L’escalade de la violence dans le conflit israélo-palestinien a éclipsé la bataille qui sévit à la Chambre des Représentants, où le Parti Républicain peine à faire élire le successeur de Kevin McCarthy. Ce dernier a été démis de ses fonctions de speaker le 3 octobre dernier, suite à un vote de confiance réclamé par le Républicain Matt Gaetz.
L’année 2016 aura été un point tournant pour le Parti Républicain. Depuis l’entrée en scène de Donald Trump, on ne peut plus voir le parti comme un bloc monolithique dominé par les Néo-Conservateurs de l’ère Bush-Cheney. L’affirmation du courant populiste MAGA/America 1st défie désormais l’establishment pour prendre le contrôle du parti. Rien n’illustre mieux la lutte interne que se livrent ces deux factions rivales que les difficultés à faire élire un speaker.
Le 11 octobre, Steve Scalise [de Louisiane] a remporté la nomination interne du parti dans une victoire serrée, obtenant 113 voies contre 99 pour Jim Jordan [de l’Ohio] dans un vote à huis clos. Or, Scalise est considéré trop proche de l’establishment et trop semblable à Kevin McCarthy par certains. Plusieurs Représentants Républicains ont indiqué qu’ils continueraient à voter en faveur de Jordan si un vote était tenu en Chambre [soit, avec les 212 Démocrates]. Ces défections constituent un phénomène nouveau et inattendu, car le respect du résultat de la nomination interne avait habituellement toujours été acquis. Dans la configuration actuelle, il suffit à ce que 5 Républicains fassent faux bond pour que le candidat proposé par le parti n’accède pas au poste.
Les Républicains détiennent une maigre majorité avec 221 sièges face aux Démocrates qui en ont 212 [il y a actuellement 2 sièges vacants]. Pour être élu au poste, un candidat doit obtenir 217 votes.
Sachant qu’il ne pourrait pas remporter ce vote, Scalise a abandonné la course. Jim Jordan, un allié de Donald Trump et membre du Freedom Caucus qui est très apprécié par la frange populiste MAGA, a subséquemment remporté la nomination lors d’un second vote interne avec 124 votes.
Par contre, Jordan n’a pas obtenu la majorité nécessaire lors des deux premiers tours de scrutin tenus en Chambre. Il a reçu 200 voies au premier, puis 199 au second, alors que les 212 Démocrates ont tous voté en bloc pour leur candidat, Hakeem Jeffries. La Chambre va devoir répéter le processus jusqu’à l’obtention d’une majorité des voies.
Nous assistons ainsi un peu aux mêmes manœuvres qu’au mois de janvier, mais à l’envers. Cette fois-ci, ce sont les Républicains politiciens de carrière plus proches de l’establishment qui empêchent la Chambre de se doter d’un président et de reprendre ses travaux. Ils sont péjorativement appelés RINO [Republicans In Name Only, en français: Républicains de nom seulement]. La liste des noms de la vingtaine de Représentants n’ayant pas appuyé Jim Jordan circule sur les réseaux sociaux, invitant les électeurs à les contacter pour faire pression. Les Républicains populistes condamnent ces politiciens de carrière qui sont davantage au service de la classe donatrice que de leurs électeurs MAGA.
Jim Jordan a toujours appuyé Donald Trump, et ne l’a pas laissé tomber suite aux événements du 6 janvier 2021. Il s’est également fait connaître pour son opposition aux revendications du lobby LGBTQ+ et aux mesures coercitives pendant la pandémie. Il n’est donc pas étonnant que les médias mainstream soient engagés dans une vaste campagne de dénigrement pour nuire à son élection au 3ème poste en importance dans la chaîne de commandement, derrière le Président et le Vice-Président.
Selon CNN, la chose la plus importante à savoir au sujet de Jim Jordan, c’est qu’il est « un sceptique passif quant aux résultats des élections de 2020 ». Rachel Maddow du réseau MSNBC se demande si « une Chambre dirigée par Jordan certifierait les résultats d’une élection à laquelle Donald Trump s’est présenté mais a perdu ». La BBC rapporte que « les législateurs Républicains affirment avoir été la cible de tactiques d’intimidation, notamment de menaces de mort, de la part des alliés de Jim Jordan alors que son élection à la présidence de la Chambre des représentants des États-Unis a échoué ». Inversement, pas certain que les médias fassent grand cas des messages hostiles que reçoivent probablement les Républicains MAGA « d’extrême droite ».
Parmi les priorités des Républicains MAGA/America 1st: combattre l’instrumentalisation de l’appareil judiciaire à des fins partisanes [notamment celle subie par Trump], voter des résolutions spécifiques plutôt que de faire adopter des lois omnibus, sécuriser la frontière, s’opposer au wokisme, protéger les enfants et cesser de financer les guerres étrangères – particulièrement l’Ukraine. Les Républicains qui tiennent le discours le plus fermement non-interventionniste lorsqu’il s’agit de fournir du financement et de l’armement à l’Ukraine ne tiennent pas forcément le même discours face au soutien à Israël dans sa guerre actuelle contre le Hamas. Si on se fie aux commentaires sur les réseaux sociaux, ce deux poids deux mesures ne fait pas l’unanimité parmi une base manifestement isolationniste.
L’élection de Jordan est-elle du domaine du possible? En janvier, celle de McCarthy avait nécessité 15 tours de scrutin. Lors du premier vote, il n’avait obtenu que 203 votes. Il a éventuellement été capable d’en récolter 216, ce qui fut suffisant car certains des réfractaires du Freedom Caucus ont voté « présent », abaissant le seuil à franchir.
Il est peu probable que les Démocrates cessent de voter en Bloc pour leur candidat, Hakeem Jeffries. Plus longtemps la chambre reste sans président, et mieux ils peuvent blâmer les Républicains pour les dossiers qui ne sont pas traités. Aussi, est-il possible que le mandat du chef intérimaire Patrick McHenry soit allongé, permettant ainsi d’éviter la fermeture de la Chambre et la paralysie du gouvernement. Un autre scénario possible, quoiqu’improbable, serait de voir une poignée de Républicains non-MAGA à bout de patience voter pour le Démocrate Hakeem Jeffries. Cela donnerait raison à ceux qui déplorent l’existence d’un Uniparti.
Si Jim Jordan parvient à se faire élire, la manœuvre de Matt Gaetz sera, au final, couronnée d’un succès. Par contre, si la Chambre se retrouve avec un speaker proche de l’establishment comparable à Kevin McCarthy, ou pire, avec Hakeem Jeffries, ce sera un échec retentissant dont le mouvement MAGA aura de la difficulté à se remettre.