Le 25 mars, des dizaines d’agents du Homeland Security ont effectué une opération de perquisition simultanée dans deux des résidences du rappeur devenu producteur Sean Combs [autrement connu sous les alias Diddy et Puff Daddy] situées à Los Angeles et à Miami. Le raid s’inscrit dans le cadre d’une enquête fédérale concernant une poursuite pour harcèlement sexuel et agression sexuelle intentée par le producteur de musique Rodney ‘Lil Rod’ Jones. Il s’agit du cinquième procès de cette nature intenté contre Sean Combs depuis l’automne dernier.
Le 16 novembre 2023, son ancienne compagne, la chanteuse Cassie Ventura, avec laquelle il a entretenu une relation ponctuée de ruptures entre 2007 et 2018, avait lancé une action en justice l’accusant de viol, de trafic sexuel et de violence physique. Elle affirmait qu’il l’avait contrainte à avoir des relations sexuelles avec des prostitués pendant qu’il les filmait. La poursuite suggérait aussi la responsabilité de Combs dans l’explosion du véhicule de Kid Cudi, alors que Ventura entretenait une liaison avec lui. Le lendemain, Combs et Ventura conclurent un règlement confidentiel et la poursuite fut abandonnée.
Deux autres plaintes ont été déposées contre Combs le 23 novembre 2023, date limite de validité de l’Adult Survivors Act, une fenêtre d’un an qui permettait aux victimes adultes d’intenter des poursuites civiles dans l’état de New York même si le délai de prescription était épuisé. Dans un communiqué, un porte-parole de Combs a rejeté les allégations qui dataient de plus de 30 ans, affirmant que les plaignantes se servaient d’une loi bien intentionnée pour tenter d’extorquer de l’argent. S’ensuit une autre plainte, déposée le 6 décembre 2023, par une femme non identifiée qui avait 17 lors des agressions alléguées.
Venons-en à la poursuite de Rodney ‘Lil Rod’ Jones, déposée en février 2024, qui a la singularité d’être intentée par un homme, et aussi de viser plusieurs autres individus ainsi que des entreprises actives dans l’industrie du divertissement. Justin Combs, le fils adulte de Diddy, sa chef de cabinet Kristina Khorram, le PDG d’Universal Music Group, Sir Lucian Grainge ainsi que l’ancienne PDG de Motown Records, Ethiopia Habtemariam, sont également cités comme accusés dans l’affaire, ainsi que les entreprises mentionnées. Outre, la poursuite de Jones cite «John et Jane Doe 1 à 10 et Sociétés ABC 1 à 10» comme autres parties mises en cause.
Tous les actes répréhensibles allégués qui sont reprochés à Sean ‘Diddy’ Combs s’inscrivent dans une période allant de septembre 2022 à novembre 2023, alors que Rodney Jones était impliqué dans la production de son nouvel album intitulé « Love ». Pendant cette période, Jones a habité avec Combs des mois durant, dans ses résidences de Los Angeles et Miami. Il a aussi passé plusieurs semaines avec lui sur un yacht loué par Combs dans les US Virgin Islands. Jones affirme avoir dû endurer de nombreuses situations qui dépassaient de loin son rôle de producteur.
Rodney Jones allègue avoir subi des attouchements non sollicités à répétition, y compris sur son anus, tout au long de son séjour chez Combs; et qu’il a été forcé de travailler dans la salle de bains alors que Combs s’y promenait nu. Combs aurait promis de faire en sorte que Jones remporte le Grammy du producteur de l’année s’il acceptait de prendre part à des actes homosexuels. Il aurait même tenté de l’inciter en lui faisant visionner une vidéo de son idole, le producteur Stevie J, en train de sodomiser un homme caucasien: « c’est une pratique normale dans l’industrie du disque, regarde même Stevie J s’y adonne ». Jones pense que Combs voulait le préparer sexuellement afin de le présenter à ses amis. Sa crainte se serait confirmée quand Combs lui a présenté à l’acteur Cuba Gooding Jr, alors qu’ils se trouvaient sur le yacht. Cuba Gooding Jr. lui aurait alors caressé le bas de son dos près de ses fesses et le haut de ses cuisses près de son aine, jusqu’à ce qu’il soit obligé de le repousser de force. Pour appuyer ses dires, Jones a intégré les captures d’écran d’une vidéo à sa plainte.
Jones rapporte qu’à l’occasion du Thanksgiving en 2022, Combs a reçu la rappeuse Yung Miami et sa cousine dans sa maison de Miami. Il y avait de la cocaïne au menu. La cousine aurait fait irruption dans les toilettes alors que Jones urinait, se serait mise à genoux et aurait tenté de lui faire une fellation. Plus tard, Combs aurait chargé Jones de se rendre au bar de danseuses Booby Trap on the River coiffé d’une casquette de sa compagnie Bad Boy afin de solliciter des prostituées. La casquette étant un moyen de signaler aux travailleuses du sexe que Combs était en ville.
Jones rapporte aussi avoir assisté à une soirée à la résidence de Los Angeles. Une vedette de la scène R&B dont le nom est caviardé était présente, ainsi que des prostituées et des jeunes filles mineures. Combs aurait forcé toutes les femmes à boire du spiritueux DeLeon, auquel était mélangée de la drogue ecstasy. Ainsi, Combs aurait des bouteilles d’alcool spécialement destinées aux femmes, et d’autres bouteilles destinées à son équipe, aux artistes et à lui-même.
Dans une autre occurrence, où Jones croit avoir été drogué par Combs, il s’est réveillé tout nu dans le lit avec son hôte et deux prostituées.
On se demande pourquoi Rodney Jones a enduré cette vie pendant 13 mois. Il l’explique par les menaces à son endroit proférées par Combs, qui s’est toujours vanté de disposer d’un immense pouvoir, autant dans l’industrie musicale que vis-à-vis les forces de l’ordre. Son chef de la sécurité, Faheem Muhammad [ou «Mr. Muhammad»] aurait le pouvoir de faire disparaître les gens et les problèmes.
Un jour, Combs lui aurait montré sa collection d’armes, se vantant d’avoir réussi à tirer sur des gens sans se faire prendre, tout en avouant qu’il était responsable de la fusillade au Club NY en 1999. Combs, sa petite amie de l’époque, Jennifer Lopez, et son protégé, le rappeur Shyne, s’étaient fait arrêter après qu’une arme à feu ait été trouvée dans leur voiture alors qu’ils quittaient les lieux. Après un procès hautement publicisé, Combs a été déclaré non coupable de tous les chefs d’accusation. En contrepartie, Shyne a été reconnu coupable de cinq chefs d’accusation et condamné à dix ans de prison.
L’élément le plus grave de la plainte de Jones se rapporte à la fusillade faisant un blessé survenue lors d’un party aux Studios d’Enregistrement Chalice, à Hollywood, en septembre 2022 – soit dès le début de sa collaboration sur l’album de Combs. Jones rapporte avoir entendu plusieurs tirs alors que Combs, son fils Justin et un homme identifié comme «G» prenaient part à une discussion très animée dans les toilettes situées à l’intérieur du bâtiment. Jones, qui se tenait à moins d’un mètre de la porte, affirme avoir craint de recevoir une balle lui aussi. Quand Combs et son fils sont sortis des toilettes, Jones dit être allé prêter secours à G, en exerçant de la pression sur sa blessure à l’estomac. Après qu’une ambulance soit venue ramasser le blessé, Combs a exigé de Jones qu’il mente à la police en leur disant que G avait été atteint par le tir d’un véhicule en mouvement à l’extérieur du studio.
Rodney Jones soutient que toutes ses allégations peuvent être corroborées par des déclarations de témoins et par les photographies et enregistrements audio et vidéo qu’il détient – parce que durant tous ces mois passés ensemble, Combs lui aurait régulièrement demandé de l’enregistrer. Conséquemment, Jones a obtenu des centaines d’heures d’enregistrements du principal intéressé, de son staff et de ses invités en train de se livrer à des activités illégales.
L’univers décadent dépeint par Jones où prévalent le sexe débridé, la drogue et les armes à feu ne devrait suspendre personne. C’est exactement le monde auquel se vante d’appartenir un grand nombre de rappeurs. La glorification du gangstérisme et du proxénétisme est monnaie courante dans la culture hip-hop.
Si la poursuite vise des collaborateurs de Combs et leurs compagnies, c’est parce que Jones soutient que ces individus étaient au courant des activités, qu’ils les facilitaient ou ne faisaient rien pour les empêcher. Selon Jones, Kristina Khorram serait la «Ghislaine Maxwell» de l’univers de Diddy. Elle exigerait que tous les employés, du majordome au cuisinier, en passant par les femmes de ménage, se promènent avec une pochette contenant de la cocaïne, du GHB, de l’ecstasy et de bonbons gélifiés à la marijuana, afin que Combs puisse avoir accès à la drogue de son choix en tout temps. Khorram est celle qui s’occuperait non seulement de la distribution de drogues, mais de solliciter les travailleuses du sexe.
Autre parallèle avec Epstein: des caméras placées dans toutes les pièces de ses maisons auraient filmé des images compromettantes de chaque personne ayant assisté à ses fêtes «freak offs». Des vedettes, des politiciens et des sportifs seraient au nombre des personnalités impliquées. Bien que les mondes d’Esptein et de Diddy ne soient pas les mêmes, y aurait-il un terrain d’intersection commun aux deux? Reste à voir si l’action judiciaire intentée contre Diddy donnera lieu à des révélations choc ou s’il ne fera que lever le voile sur un trafic sexuel acheminé à… personne – comme c’est le cas jusqu’à présent avec l’affaire Epstein.
Dire que le 15 septembre 2023, le maire de New York, Eric Adams, remettait à Sean ‘Diddy’ Combs une clé de la ville lors d’une cérémonie à Times Square…