquiste, dont les représentants ne seraient pas « de bons partenaires pour la région de Québec » et seraient la cause de l’abandon des grands projets ces dernières années. Certes, le gouvernement a sa part de responsabilité, mais il faut quand même se demander comment le prédécesseur de Marchand a réussi à tenir tête et mener à bien ses projets face à 4 premiers ministres différents! C’est une responsabilité partagée et le style du nouveau maire y est peut-être pour quelque chose ; c’est lui qui doit se battre pour sa ville, au final. Il n’est pas simplement là pour attendre que le gouvernement accepte de l’aider ; il doit trouver une manière de le faire plier en sa faveur.
Bref, quoi qu’on pense de la nécessité ou des retombées économiques potentielles du tramway à Québec, il faudra sortir de ce paradigme obnubilant et recommencer à rêver un peu plus grand pour Québec en dehors du transport durable. Il faut être capable de faire plusieurs choses à la fois, et ne pas rendre le développement de la ville conditionnelle à un seul projet. Nous sommes confrontés à de grands enjeux et au déclin économique de notre ville, il serait temps de changer d’approche.