Par Annie-Ève Collin, enseignante en philosophie, Montréal
Selon un billet de la plume Gabrielle Boulianne-Tremblay paru le 29 avril dans Le Devoir, on serait dans la « saison des projets de loi transphobes » et « plus de 400 projets de loi anti-2SLGBTQIA+ ont vu le jour depuis janvier dernier aux États-Unis, et ça continue. » Boulianne-Tremblay parle de haine, rien de moins. Il vaut la peine de remettre les pendules à l’heure.
Boulianne-Tremblay cite en exemple le projet de loi SB 254 en Floride, et veut y lire « qu’il sera possible de dérober un enfant à ses parents » et que « nous sommes en train de rendre légal le kidnapping », et va jusqu’à prétendre qu’on voudrait les personnes trans « mortes ou dans l’ombre ».
Voici ce qu’il en est réellement de ce projet de loi : il y est dit qu’un enfant à risque de subir des blessures importantes, y compris mais pas seulement dans le cadre de prescriptions ou procédures de « réassignation de sexe » doit être protégé, et que si nécessaire à cette fin, on doit en retirer la garde à ses parents.
Il prévoit qu’à partir de juillet 2023, les institutions hospitalières devront s’engager par écrit à ne pas offrir de procédures ou de prescriptions de « réassignation de sexe » à des patients de moins de 18 ans et à ne pas non plus référer les patients mineurs à quelqu’un qui leur en offrirait. Il est prévu de suspendre le droit de pratique des médecins contrevenants. Il est également stipulé qu’on devra s’assurer du consentement volontaire et informé des patients majeurs à de telles procédures. Par ailleurs, le projet de loi stipule que les procédures de « réassignation de sexe » ne devront pas être payées par les fonds publics.
Il apparaît que la motivation principale n’est pas la haine des personnes trans, mais le souci de l’intégrité physique et psychologique des humains, a fortiori celle des mineurs.
Par ailleurs, on dénonce régulièrement des projets de loi en les présentant comme relevant de la transphobie, alors que d’autres motivations semblent plus plausibles pour les expliquer. Les projets de loi supposément anti-trans concernent, outre les procédures de transition sur les mineurs et le financement public de telles procédures, l’admission de personnes trans dans l’armée, les sports féminins, les espaces réservés aux femmes et l’enseignement dans les écoles primaires et secondaires.
Pour les projets de loi qui concernent l’armée, l’idée semble être de ne recruter que des personnes qui ont les capacités physiques et psychologiques nécessaires (et il est à noter que ce ne sont pas toutes les personnes trans qui en seraient exclues si ces lois étaient adoptées).
Pour les projets de loi qui concernent les sports féminins, les prisons pour femmes, les refuges pour femmes et les espaces tels que les toilettes et les vestiaires, il est souvent mentionné que l’on tient compte du fait qu’il y a des différences entre les sexes (entre les sexes et non entre les genres), notamment celle-ci : les hommes sont généralement plus forts que les femmes. Les motivations principales derrière ces projets de lois sont vraisemblablement la sécurité des femmes, leur droit d’être respectées dans leur pudeur et leur droit à des compétitions sportives équitables. C’est-à-dire, en fait, les mêmes motivations qui avaient amené à séparer les gens par sexe dans certains contextes avant l’avènement de la notion « d’identité de genre ».
En ce qui concerne les lois sur certains contenus enseignés dans les écoles et certains livres dont le sujet est lié aux « 2SLGBTQIA+ », la motivation semble être la neutralité de l’enseignement et les droits des parents, notamment celui de refuser que leurs enfants reçoivent un enseignement idéologiquement orienté. En effet, les livres ou les types d’enseignement visés ne consistent pas à informer de façon neutre de l’existence de personnes homosexuelles, bisexuelles ou trans, mais sont plutôt orientés par l’idéologie queer, dont Boulianne-Tremblay semble se réclamer si on se fie à son billet du 29 avril (c’est son droit, mais d’autres sont dans leur droit aussi s’ils n’adhèrent pas à cette idéologie). Un problème souvent relevé est celui de dire aux enfants qu’être un garçon ou une fille est une question de ressenti : cela ne relève pas de l’information mais de l’idéologie.
Certains projets de loi prévoient aussi qu’il soit interdit aux employés des écoles d’assister à la « transition sociale de genre » d’un enfant sans le consentement des parents. Ici, on parle notamment d’utiliser un nouveau nom et des nouveaux pronoms pour référer à l’enfant, de lui fournir des outils servant à modifier son apparence ou n’importe quelle autre façon de cautionner le « changement de genre » de l’enfant. Il est évident que les droits des parents sont ici une motivation principale.
Nul ne saurait s’opposer à ce que les personnes trans aient les mêmes droits que les autres êtres humains, mais cela implique que, comme tout le monde, elles doivent exercer leurs droits dans les limites imposées par les droits des autres.