Traduit de l’anglais. Article de Omar Aziz publié le 11 août 2024 sur le site du Globe and Mail.
Pendant la majeure partie de la dernière décennie, j’ai fait des allers-retours entre les États-Unis et le Canada. Avant, surtout après l’élection de Justin Trudeau en 2015, lorsque je rentrais au Canada, j’étais accueilli par de bonnes nouvelles. Le pays était imprégné d’un sentiment d’optimisme. Les débuts d’une économie qui fonctionnait pour tout le monde. Une confiance renouvelée sur la scène internationale. Le pays se sentait prêt pour l’avenir.
Après l’élection de Donald Trump, l’atterrissage à Toronto ou à Montréal s’est accompagné d’un soupir de soulagement. Au moins ici, les institutions semblaient fonctionner. Au moins ici, la vague populiste n’avait pas encore déferlé sur le rivage. Ici, le jeu économique ne semblait pas si truqué. Comme ce moment a été bref.
Ces années semblent si lointaines. Le Canada de 2024 semble être un pays différent.
Lorsque je suis retourné au Canada à la fin de l’année 2023, j’ai été choqué par ce que j’ai vu et entendu. J’ai eu l’impression que presque toutes les personnes que j’ai rencontrées, de toutes les ethnies, de tous les milieux et de tous les âges, étaient en colère. Des amis se plaignaient de l’impossibilité d’acheter une maison – des maisons qui étaient abordables lorsque leurs parents sont arrivés au Canada. Les membres des familles s’inquiètent des vols de voitures et d’autres délits. Les gens prévoyaient de partir, même ceux qui venaient d’arriver.
Cette situation ne s’est pas limitée à mon entourage immédiat. Dans les conversations au YMCA local, au café et dans les environs de Toronto, on ressentait une frustration sincère et viscérale. Les gens se sentaient étouffés par l’état lamentable de l’économie et le mauvais état des logements. Ils travaillaient plus dur et, grâce à l’inflation, gagnaient moins. Le prix de la nourriture (et de tout le reste) augmentait. Ils s’inquiétaient pour la sécurité de leurs enfants. Leurs ambitions étaient limitées. Les dirigeants politiques du pays les avaient déçus, à maintes reprises, et étaient désormais incapables de répondre aux préoccupations des citoyens ordinaires.
Au début, j’ai pensé qu’il s’agissait d’une hyperbole. Puis, après être revenu ici depuis un certain temps, je l’ai constaté moi-même. En conduisant dans la région du Grand Toronto, j’ai vu à quel point les embouteillages s’étaient multipliés. Il y avait trop de gens pour trop peu d’endroits où vivre. Le nombre croissant de sans-abri dans les rues. L’augmentation des crimes violents. Le bilan stupéfiant de la crise des opioïdes. La vague sans précédent d’étudiants étrangers, dont beaucoup se sont vus vendre une marchandise qui s’est avérée défectueuse. Les séquelles des restrictions imposées par le COVID-19, qui constituent presque une forme de syndrome de stress post-traumatique national. Le sentiment omniprésent que le succès est hors de portée au Canada, et que même si vous travaillez dur et que vous réussissez, le gouvernement viendra chercher plus que ce dont il a besoin – puis le gaspillera, le dépensera trop ou le perdra.
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Je me suis rendu compte que cet échec systémique du gouvernement représentait quelque chose de plus grave qu’une simple incompétence ou inefficacité. Il s’agissait d’une trahison du rêve canadien.
Qu’est-ce que le rêve canadien ? C’est une promesse – moins individualiste et moins favorable aux armes à feu que la version américaine, mais pas moins ambitieuse. Pour moi, le rêve promettait que chaque personne ici pouvait avoir une chance décente dans la vie, une chance meilleure que celle de ses parents. L’accent était mis sur la communauté et sur l’ordre et le bon gouvernement. Le contrat prévoyait le paiement d’impôts plus élevés et, en échange, l’existence d’institutions sociales de classe mondiale au service des gens ordinaires. Le système d’immigration a fonctionné parce que le même contrat existait avec les immigrants : ils devaient travailler dur, respecter les règles, s’intégrer à la société canadienne par des moyens légaux et, en retour, devenir des citoyens d’une démocratie très fonctionnelle où une bonne vie était, sinon garantie, du moins à portée de main.
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Pour de nombreux Canadiens, le coût de la vie est devenu inabordable. Le prix moyen d’une maison dans la région du Grand Toronto est de 1,1 million de dollars, et celui de la région métropolitaine de Vancouver est à peu près le même. Il existe certainement des endroits moins chers, mais le coût moyen d’une location au Canada a atteint des sommets – plus de 2 100 dollars par mois. Selon une étude importante, le Canada doit construire 3,5 millions de logements supplémentaires d’ici la fin de la décennie et n’en construit actuellement que 200 000 par an.
Pour ne rien arranger, l’immigration – une compétence exclusivement fédérale – n’a fait l’objet d’aucun contrôle, ce qui nuit à la fois au pays et aux immigrants légaux qui sont ici depuis des années. Le système d’immigration du Canada faisait autrefois l’envie du monde entier : il était axé sur le mérite, sur les besoins de la main-d’œuvre et sur une générosité d’esprit pratiquement inégalée. Le Canada sera toujours favorable à l’immigration, mais il convient d’avoir une conversation responsable sur le sujet et de ne pas l’utiliser pour diviser les gens ou chanter ses propres louanges morales.
Au Canada, le contrat social a permis pendant des années d’augmenter l’immigration pour faire croître l’économie, mais cela s’accompagnait de critères stricts pour déterminer qui devait être admis. Aujourd’hui, le Canada compte plus de 900 000 étudiants étrangers, soit une augmentation de 170 % au cours de la dernière décennie. Certains de ces étudiants ont été escroqués par des établissements d’enseignement supérieur à but lucratif. D’autres ont été affiliés à de fausses écoles, utilisant leur visa d’étudiant comme échappatoire au système d’immigration. Le système social n’était pas préparé à un tel afflux, mais certaines institutions en ont profité : les collèges et les universités ont perçu davantage de frais de scolarité ; les politiciens ont vanté les chiffres de l’immigration en hausse ; la classe des propriétaires a bénéficié d’une offre inépuisable de locataires perpétuels. Faute de logements disponibles, le pays n’est pas prêt à faire face aux multiples crises économiques et sociales qui se chevauchent.
Que ce soit pour les immigrants ou pour les personnes nées au Canada, la même réalité s’impose. Nous avons créé une génération entière de locataires permanents, des personnes qui travailleront et se battront et pourront peut-être se constituer un patrimoine limité, mais qui ne pourront jamais accéder à la propriété. N’oublions pas que plus de la moitié des Canadiens vivent d’un chèque de paie à l’autre. De nombreux membres de ma génération ont été totalement exclus de la prospérité, trahissant ainsi la promesse de progrès pour des millions de personnes.
On voit des quartiers ravagés par la toxicomanie et la criminalité. Selon Statistique Canada, nous assistons à un pic des crimes violents depuis 16 ans. Le taux d’homicide au Canada est aujourd’hui le plus élevé depuis 1992. Et le Canada conserve l’un des systèmes de justice pénale les plus laxistes du monde occidental, dans lequel une personne peut causer la mort d’une autre et sortir de prison au bout de six mois. Si l’Amérique est allée trop loin dans la direction de l’incarcération de masse, le Canada a surcorrigé dans la direction opposée avec une clémence de masse. Une constante demeure cependant : les victimes les plus nombreuses et les plus disproportionnées des crimes violents, et en particulier des homicides, sont les autochtones et les minorités raciales.
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Pourtant, les Canadiens ne peuvent même pas lire ou partager des nouvelles sur les plateformes de médias sociaux telles que Facebook et Instagram. C’est une expérience orwellienne – au sens propre – que de voir ses propres articles censurés et réduits au silence dans un pays qui se dit démocratique. C’est le résultat d’une tentative inefficace du gouvernement canadien de forcer la plus grande entreprise de médias sociaux de la planète à payer pour ses articles. Soit le Canada n’aurait pas dû se lancer dans une telle bataille, soit il aurait dû faire preuve de plus de tact et de stratégie face à une entreprise connue pour tirer parti de sa force.
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