L’affaire aurait pu passer inaperçue, n’eût été la bêtise tranquille avec laquelle TVA Nouvelles a relayé un article complaisant de l’AFP. Le streamer politique Hasan Piker, figure influente de l’extrême-gauche américaine, aurait été retenu à l’aéroport durant deux heures, simplement — croit-on comprendre — pour ses « positions pro-palestiniennes ». Le hic ? Cette lecture naïve de la situation omet quasi volontairement l’arrière-plan explosif de Piker : une série de déclarations douteuses, d’interviews avec des groupes terroristes, et une chute spectaculaire en disgrâce dans la sphère web anglophone. Bref, ce que TVA ne dit pas en dit long.
Omissions volontaires : le CV idéologique de Hasan Piker
À première vue, on pourrait croire à une affaire classique de profilage politique : un commentateur progressiste, critique envers les États-Unis et défenseur du peuple palestinien, subit des représailles d’un État paranoïaque. C’est d’ailleurs ce que Hasan Piker lui-même a laissé entendre dans ses tweets. Mais pour quiconque possède une once de familiarité avec l’écosystème Twitch/YouTube et la culture politique du streaming, la vérité est beaucoup plus trouble.
Hasan saying what the houthis are doing is exactly like what Luffy does in one piece is so fucking cringe. Actually insane brain rot pic.twitter.com/BaPuZdgvGq
— Josh (@DeadInformation) January 17, 2024
En janvier 2024, Piker a réalisé une interview avec un représentant des Houthis, groupe classé comme organisation terroriste par plusieurs gouvernements, notamment en raison de ses attaques contre des civils et du détournement d’armes iraniennes. Loin de jouer le rôle de journaliste neutre ou d’analyste, Piker a mené cet échange dans une atmosphère presque fraternelle, sans aucune distance critique. Pire encore, dans d’autres streams, il a affirmé ne pas avoir de problème avec le Hezbollah, tout en reconnaissant du bout des lèvres que l’organisation est considérée comme terroriste par les États-Unis.
Ethan criticizes Hasan for spreading antisemitic terrorist propaganda on Twitch.
— usurp tha chef (@usurpthachef) October 17, 2024
He claims that Hasan is doing the Houthi's bidding by sharing their "music videos" (they're a very musical people btw) to his young and impressionable audience.
I guess @Twitch CEO @djclancy999… pic.twitter.com/wBzTWZZT8v
En termes clairs : Piker s’est lui-même enfoncé dans une posture politique qui dépasse de loin le simple soutien aux droits des Palestiniens. Il flirte ouvertement avec l’apologie du terrorisme, et les autorités américaines ont des raisons légitimes de s’en inquiéter. Ou du moins, de lui envoyer un petit message.
Ethan Klein vs Hasan Piker
Ces propos radicaux complètement décomplexés n’ont pas seulement choqué la droite conservatrice américaine, mais aussi ses anciens alliés progressistes. Pendant plus d’un an, Hasan Piker a coanimé un podcast très populaire, Leftovers, aux côtés d’Ethan Klein, créateur juif américain de la chaîne H3H3. Leur dynamique illustrait parfaitement les divisions internes de la gauche américaine : Klein, modéré assumé et social-démocrate, se disait favorable à l’État-providence tout en défendant la propriété privée. Hasan, quant à lui, s’affichait comme un pur tankie — terme utilisé pour désigner les communistes intransigeants qui soutiennent autoritairement tout régime se déclarant « anti-impérialiste ».
Les tensions idéologiques restaient gérables — jusqu’au 7 octobre 2023.
Les attaques du Hamas contre Israël ont provoqué un électrochoc. Ethan, dont la femme Hila est israélienne, a rapidement perçu dans les silences et justifications de Hasan une ligne rouge franchie. Le chat de Leftovers est devenu un champ de bataille : d’un côté, des fans de Piker justifiant l’attaque ; de l’autre, des partisans de Klein choqués par cette radicalisation. L’ambiance a viré au cauchemar numérique. Bientôt, la femme d’Ethan, Hila, fut traitée de « baby killer », accusée d’infanticide en ligne, et le couple a même été dénoncé à la Child Protection Services (CPS) dans ce qui ressemble à une opération de harcèlement organisée par des partisans pro-Hamas. L’ironie ? Hasan n’a jamais vraiment condamné ces agissements.
En réaction, Ethan Klein a produit un documentaire explosif — un Content Nuke — contre Hasan Piker, dans lequel il présente des extraits édifiants : soutien explicite au Hamas, interview biaisée des Houthis, et une tolérance douteuse envers des propos radicalisés au sein de sa communauté. Klein y dénonce ce qu’il appelle une dérive « sociopathique », évoquant même l’idée que Hasan est devenu dangereux pour la jeunesse politisée en ligne.
Perte complète de crédibilité
Ce Content Nuke a déclenché un tsunami de réactions. Pour les internautes habitués aux clashs et aux dramas, le divorce Piker–Klein a été vécu comme le drame politique de l’année. Des commentateurs comme Asmongold — streamer le plus regardé sur Twitch en 2024 — ont pris le temps de décortiquer l’affaire, preuve par preuve, dénonçant l’attitude sectaire et l’hypocrisie de Piker.
C’est dans ce contexte que iDubbbz, autrefois héros de l’irrévérence web avec ses Content Cop, a tenté une rédemption maladroite. Dans une vidéo de soutien à Hasan, il prétend démonter le documentaire d’Ethan… mais le résultat fut une véritable auto-destruction : absence de contre-preuves, pas un mot sur le signalement à la CPS, montage bâclé — bref, un pur exemple de ce que les internautes ont qualifié de « content slop ». Ethan y a répondu dans de longs podcasts et avec fermeté, soulignant le manque de rigueur et la perte de crédibilité d’un iDubbbz déjà affaibli depuis qu’il a tenté sans succès de salir Sam Hyde, un autre humoriste controversé.
On se rappelle que trois ans plus tôt, iDubbbz organisait un événement de boxe et Sam Hyde, qui en avait été banni, avait défié Hasan Piker : «C’est le chad, le though de la gauche, ça ferait du sens qu’il veuille se battre contre moi, qu’il voit comme un véritable nazi.» C’était là une manière de railler Piker qui, au lieu de débattre ou d’ignorer, psychiatrise ses opposants, les qualifiant de nazis dès qu’ils dévient de sa ligne.
TVA Nouvelles sous le dôme
C’est dans cet univers riche, complexe et hautement codifié que TVA Nouvelles s’est permis de débarquer en relayant sans sourciller une dépêche de l’AFP présentant Hasan Piker comme une pauvre victime du système. Le problème n’est pas tant de parler de détention abusive ou de profilage — c’est d’omettre sciemment l’ensemble du contexte numérique qui transforme cette affaire en accusation sérieuse, voire en affaire de sécurité nationale.
Hasan Piker n’est pas un citoyen ordinaire, encore moins un journaliste neutre. Il est une figure de proue d’une gauche radicalisée qui glorifie des groupes terroristes, harcèle ses opposants en ligne, et sape toute tentative de débat en noyant l’opposition dans des accusations de racisme, d’impérialisme ou de fascisme. Le présenter comme un martyr, sans un mot sur la rupture avec Ethan Klein, sans mention des interviews problématiques, ni du signalement à la CPS, relève soit de l’incompétence journalistique, soit d’une volonté idéologique de contrôler le narratif.
Et c’est peut-être cela, le plus inquiétant : ces médias traditionnels, à bout de souffle, incapables de comprendre l’univers web qui structure désormais la culture politique de la jeunesse, tentent désespérément de conserver un monopole sur l’indignation — quitte à transformer un agitateur dangereux en victime.
Le récit du martyr est un outil puissant. Mais mal utilisé, il devient une arme de désinformation.