Pendant que le débat public continue de se polariser entre défense inconditionnelle des soins d’affirmation de genre et dénonciation de leurs excès, une autre réalité demeure largement ignorée : celle de ceux qui font marche arrière. Derrière les slogans et les positions idéologiques, un nombre croissant de jeunes adultes racontent la difficulté, voire l’impossibilité, d’obtenir du soutien lorsqu’ils choisissent de détransitionner — comme si le simple fait de revenir sur une décision médicale invalidait leur expérience. Sharon Kirkey rapporte dans le National Post que la plus vaste étude canadienne menée depuis plusieurs décennies sur la détransition – c’est-à-dire le processus consistant à interrompre, modifier ou renverser une transition de genre – révèle une réalité dérangeante : ceux et celles qui choisissent de revenir en arrière se trouvent souvent isolés, ignorés par le corps médical et rejetés par les communautés qui les avaient autrefois soutenus. Cette forme de rejet, que les chercheurs qualifient de « détransphobie », met en lumière un angle mort de la médecine du genre et des milieux militants LGBTQ : l’absence de soutien et de protocoles cliniques adaptés pour les détransitionnaires.
Une étude sans précédent au Canada et aux États-Unis
Menée par une équipe de chercheurs de l’Université York et publiée dans The International Journal of Transgender Health, cette étude s’appuie sur un vaste sondage anonyme réalisé entre décembre 2023 et avril 2024. Près de 1 000 personnes y ont participé — 957 pour être exact — dont 704 aux États-Unis et 253 au Canada. Tous les répondants s’identifiaient comme ayant vécu une détransition, qu’elle soit partielle ou complète.
Le financement provient du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), un organisme fédéral, et l’équipe est composée majoritairement de chercheurs issus des minorités sexuelles et de genre, soucieux de comprendre les besoins réels de cette population souvent marginalisée. Pour éviter toute manipulation de données, les chercheurs ont mis en place des protocoles stricts afin d’écarter les réponses automatisées ou frauduleuses, notamment en vérifiant manuellement des milliers de formulaires reçus via les réseaux sociaux et les cliniques de genre.
Le constat : rejet, silence médical et isolement social
Kirkey rapporte que nombre de participants décrivent avoir été « ghostés » — ignorés — par les chirurgiens ou endocrinologues qui les avaient autrefois suivis. Certains témoignent d’un sentiment de trahison : « J’ai été ignorée par le chirurgien qui a pratiqué ma mastectomie », confie l’une des participantes citées dans l’étude, après avoir tenté de trouver un spécialiste pour une reconstruction mammaire.
Selon l’article du National Post, 60 % des répondants affirment éviter les médecins « parfois » ou « toujours », principalement par peur d’être jugés. Près de 42 % affirment que leur médecin « ne semblait jamais compétent » lorsqu’il était question de détransition. Beaucoup disent n’avoir reçu aucune information sur les effets d’un arrêt soudain des hormones.
Sur le plan social, le rejet est tout aussi violent. Plusieurs témoignages décrivent une perte totale de réseau : « J’ai perdu tous mes amis et adultes de confiance lorsque j’ai choisi de détransitionner », raconte un participant. Un autre ajoute : « Je me sens totalement aliéné et isolé du reste de la communauté queer. »
Une stigmatisation nouvelle : la « détransphobie »
L’équipe dirigée par York University parle de detransphobia pour désigner cette forme spécifique de discrimination. Elle se manifeste lorsque les individus qui renoncent à leur transition sont exclus des communautés LGBTQ ou perçus comme des « traîtres » idéologiques. Le modèle de détransphobie présenté dans l’étude souligne que ces personnes rencontrent des barrières institutionnelles et sociales importantes, en raison du présupposé selon lequel le genre et l’identité sont immuables.
Le rapport critique ainsi une approche médicale souvent trop univoque : « Le système de soins affirmant le genre part du principe que les identités trans ou non binaires sont stables et qu’un individu n’effectuera qu’une seule transition dans sa vie », cite Kirkey. Or, les chercheurs rappellent que certaines personnes vivent plusieurs transitions ou découvrent que leur dysphorie était liée à d’autres causes – traumatismes, homophobie intériorisée, ou mal-être psychologique profond non traité.
Un profil majoritairement féminin et jeune
Toujours selon les données rapportées par Sharon Kirkey, 79 % des participants à l’étude sont des personnes nées femmes, ce qui reflète la hausse fulgurante des jeunes filles orientées vers des traitements hormonaux précoces. Une étude canadienne citée dans l’article montre qu’environ 82 % des mineurs référés pour bloqueurs de puberté dans les dix cliniques de genre du pays étaient de sexe féminin.
L’âge moyen d’entrée dans le processus de transition initiale est également frappant : plusieurs jeunes femmes rapportent avoir commencé la testostérone dès 15 ans et subi une mastectomie à 18 ans, avant d’exprimer des regrets profonds. Certaines parlent de douleurs physiques persistantes, d’infertilité ou d’effets secondaires irréversibles sur la voix et la pilosité, les obligeant à suivre de coûteux traitements de rééducation vocale ou d’épilation au laser.
Un système de soins à repenser
L’étude, rapportée par Kirkey, souligne une absence totale de lignes directrices officielles pour encadrer la prise en charge médicale et psychologique des détransitionnaires. Les besoins de ces patients, en matière de reconstruction chirurgicale, de soutien hormonal ou de suivi psychothérapeutique, demeurent largement ignorés par les institutions.
Beaucoup expriment le souhait que les médecins adoptent une approche plus neutre et moins idéologiquement orientée. « Si j’avais eu le moindre soutien, je n’aurais peut-être pas détransitionné », confie un participant. Plusieurs ajoutent que leurs thérapeutes semblaient plus enclins à encourager une transition qu’à explorer d’autres causes de la détresse.
Les chercheurs mettent en garde contre une politisation excessive du sujet : « Les conservateurs veulent que nous témoignions pour “prouver” que la transition est mauvaise, alors que les progressistes veulent nous faire taire de peur que nous découragions les trans », cite Kirkey d’après les entretiens menés.
Vers une approche plus nuancée
Les auteurs de l’étude plaident pour une réforme en profondeur de la médecine du genre au Canada, notamment une meilleure information des patients avant les interventions et un encadrement des soins post-transition. Certains cliniciens, rapportait déjà Kirkey dans de précédents articles, appellent à ralentir les transitions médicales chez les mineurs et à mieux distinguer les cas de dysphorie durable des détresses identitaires passagères.
Au-delà des chiffres, cette étude témoigne d’un phénomène encore mal compris : celui de jeunes adultes qui, après avoir cru trouver leur vérité dans une transition médicale, se retrouvent aujourd’hui confrontés à un vide de soutien et à un silence pesant.
En donnant la parole à près d’un millier de détransitionnaires, la recherche citée par Sharon Kirkey dans le National Post révèle un revers tragique d’un système de soins pensé pour affirmer, mais rarement pour questionner. Ces hommes et ces femmes, souvent marqués à vie par des transformations physiques irréversibles, réclament non pas une stigmatisation supplémentaire, mais la reconnaissance d’une souffrance spécifique – et la possibilité d’être, à nouveau, écoutés.



