Depuis 2012, la droite classique française est en chute libre. Les Républicains ont perdu le soutien d’une bonne partie des électeurs conservateurs. Ils sont à la recherche d’un sauveur. Bruno Retailleau est le nouveau président des LR. Mais Ghislain Benhessa ne pense pas qu’il pourra relancer ce parti à cause de son manque de charisme. Il aura fort à faire pour ramener l’électorat conservateur, sur les plans migratoire et de la sécurité, dans le giron républicain.
Ghislain Benhessa est un avocat de formation et observateur de la politique française.
Entretien
Simon Leduc : Le nouveau président du parti les Républicains est le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. Êtes-vous surpris de la victoire de ce dernier?
Ghislain Benhessa : «Tout d’abord, il faut savoir que ce parti politique est en déclin depuis des années. La droite classique française est soumise à une guerre des chefs depuis un bon bout de temps. L’ancien parti du général De Gaulle a obtenu un résultat désastreux lors de la présidentielle de 2022. Valérie Pécresse a fait moins de 5% des voix. Alors, les Républicains sont en lambeaux et ils se cherchent une tête d’affiche qui pourrait les sauver.
Il y a plusieurs politiciens de droite qui ont rejoint le parti du président Macron depuis 2017. Par exemple, Édouard Philippe, qui fut premier ministre de Macron, est un ancien membre des Républicains. Il y a en a, comme Éric Ciotti, qui ont immigré vers le Rassemblement national. Donc, il restait seulement deux leaders connus républicains : Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau. Le premier tient le parti à bout de bras à l’Assemblée nationale. Le second bénéficie depuis huit mois d’une reconnaissance médiatique par l’entremise de son poste de ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de François Bayrou. Sa visibilité médiatique a été un atout dans sa quête de la présidence des Républicains. Donc, la victoire de Retailleau ne me surprend pas, car il est la figure la plus connue de la droite traditionnelle française.
D’autre part, malgré le fait qu’il soit ministre dans le gouvernement actuel, Bruno Retailleau se défini comme un véritable conservateur. Il a toujours été un homme politique issu de la droite classique. M. Retailleau n’a pas rejoint le camp Macron comme certains politiciens de droite. Il est resté un fidèle républicain. Il défend une position conservatrice sur la question migratoire et de la sécurité. Donc, il est ministre du gouvernement Bayrou tout en restant un républicain. Il est maintenant le patron et le poids lourd de ce parti politique.
Je dois dire que j’ai été étonné par l’ampleur de la victoire de Bruno Retailleau. Il a obtenu 75% des voix contre 25% pour son rival. C’est une victoire écrasante et il a une grande légitimité comme nouveau leader des Républicains.»
Comment définissez-vous Bruno Retailleau sur le plan idéologique?
Ghislain Benhessa : «M. Retailleau est un catholique pratiquant qui est farouchement opposé au mouvement woke, Il a une position claire et ferme sur la question du genre. Il a une cohérence idéologique dans cet enjeu. Cet homme politique est un vrai conservateur sur le plan migratoire, de la sécurité et de l’économie. Il n’a jamais flirté avec l’extrême centre de Macron. Il reste un homme de droite malgré le déclin de son parti.
L’immigration et la sécurité sont ses chevaux de bataille. Tout d’abord, M. Retailleau est un chantre de l’autorité de l’État. C’est un régalien en la matière.
D’autre part, sur le plan économique, il est de droite libérale classique. C’est-à-dire qu’il est favorable à la baisse du fardeau fiscal des contribuables et d’un État moins interventionniste. Le premier ministre français croit en l’autorité de l’État sur la sécurité régalien. Par contre, il veut moins d’intervention de l’État dans l’économie. Il est pour une bonne politique de rigueur budgétaire afin d’éliminer le déficit et réduire la dette publique française qui est monstrueuse. Il pense qu’il faut faire le ménage dans les dépenses publiques. Donc, c’est un conservateur sur le plan sécuritaire et un libéral classique sur les questions économiques.»
Pensez-vous qu’il réussira à relancer la droite classique française?
Ghislain Benhessa : «Je suis assez sceptique dans la capacité de Bruno Retailleau de faire renaître les Républicains de leurs cendres.
Premièrement, ce parti n’est pas en bonne situation financière. Il n’a pas pu se faire rembourser ses dépenses électorales lors de la présidentielle de 2022 car sa candidate n’a pas obtenu au moins 5% des voix. D’autre part, ce parti est coincé entre les deux courants de la politique française : Le RN et Renaissance (le parti de Macron). Le RN est le premier parti de France car elle a réussi à rallier le vote ouvrier et une partie de l’électorat de droite. L’électorat des Républicains est la bourgeoisie française (les patrons d’entreprises). Mais, une partie de cet électorat a rejoint le bloc centriste de Macron et les électeurs des classes populaires sont maintenant dans le camp du RN.
Alors, Bruno Retailleau va tenter de ramener tous ces gens dans le giron républicain. Je ne sais pas s’il aura l’espace pour le faire. Le LR est situé dans un couloir étroit où il sera difficile d’en sortir. Je ne crois pas qu’il soit en mesure d’unir les électeurs de droite derrière son parti comme l’avait fait Sarkozy en 2007.
Nicolas Sarkozy était un leader charismatique et près des gens ordinaires. Il réussissait à connecter avec les classes populaires à cause de son populisme. Or, Bruno Retailleau est un homme politique plus réservé et technocratique. C’est un homme de l’ombre qui n’a pas du tout le style populiste de l’ancien président de droite. Je doute que M. Retailleau soit en mesure de séduire la classe ouvrière. Cette dernière restera probablement fidèle au RN. La droite française, sous Sarkozy, avait promis de régler le problème de l’immigration de masse et de faire baisser l’insécurité dans les banlieues françaises. Elle n’a pas livré la marchandise. Depuis ce temps, les gens ordinaires n’ont plus confiance à ce courant politique.
Pour conclure, à mes yeux, Bruno Retailleau ne sera pas en mesure de sortir les Républicains de la marginalité politique. Le Rassemblement national est maintenant le premier parti politique conservateur en France. Alors, l’avenir de la droite, anciennement gaulliste, est bien sombre.»