Le financement des transports collectifs fait jaser depuis quelques semaines, au point où on qualifie la situation de « crise ». En effet, en une époque où la pression politique est forte pour développer le transport en commun et après une baisse d’achalandage dû à la pandémie, les sociétés de transport peinent à financer leurs activités et enregistrent des déficits de plus en plus élevés. On évalue ceux-ci à près d’un demi milliard de dollars au total dans la province, ce qui force le gouvernement à trouver une entente avec les villes.
Dans la foulée de ces débats, de nombreuses sorties ont stimulé la controverse, notamment celle de Jackie Smith, cheffe de Transition Québec, qui avait lancé un ultimatum au Maire de Québec Bruno Marchand pour qu’il fasse passer la taxe sur l’immatriculation dans la Capitale-Nationale de 30$ à 1157$ afin de financer la gratuité du transport en commun. Même Bruno Marchand, l’un des plus ardents promoteurs du transport collectif, avait trouvé l’idée ridicule et reconnu l’absurdité de charger mille dollars de plus aux citoyens dans un contexte économique déjà difficile. Face à ce refus plutôt justifié, Jackie Smith a dû démissionner de son poste sur le C.A. du RTC, comme elle l’avait promis dans son ultimatum.
Dans le même temps, ce sont les propos de Geneviève Guilbeault, ministre des Transports et de la mobilité durable, qui ont vivement fait réagir les maires partout dans la province. Elle avait alors déclaré que ce n’était pas le rôle du gouvernement de gérer le transport collectif, et que les sociétés de transports et les municipalités ne devaient pas constamment s’attendre à pouvoir refiler leurs déficits au gouvernement.
Cette affirmation a mis le feu aux poudres et a forcé la tenue de rencontres entre le gouvernement et les municipalités cette semaine pour conclure une entente. Bien que Guilbeault n’ait pas complètement tort, le fait qu’une ministre « de la mobilité durable », dans un gouvernement qui pousse sans cesse la transition énergétique, veuille se laver les mains des problèmes que rencontrent les villes dans l’application de cet agenda est particulièrement ironique.
Mais ce débat n’a pas encore fini de nous fournir des étrangetés ; nous apprenions aujourd’hui dans un article de La Presse que des organismes environnementaux proposent carrément de ralentir l’électrification des flottes d’autobus. On aura tout vu!
En effet, Vivre en Ville, Équiterre, la Fondation Suzuki et Greenpeace Canada recommandent tous conjointement de ralentir l’électrification des transports collectifs afin d’éviter un impact négatif sur l’offre de transport. On argue ainsi qu’en contexte de déficits importants, les sociétés de transports devraient prioriser l’offre aux usagers plutôt que de se lancer dans une transition coûteuse et expérimentale vers l’électrique :
« Les émissions des autobus au Québec représentent 0,4 % des gaz à effet de serre. On peut attendre quelques années pour les rendre à zéro, mais on ne peut pas attendre quelques années pour améliorer l’offre du transport en commun », dit par exemple Christian Savard, directeur général de Vivre en Ville.
C’est une position qui surprend considérant le jusqu’au-boutisme habituel de ces organisations en matière de transition verte. Mais ce qui est encore plus curieux, c’est qu’ils n’adhèrent à cette logique implacable que lorsqu’il est question de sauver le transport en commun, alors que c’est exactement la même logique qui pousse certains à critiquer la transition énergétique du gouvernement Legault dans son ensemble.
En un contexte de pénurie d’énergie chez Hydro-Québec, beaucoup d’analystes considèrent que l’électrification accélérée – notamment du parc automobile et du chauffage résidentiel – est une très mauvaise idée et qu’afin de préserver une offre de tarifs abordables et un service efficace, il serait mieux de ralentir la cadence de cette transition. Foncer tête première de la sorte pourrait carrément avoir l’effet inverse pour l’environnement, car si Hydro-Québec ne parvient plus à répondre à la croissance de la demande et que les coupures s’enchaînent, les gens n’auront d’autre choix que de se tourner vers d’autres sources d’énergies potentiellement plus polluantes.
Ainsi donc, à écouter ces organismes, il faudrait faire des sacrifices pour sauver le transport en commun… mais en faire pour sauver la sécurité énergétique dont dépend l’entièreté de l’économie, il n’en est pas question. Ça en dit long sur leur priorité et leur manière très sélective d’analyser les enjeux actuels.