Sommée de tenir les parents de son élève dans l’ignorance de la transition de genre de leur fille, une enseignante saisit la justice pour que soit déclarée illégale et inconstitutionnelle une politique du ministère de l’Éducation.
MONTRÉAL, QC : Le Centre juridique pour les libertés constitutionnelles annonce l’introduction d’un pourvoi en contrôle judiciaire en Cour supérieure de Montréal, au nom d’une enseignante qui refuserait de mentir aux parents de l’une de ses élèves, âgée de 14 ans, au sujet de la transition de leur enfant.
L’école secondaire, dont l’identité fait l’objet d’une ordonnance de confidentialité, aurait agi conformément à sa procédure interne, elle-même mise en place suivant une politique du ministère de l’Éducation énoncée dans un controversé « guide à l’intention des milieux scolaires », sur lequel nous reviendrons dans quelques lignes.
En début octobre 2023, l’école de langue anglaise de Montréal a informé l’enseignante qu’elle devrait dorénavant désigner son étudiante avec des pronoms masculins, tout en précisant qu’elle devrait néanmoins continuer à référer à elle au féminin dans ses communications avec les parents, de façon à les garder dans l’ignorance de la transition de leur enfant. La décision a été prise en l’absence d’indications de maltraitance parentale, en conformité avec les politiques ministérielles et ce que le « guide » présente comme la loi.
L’enseignante a fait savoir à la direction de l’école que, tout en respecter le choix de pronoms son élève, elle s’opposait à devoir mentir à ses parents lors de la rencontre semestrielle entre parents et professeurs.
L’école a temporairement accepté d’accommoder l’enseignante en l’autorisant à soumettre un rapport écrit aux parents, en lieu et place d’une rencontre en personne. Elle a toutefois précisé que cette exception ne se répéterait pas lors de la rencontre du prochain trimestre.
L’enseignante demande à la Cour d’invalider le guide du ministre de l’Éducation, notamment parce qu’ils contreviennent aux droits parentaux protégés par l’article 7 de la Charte canadienne au mépris des principes de justice fondamentale et sans justification suffisante dans une société libre et démocratique. En outre, l’enseignant estime que le « Guide » et la procédure interne de l’école violent son droit à la liberté de conscience que garantit l’article 2 de la Charte.
Une première depuis la Charte (1982)
« Je n’aurais pas pu vivre avec moi-même si j’avais obtempéré à ce qui m’était demandé. Je ne pouvais concevoir de mentir aux parents, en leur cachant ainsi notre participation à une intervention psychosociale d’une aussi grande importance dans le développement de leur enfant », dit l’enseignante objectrice de conscience.
Selon Me Olivier Séguin, ce serait la première fois que la liberté de conscience garantie à l’article 2.a) de la Charte canadienne, qui énonce la liberté de conscience et de religion, serait soulevée sans invoquer de motifs religieux. « L’interdit lié au mensonge est commun à toutes les religions, mais l’objection de conscience de ma cliente n’est pas de nature religieuse, à proprement parler ».
« Mon rôle d’enseignante est inconcevable sans une collaboration transparente avec les parents de mes élèves. Leur mentir sur un sujet aussi important viole les principes de base de ma vocation ».
Contexte politique québécois
Notons que cette procédure intervient à un moment particulier dans la vie politique québécoise, alors qu’un « comité des sages » a récemment été désigné afin de faire la lumière sur les questions touchant à l’identité de genre.
En effet, les nombreuses mesures législatives intervenues à la faveur de la théorie du genre depuis 2016 ont récemment donné lieu à des affaires fortement médiatisées qui ont choqué l’opinion publique québécoise. Au nombre de ceux-ci, mentionnons le cas de cette école primaire de Richelieu ayant fait parvenir une lettre aux parents d’élèves pour les informer que leurs enfants auraient pour professeur une certaine « Mx Martine », ou encore le cas de cette école secondaire de Rouyn-Noranda ayant entrepris de travaux pour offrir des blocs sanitaires mixtes à ses élèves en lieu et place de ses toilettes pour garçons ou pour filles, avant que le ministre de l’Éducation n’intervienne pour l’en empêcher.
Jeux d’influence dans l’appareil d’État
S’il est exact que la loi ne mentionne pas expressément la manière dont les écoles devraient traiter des cas comme celui-ci, dit Me Olivier Séguin, les rédacteurs véritables du guide semblent avoir voulu émettre une directive ministérielle en catimini, par le truchement d’un « guide » destiné aux écoles, en faisant dire à la loi des choses qu’elle ne dit tout simplement pas.
Dans sa section intitulée « Encadrements légaux » (page 8), le « guide » cite l’article 60 du Code civil du Québec à l’effet qu’une demande de changement de nom peut être faite à l’initiative d’un mineur de 14 ans et plus, mais passe sous silence l’article 62, pourtant situé tout à côté, à l’effet que la demande de changement de nom doit être notifiée aux à parents, qui peuvent s’y opposer.
Les rédacteurs du « guide » récidivent en citant l’article 71 du même Code civil à l’effet qu’une demande de changement de la mention du sexe peut être faite à l’initiative d’un mineur de 14 ans et plus, sans faire mention de l’article 73, tout aussi proche voisin, qui est lui aussi à l’effet que les parents doivent pouvoir s’y opposer.
Me Séguin dit ne pas croire à la thèse de l’erreur de bonne foi. « Les irrégularités dont le guide est truffé sont à la fois trop évidentes et trop nombreuses pour y voir autre chose qu’une volonté de tromper la confiance des lecteurs en prétendant, à tort, traduire la lettre de la loi. J’y vois une forme d’usurpation de pouvoir ».
Une usurpation de pouvoir que l’on peut difficilement attribuer à la personne du ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, dont Le Devoir avait déjà a déjà fait remarquer qu’en s’opposant aux toilettes mixtes dans les écoles, il se serait placé en contradiction avec « les recommandations de son propre ministère », c’est-à-dire les recommandations énoncées dans « le guide ».
Une chatte n’y retrouverait pas ses petits
Le Devoir rapportait dans le même article que, selon le directeur général du Conseil LGBT du Québec, James Galantino, le guide serait le fruit d’une collaboration entre : (1) le ministère de la Justice, (2) le ministère de la Famille, (3) le Bureau de lutte contre l’homophobie et la transphobie, (4) la Chaire de recherche sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres de l’Université du Québec à Montréal, et (5) la Table nationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie dans les réseaux de l’éducation. Le ministère de l’Éducation ne figure pas dans l’énumération.
À défaut de pouvoir identifier nommément les rédacteurs véritables du guide, difficile de ne pas y voir une orientation idéologique, tandis que son glossaire y définit le genre comme étant un « continuum largement compris ayant deux pôles, masculin et féminin, toutes les nuances entre ces deux pôles et à l’extérieur de ceux-ci étant possibles, personnelles et légitimes ».(nos soulignements)
Pour consulter le site du Centre juridique pour les libertés constitutionnelles (CJLC), c’est ici.