Traduit de l’anglais. Article de Sabrina Maddeaux publié le 8 juillet 2023 sur le site du National Post.
Aussi longtemps que la plupart des politiciens et des électeurs en vie aujourd’hui s’en souviennent, le Canada a été une nation solidement favorable à l’immigration. Jusqu’à présent, l’opinion publique était pratiquement unanime, du moins en dehors du Québec, sur le fait qu’un plus grand nombre de nouveaux arrivants représentait un bien absolu.
Cela nous a permis de nous payer le luxe d’être plutôt superficiels en matière de politique d’immigration. C’était loin d’être un sujet qui décidait des élections – en fait, il s’agit d’un sujet tellement tabou que les sondeurs prennent rarement la peine de l’inclure lorsqu’ils interrogent les Canadiens sur les questions qui leur tiennent à cœur.
Toute discussion à ce sujet se résumait généralement à une question : comment obtenir plus d’immigrants, plus rapidement ? Les différences entre les approches des partis étaient à peine visibles à l’œil nu.
Mais l’opinion publique peut évoluer rapidement lorsque les expériences vécues par les électeurs, ou même les perceptions qu’ils en ont, changent. En effet, un nouveau sondage réalisé par David Coletto, d’Abacus Data, suggère que nous sommes peut-être déjà sur cette voie.
C’est la raison pour laquelle, compte tenu notamment des pénuries de logements et de soins de santé qui sévissent d’un bout à l’autre du pays, il n’a jamais été judicieux de considérer le consensus pro-immigration du Canada comme acquis.
Alors que les problèmes de logement et de soins de santé se transformaient en véritables crises, les libéraux fédéraux ont continué à faire exactement la même chose. Peu enclin à la nuance et à l’orgueil moral, le gouvernement du Premier ministre Justin Trudeau a poussé à son paroxysme le principe selon lequel « plus il y en a, mieux c’est » en matière d’immigration.
Alors que les commentateurs, dont je fais partie, et les économistes ont mis en garde contre le fait que cette approche rapide pourrait ne pas être durable et risquerait d’aigrir les Canadiens à l’égard de l’immigration, rien n’indique que quelqu’un au pouvoir soit à l’écoute.
Les objectifs du Canada en matière d’immigration ont grimpé à 500 000 par an, sans compter le programme des travailleurs étrangers temporaires, qui a totalisé plus de 200 000 nouvelles approbations en 2022, ou les visas d’étudiants internationaux, qui sont illimités et qui ont compté un peu plus de 550 000 nouveaux étudiants l’année dernière. Cela représente bien plus d’un million de nouvelles personnes entrant au Canada chaque année.
Pour mieux visualiser l’ampleur du phénomène, cela correspond à l’ajout d’une ville entière, Calgary (population : 1 019 942 habitants), chaque année. Ou environ deux Hamiltons (population : 519 949), ou trois Halifax (population : 359 111).
Entre-temps, l’hôpital SickKids de Toronto compte une liste d’attente de 6 509 enfants pour une intervention chirurgicale, dont 67 % ont dépassé le délai recommandé pour les soins. Les listes d’attente pour les médecins de famille atteignent 10 ans dans certaines localités. La Colombie-Britannique transfère au moins 5 000 patients atteints de cancer aux États-Unis, car les temps d’attente intenables pourraient entraîner des décès évitables.
La Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) a déclaré l’année dernière qu’il faudrait au moins 5,8 millions de logements d’ici à 2030 pour que le logement redevienne abordable. Un an plus tard, de nombreuses municipalités du pays sont loin d’être en mesure de construire leur part du gâteau.
En outre, ce sont de plus en plus souvent les nouveaux arrivants eux-mêmes, en particulier les travailleurs temporaires et les étudiants, qui souffrent le plus de la pénurie de logements à leur arrivée. Cette situation a conduit à une augmentation de l’exploitation, depuis la confiscation des passeports par les employeurs jusqu’à l’acceptation par les propriétaires d’un loyer sous forme d’actes sexuels.
Ce n’est certainement pas le Canada que de nombreux nouveaux arrivants imaginaient, et nous ne devrions pas être fiers d’offrir à un nombre croissant d’entre eux des visions de nos propres gains économiques qui nous trottent dans la tête.
Tout réaliste comprendra qu’il faut faire des concessions. Le Canada ne peut pas tout avoir en matière d’immigration alors que les pénuries de biens et de services de base persistent. Si les pénuries ne sont pas le fait des immigrants et qu’il ne faut pas les en blâmer, cela ne nous empêche pas de reconnaître que nos politiques d’immigration doivent être réexaminées avec lucidité.
L’enquête nationale Abacus Data réalisée par Coletto en juin dernier révèle que 11 % des Canadiens considèrent désormais l’immigration comme l’un des trois principaux problèmes. Plus révélateur encore, 61 % des personnes interrogées considèrent que l’objectif de 500 000 immigrants par an est trop élevé. Trente-sept pour cent des Canadiens considèrent que l’objectif de 500 000 est « beaucoup trop élevé ».
Je ne peux m’empêcher de me demander quelle aurait été la réponse si la question d’Abacus avait cité le chiffre réel d’un million de nouveaux arrivants par an. En l’état, 63 % des personnes interrogées pensent que le nombre d’immigrants entrant au Canada a un impact négatif sur le logement, et 49 % sont du même avis en ce qui concerne l’impact sur les soins de santé. Seuls 43 % pensent que l’immigration a un impact positif sur notre croissance économique.
De nombreux politiciens fédéraux semblent craindre de toucher au dossier complexe de l’immigration, de peur d’être taxés de xénophobie ou de racisme par leurs adversaires politiques. Pourtant, Coletto constate que même une majorité d’immigrés pense que les objectifs actuels sont trop élevés.
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