Le troisième lundi de mai, c’est la Fête des Patriotes au Québec, une journée où nous rendons hommage aux luttes des Canadiens-Français contre l’autorité coloniale britannique en 1837-1838. Un événement tragique qui a marqué l’histoire de notre province. Mais dans le Canada anglais, ce même jour est célébré comme le Victoria Day, en l’honneur de la Reine Victoria, la souveraine qui a régné de 1837 à 1901. Bien que la monarchie britannique soit souvent perçue négativement au Québec en raison de l’histoire coloniale, il est important de considérer de manière plus nuancée le rôle de Victoria. Son règne a été une période charnière, avec des réformes significatives et une politique qui a façonné le monde tel que nous le connaissons aujourd’hui.
La Reine qui donna son nom à une époque
L’époque victorienne, qui s’étend de 1837 à 1901, correspond à une période de grands changements sociaux, économiques et culturels au Royaume-Uni et dans l’Empire britannique. Bien que la Reine Victoria ait pris le trône en 1837, son influence sur cette époque dépasse largement son statut de figure symbolique. En tant que monarque constitutionnelle, elle joua un rôle dans de nombreux développements politiques, et son règne est souvent associé à un renouveau dans les valeurs sociales et les politiques de l’Empire.
L’industrialisation rapide de l’Angleterre pendant le règne de Victoria a fait d’elle la figure centrale d’un empire en expansion, consolidé par la révolution industrielle. Le Royaume-Uni devint alors la première puissance industrielle mondiale, avec des innovations majeures dans les secteurs du textile, de la métallurgie et des transports. Cette période fut aussi celle de l’urbanisation massive, avec la croissance des grandes villes, notamment Londres, qui se transforma en centre mondial du commerce et de la finance.
Mais l’ère victorienne n’était pas uniquement marquée par la croissance économique. Elle fut aussi l’époque de profonds changements sociaux, avec une attention croissante aux réformes sociales. C’est sous son règne que le suffrage universel fut progressivement élargi, bien que les femmes ne soient pas encore entièrement incluses, et que les conditions de travail des ouvriers fût améliorées. Des lois furent adoptées pour limiter les heures de travail des enfants et des femmes, et des mesures furent prises pour améliorer les conditions de vie dans les villes industrielles en pleine expansion.
La croisade britannique contre l’esclavage
Bien que l’abolition de l’esclavage dans l’Empire britannique fût réalisée en 1833 avec le Slavery Abolition Act – quatre ans avant que Victoria ne devienne reine – c’est sous son règne que les efforts pour éradiquer la traite des esclaves ont été intensifiés. En tant que monarque d’un empire mondial, Victoria symbolisait une nouvelle ère où la moralité publique et la politique impériale se sont alignées pour mettre fin à la traite transatlantique des esclaves.
Le Slavery Abolition Act a aboli l’esclavage dans la majeure partie de l’Empire britannique, mais l’Empire était toujours confronté à des défis diplomatiques. L’abolition ne signifiait pas la fin immédiate des pratiques esclavagistes dans toutes les colonies, et de nombreux commerçants britanniques continuaient à tirer profit de l’esclavage dans des régions comme les Caraïbes et l’Afrique. Pendant son règne, la Reine Victoria soutint des actions politiques et diplomatiques pour renforcer l’abolition, en mettant en place des patrouilles navales pour empêcher la traite des esclaves, notamment en Afrique de l’Ouest. Ces efforts se concrétisèrent en 1840 par la signature de la Convention internationale pour interdire la traite des esclaves.
Victoria a également pris des mesures pour renforcer l’indépendance des colonies qui se libéraient progressivement de l’esclavage, notamment en rendant des décisions qui favorisaient l’immigration de travailleurs libres dans les anciennes colonies esclavagistes. Bien que son rôle direct dans l’abolition de l’esclavage ait été limité par la structure du gouvernement britannique de l’époque, elle soutint une politique de plus en plus abolitionniste au sein de son empire.
La grand-mère de l’Europe
La Reine Victoria est souvent surnommée la « grand-mère de l’Europe », car ses nombreux enfants ont épousé des membres de familles royales à travers le continent. Ce réseau familial est l’un des aspects les plus fascinants de son héritage diplomatique. Avec neuf enfants, la Reine Victoria a vu ses descendants régner ou occuper des positions influentes dans les plus grandes monarchies européennes. Ses enfants ont épousé des princes et des princesses de pays aussi variés que la Russie, l’Allemagne, la Prusse, et la Scandinavie.
À travers ces unions, Victoria a tissé des liens dynastiques qui ont façonné les alliances diplomatiques de l’Europe pendant près d’un siècle. Son fils aîné, Albert Edward, qui devint le roi Édouard VII, établit une relation étroite avec les autres cours royales, ce qui permit au Royaume-Uni de jouer un rôle clé dans la politique européenne. Ces alliances furent parfois sources de tensions, notamment entre la Russie et l’Allemagne, qui allaient influencer les événements menant à la Première Guerre mondiale.
Le rôle de Victoria dans l’Europe ne se limite pas à ses relations familiales. Elle était également un symbole de stabilité et de continuité pour les monarchies européennes, une figure maternelle et patriarcale pour ses alliés et ses ennemis, bien que cette image fut également une double-edged sword, notamment en raison de son rôle indirect dans la politique européenne.
Au-delà des ressentiments coloniaux
Au Québec, la relation avec la Couronne britannique a été profondément marquée par les rébellions de 1837-1838. Les Patriotes, sous la conduite de leaders comme Louis-Joseph Papineau et Wolfred Nelson, se sont rebellés contre un régime colonial jugé oppressif. Ces révoltes ont mis en lumière les tensions entre les aspirations des Canadiens-Français et le gouvernement britannique, qui refusait de reconnaître pleinement leurs droits politiques.
Il est cependant important de replacer ces événements dans le contexte des réformes qui se sont développées au sein de l’Empire britannique pendant le règne de la Reine Victoria. En 1848, une série de réformes ont été introduites au Canada, notamment l’adoption du gouvernement responsable, qui a permis une plus grande autonomie politique pour les provinces canadiennes. Cette réforme était une réponse directe aux insatisfactions exprimées lors des rébellions de 1837-1838. Le gouvernement responsable a permis aux Canadiens de choisir leurs propres dirigeants sans l’interférence directe du gouvernement britannique, un pas important vers l’indépendance politique du Canada.
La Reine Victoria elle-même soutint l’idée d’une plus grande autonomie pour les colonies, bien qu’elle ait eu des réserves concernant l’élargissement des droits politiques aux colonisés. Cependant, ses actions, notamment la nomination de figures canadiennes comme premiers ministres, ont contribué à la consolidation du Canada en tant qu’entité autonome, bien que toujours sous le contrôle de la Couronne.
Une figure complexe
La Reine Victoria demeure une figure complexe et parfois contradictoire, incarne les avancées sociales et économiques d’une époque tout en étant profondément ancrée dans une histoire coloniale. Bien que son règne ait marqué des réformes importantes, tant au niveau de l’abolition de l’esclavage que de l’autonomie des colonies, les conséquences de l’impérialisme britannique continuent d’influencer les relations entre le Canada et la Grande-Bretagne, en particulier au Québec. Dans cette journée de commémoration, il est pertinent de réfléchir à son héritage, en reconnaissant ses contributions tout en restant conscient des ombres de son époque.