Traduit de l’anglais. Article de Robyn Urback publié le 22 février 2024 sur le site du Globe and Mail.
Le mot « épidémie », autrefois limité à la description de la propagation d’une maladie, a évolué, tant dans le langage courant que dans le langage officiel, pour désigner toutes sortes d’activités délétères qui se sont répandues. La violence sexiste est une épidémie, selon le gouvernement fédéral et diverses municipalités. Il en va de même pour la dépendance aux opioïdes et à d’autres drogues, comme le décrit le comité permanent de la santé du gouvernement. La solitude est une épidémie, selon l’Institut national du vieillissement. Même le problème des vols de voitures au Canada a été qualifié d’« épidémie » par divers médias.
[…]
Si le contexte était différent – cible différente, histoire différente, groupe différent d’auteurs présumés – les incendies criminels qui ont frappé les églises catholiques du Canada au cours des trois dernières années pourraient être qualifiés d’« épidémie ». Les militants des droits de l’homme se rassembleraient sur la colline du Parlement, brandissant des pancartes énumérant les noms des deux douzaines d’églises qui ont été complètement détruites par des incendies criminels confirmés depuis mai 2021 (selon un décompte du média de droite True North, 47 ont été endommagées par le feu – dont beaucoup dans des circonstances suspectes – et 53 autres ont été vandalisées). Les politiciens de tous les partis se lèveront dans l’hémicycle pour condamner les attaques. Les Canadiens exigeraient une enquête et le gouvernement nommerait un représentant spécial/envoyé/rapporteur chargé d’assurer la liaison avec les communautés et de faire rapport.
Il y aurait très certainement une réaction nationale vigoureuse si des mosquées ou des synagogues étaient incendiées, plutôt que des églises. Mais les chrétiens du Canada ne sont généralement pas considérés comme une minorité persécutée (même si le fait de voir leurs lieux de culte incendiés constitue sans doute un certain degré de persécution). De plus, l’histoire de cette affaire est complexe : Les incendies ont débuté à la suite d’informations faisant état de tombes anonymes sur les sites d’anciens pensionnats gérés par l’Église. Si l’on ajoute à cela une politique sociale inconfortable – dans certains cas au moins, les incendiaires présumés sont des autochtones -, ce que l’on pourrait qualifier d’« épidémie » nationale est pour l’essentiel passé sous silence.
Au début du mois, le pasteur de la paroisse Blessed Sacrament de Regina a diffusé des images de surveillance montrant un homme tentant de mettre le feu à l’église. Le député de Saskatoon-University Corey Tochor a demandé le consentement unanime de la Chambre pour condamner l’acte, mais cela lui a été refusé. L’année dernière, après l’incendie de deux églises dans sa circonscription, le député de Peace River-Westlock, Arnold Viersen, a tenté à plusieurs reprises de faire adopter par la commission permanente des affaires autochtones et du Nord une motion condamnant ces actes. Il s’est heurté à la même fin de non-recevoir.
Nous ne savons pas si tous les incendies criminels ou les actes de vandalisme perpétrés dans les églises au cours des trois dernières années étaient l’expression d’une vengeance calculée à l’encontre de l’Église catholique. D’une part, l’histoire des tombes anonymes sur les sites des pensionnats est devenue plus alambiquée ; sur la grande majorité des sites signalés, aucun reste n’a été trouvé jusqu’à présent (ce qui ne veut pas dire que des enfants ne sont pas morts dans des circonstances horribles dans ces pensionnats). Les incendies n’en ont pas moins continué. Quatre églises de l’Alberta ont brûlé en décembre ; la police enquête sur ces incendies criminels.
Bon nombre des personnes accusées de vandalisme ou d’incendies suspects dans diverses églises semblent être touchées par des problèmes tels que le sans-abrisme, la toxicomanie et l’anarchie chez les jeunes, ce qui suggère que, comme pour la plupart des épidémies sociales, il n’y a pas de cause fondamentale unique. Mais l’effet est plus simple : les communautés perdent leurs lieux de culte et les individus perdent le sentiment de sécurité dont ils devraient jouir dans l’endroit où ils choisissent de pratiquer leur foi. Les églises, comme tous les espaces religieux, ne sont pas de simples structures ; elles fonctionnent plutôt comme des symboles de leurs communautés. C’est pourquoi, lorsqu’elles sont attaquées, c’est l’ensemble du groupe religieux – et pas seulement certains paroissiens ou fidèles – qui se sent victime.
Il n’est pas surprenant que certains dirigeants politiques ou militants sociaux hésitent à condamner les attaques contre les églises. Nous vivons à une époque où les hiérarchies de pouvoir perçues régissent les dogmes et où les personnes et les institutions sont classées dans les catégories inamovibles d’« oppresseurs » et d’« opprimés ». Et qui veut être vu en train de défendre la grande et puissante église au détriment de ceux qui ont été historiquement marginalisés ? (Un fait gênant est que certaines des églises détruites étaient situées dans des communautés autochtones et comptaient des fidèles indigènes).
[…]