C’est maintenant chose faite : au terme d’une campagne électorale mouvementé, Donald Trump a gagné son pari de reprendre la Maison-Blanche. Évidemment, il faudra attendre son assermentation en janvier prochain pour le voir réellement aux commandes – le processus électoral et de transition sont extrêmement longs chez nos voisins du sud. Or, avec une confirmation aussi claire des résultats, le monde se prépare déjà aux grands changements stratégiques qui s’annoncent, et Trump lui-même a promis de se mettre au travail le soir même de sa victoire. Des dossiers très importants seront donc à surveiller dans les prochains mois :
Intrigues de coulisses et rétribution?
Tout d’abord, un enjeu qui a été soulevé à maintes reprises dans les derniers mois est celui d’une possible vengeance de Donald Trump contre ses adversaires démocrates ou de « l’état profond », c’est-à-dire des agences de renseignement, du département de la justice, etc. On le sait, la transition de pouvoir entre Obama et lui en 2016 avait été catastrophique, avec des accusations instantanées d’ingérences russes et des actions extrêmement prédatrices dans les coulisses de Washington D.C.
Par exemple, dès son entrée en fonction en 2017, Trump se faisait informer par les services de renseignements que l’administration Obama avait placé sa campagne sous écoute pendant des semaines afin de lui nuire. Justifiée par de prétendus liens entre la campagne Trump et le Kremlin, on a plus tard réalisé que cette surveillance anti-démocratique avait été basée sur un dossier créé de toutes pièces – le dossier Steele – et un usage malhonnête des « FISA Courts », qui permettent la mise sous surveillance des citoyens américains.
Ensuite, tâchant tant bien que mal de s’entourer de gens de confiance, Trump avait nommé Micheal T. Flynn, un général américain extrêmement critique de ses pairs, comme conseiller à la sécurité nationale… tout ça pour le voir accusé de trahison pour avoir parlé avec des officiels russes avant son entrée en fonction, et forcé de démissionner 24 jours plus tard.
Ensuite, nous savons bien, la saga du dossier Steele et des ingérences russes s’est perpétué avec l’enquête et le rapport de Robert Mueller, qui n’aboutissait à rien non plus. Et puis on a eu les tentatives de destitution, dont l’une pour un prétendu qui pro quo avec le dirigeant Ukrainien – alors que des vidéos très claires montraient Joe Biden faire précisément cela. Sans parler de la couverture médiatique délirante, les attaques, et, plus récemment, l’instrumentalisation du système de justice par les démocrates.
Bref, Trump en a gros sur le cœur, et la possibilité qu’il cherche à se venger de ses adversaires une fois au pouvoir inquiète. Il est resté assez évasif sur la question, déclarant que sa vengance « sera le succès de ses politiques » et il y a lieu de penser qu’effectivement, Trump ne verra pas d’intérêt à se lancer dans une autre chasse aux sorcières.
Mais il a certainement perdu sa naïveté de 2016, et se prépare aujourd’hui à jouer du coude dans les coulisses. La situation est très différente, cette fois, car il connaît mieux le système, les gens à qui il peut faire confiance et ceux à qui il ne doit pas faire confiance. De la sorte, sans pour autant virer en cirque d’accusations, il y a lieu de penser qu’il fera un gros ménage dans les institutions américaines, et qu’il sera plus prudent dans sa nomination de milliers de personnes à des postes clés.
Ukraine
L’une des promesses principales de campagne de Donald Trump est de mettre un terme à la guerre en Ukraine « avant même d’entrer en fonction ». Il est même allé jusqu’à promettre de le faire le soir même de son élection! Si c’est vraiment le cas, ça veut dire qu’il y a peut-être déjà eu des échanges entre Trump, l’Ukraine et la Russie.
Évidemment, selon beaucoup de gens, cette promesse du président républicain est vue comme défaitiste, et signifie essentiellement une capitulation face à la Russie. Or, il est encore difficile de savoir quels seront les termes de cette paix, si elle en vient à aboutir.
Verront nous une partition de l’Ukraine et l’annexion par la Russie des territoires de russophones de l’est? Verrons-nous la mise en place d’un gouvernement pro-russe à Kiev et d’une promesse de ne jamais rejoindre l’OTAN? Trump devra-t-il en premier lieu tenter de reprendre l’initiative, et faire perdre quelques batailles à la Russie pour négocier de meilleures conditions? Il est difficile de dire à ce stade, mais tout de même, une présidence Trump implique nécessairement une réouverture des canaux diplomatiques.
Israël
La nouvelle présidence s’avère aussi une bonne nouvelle pour Israël, qui aime particulièrement Trump en raison de son déplacement de l’ambassade américaine à Jérusalem lors de son premier mandat. Certains pourront arguer que sur cette question, démocrates ou républicains, c’est bonnet blanc, blanc bonnet, mais ce n’est pas tout à fait juste.
Il est vrai que les démocrates aussi supportent Israël, mais ils sont beaucoup plus prudents puisque leur base est extrêmement divisée sur la question, alors que Trump est totalement décomplexé. De plus, les démocrates se sont avérés beaucoup moins efficaces pour contrer les causes conjoncturelles de l’insécurité géopolitique au Moyen-Orient en étant très laxistes et éparpillés dans leur réponse au terrorisme islamique.
Selon Trump, la clé de cet enjeu, c’est l’Iran, qui finance des groupes comme le Hamas et le Hezbollah. Il compte donc être extrêmement sévère contre le pays, et tâchera de le sanctionner et de l’isoler pour tarir ses financements occultes.
D’ailleurs, Trump ne part pas à zéro, et pourra probablement réactiver la dynamique de paix qu’il avait initié avec les Accords d’Abraham, et qui avaient accéléré la normalisation des relations entre Israël et les pays arabes. D’ailleurs, malgré toutes les accusations de racisme et d’islamophobie, il est à noter que Trump était très populaire auprès des pays arabes, et avait mis en place un relation de soutien plutôt que d’ingérence qu’ils semblaient apprécier. De la sorte, il y a lieu d’être optimiste pour le Moyen-Orient.
Énergie
Un aspect un peu négligé de la présidence Trump, c’est le tournant à 180° que les États-Unis s’apprêtent à faire en termes d’énergie et de transition. En effet, le président ne cache pas son intention d’exploiter les hydrocarbures américains à leur plein potentiel, avec un fameux slogan de campagne : drill, baby, drill! De la sorte, on verra nécessairement un ralentissement, voir un abandon des cibles de transitions actuelles, ce qui aura des impacts majeurs sur les investissements.
Par exemple, l’une des raisons principales pourquoi nous devons promettre autant de milliards aux projets de la filière des batteries, c’est pour compétitionner contre le « Inflation Reduction Act » de Joe Biden, qui offre des subventions faramineuses aux entreprises s’établissant aux États-Unis, et particulièrement à celles qui contribuent au virage vert. Or, si les États-Unis abandonnent leurs objectifs de virage électrique complètement, et s’ils sont suivis par d’autres, ils feront plonger la valeur de ces entreprises dans lesquelles nous avons investis beaucoup. On aura misé sur le mauvais cheval et perdu beaucoup d’argent.
Guerre commerciale ?
L’une des plus grosses craintes en ce moment chez les Canadiens, c’est la reprise de relations commerciales tendues entre les deux pays. On le sait, Trump prône une forme de protectionnisme économique s’appuyant sur l’imposition de tarifs. Les États-Unis étant notre principal partenaire économique et la destination de la vaste majorité de nos exportations, il est évident que de nouvelles négociations pourraient faire mal à l’économie.
Or, outre quelques dossiers précis comme le bois d’œuvre ou la gestion de l’offre dans l’industrie laitière, qui existaient bien avant la présidence Trump, il n’est pas certain que cette « guerre commerciale » se concrétise avec la gravité qu’on annonce entre le Canada et les États-Unis.
D’abord, il faut considérer que les disparités réglementaires entre le Canada et les États-Unis sont assez faibles et ne justifient pas de parler de concurrence déloyale comme ce serait le cas avec la Chine ou d’autres pays. La vision de Donald Trump, qui est celle d’un marché « équitable et réciproque » plutôt qu’un « libre marché » fait de concurrence déloyale, ne s’applique pas vraiment ici.
D’autant plus que des négociations ont déjà eues lieu avec la signature, en 2020, du USMCA, qui visait à remplacer les accords de l’ALENA, et qu’il est possible que le nouveau président laisse les ententes actuelles en place. Il y a lieu, aussi, d’espérer l’obtention d’exemptions dans le cadre de cette entente en place.
Mais tout ça relèvera probablement plus de la nature de la relation entre le chef d’État canadien, qui va probablement changer dans la prochaine année, et le président américain. Poilievre saura-t-il mieux négocier avec Trump en faisant valoir leurs valeurs conservatrices communes? Seulement l’avenir nous le dira.
Immigration
Un autre secteur où il faut s’attendre à beaucoup de changement, c’est en termes d’immigration. Nous le savons, il y a une crise migratoire depuis de nombreuses années en Amérique du Nord : des gens de partout dans le monde, mais particulièrement d’Amérique centrale, traversent chaque jour la frontière sud des États-Unis de manière illégale. Mais ce flux migratoire ne s’arrête pas là ; il continue souvent jusqu’au Canada, via des chemins irréguliers comme le célèbre chemin Roxham.
Dans le cadre de l’Entente sur les pays tiers sûrs entre les États-Unis et le Canada, le premier pays qu’atteint un migrant est celui qui serait censé l’accueillir, mais tant du côté canadien qu’américain, cette loi est assez difficile à appliquer dans la réalité. Les migrants passent du Canada aux États-Unis régulièrement, et dans les deux directions.
De la sorte, on pourrait penser qu’il est une bonne chose que les États-Unis gèrent un peu mieux leur frontière sud, puisque ça permettrait de stopper rapidement des migrants qui auraient pu remonter vers le Canada. Cela dit, il y a un hic : c’est qu’en promettant la plus grande déportation d’illégaux de l’histoire des États-Unis, Trump pourrait pousser ceux-ci à fuir les États-Unis pour le Canada au lieu d’être déporté vers le sud.
C’est pour cette raison que tant Paul Saint-Pierre Plamondon que François Legault ont sonné l’alarme sur cette éventualité, ce mercredi. Le premier ministre du Québec a même promis que la province enverrait elle-même des gens pour surveiller la frontière en cas de laxisme de la part du fédéral.
Wokisme et censure
Finalement, l’élection de Trump est extrêmement significative d’un point de vue culturel. Il est probablement la figure la plus emblématique de cette « guerre culturelle » entre le postmodernisme woke et le renouveau conservateur du « gros bon sens », et par ses déclarations quotidienne, il viendra assurément « brasser la cage » et stimuler du débat.
Tellement de débats, en fait, que beaucoup de gens déclarent en avoir la nausée ; il est certain que Trump est un personnage très controversé, qui a causé beaucoup de déchirures et de chicanes dans la population.
Or le contexte de 2024 est très différent de celui de 2016. La réalité concrète du wokisme est beaucoup mieux comprise dans la population, et les gens voient désormais clair dans le jeu de la gauche intersectionnelle. Il y a donc lieu de penser que ses prises de bec, qui auraient autrefois choqué, seront désormais un peu mieux comprise dans la population et créeront moins de remous.
N’oublions pas le fait que suite aux débordements du 6 janvier 2020, qui a été caractérisé « d »insurrection » par les anti-trumpistes, Donald Trump avait été banni de tous les médias sociaux. On l’a totalement invisibilisé pendant 3 ans, et pourtant, il est quand même parvenu à se faire entendre et à mettre sa campagne en marche jusqu’à la victoire. Désormais, il célèbre avec Elon Musk, qui, ayant racheté Twitter, participe à ce combat pour la liberté d’expression. Il y a quelque chose de quand même « épique » à un tel parcours, et on peut être assuré que cet homme comprend toute la mesure des attaques à la liberté d’expression en notre époque.