À Kelowna, en Colombie-Britannique, les autorités municipales tirent la sonnette d’alarme : la criminalité qui mine le centre-ville ne serait pas le fait de centaines d’individus, mais d’une infime minorité constamment relâchée par les tribunaux. C’est ce que révèle un rapport municipal repris par la journaliste Tristin Hopper dans le National Post, qui montre comment quinze délinquants chroniques seulement ont généré à eux seuls plus de 1 300 dossiers policiers en 2024.
Le document, d’une quinzaine de pages, décrit un cercle vicieux où la justice relâche presque aussitôt les mêmes individus responsables de vols, d’agressions et de menaces répétées. Selon le rapport, « le modèle de criminalité persistante observé chez ce groupe est stupéfiant et incessant », au point d’épuiser les ressources policières, les services d’urgence et les programmes d’aide communautaire.
Ces récidivistes sont devenus, selon les mots du rapport cités par Hopper, un « écosystème criminel » mêlant vols et violence. Autrefois distincts, les voleurs et les agresseurs appartiennent désormais à la même sphère, ce qui complique toute intervention efficace. Trois profils anonymes illustrent cette réalité : le premier, surnommé « le grand voyageur », a cumulé 223 interventions policières en quatre ans, violant à 31 reprises ses conditions de libération et manquant 32 comparutions au tribunal. Un autre, identifié comme Sujet C, a fait l’objet de 70 dossiers en seulement sept mois, dont treize crimes violents — une agression toutes les deux semaines.
Depuis plusieurs années, les villes britanno-colombiennes tentent d’alerter Victoria sur les conséquences de cette politique du « catch and release ». En 2022, treize maires avaient déjà signé une lettre commune, révélant que deux cents récidivistes prolifiques suffisaient à anéantir les efforts de sécurité publique. Kelowna, notamment, rapportait à l’époque un seul délinquant responsable de 346 dossiers policiers en six ans.
La réaction du gouvernement provincial fut d’ouvrir une enquête sur le phénomène des délinquants chroniques, produisant un rapport de 170 pages et 28 recommandations. Mais, comme le note Tristin Hopper, aucune de ces propositions ne suggérait de durcir les peines ou les conditions de remise en liberté. Les auteurs allaient jusqu’à recommander d’abandonner l’expression même de « récidivistes prolifiques », jugée trop stigmatisante.
Dix ans de statistiques montrent pourtant une tendance inquiétante : à Kelowna, le taux de mises en accusation a chuté de moitié, passant de 2 024 par 100 000 habitants en 2014 à 1 043 en 2024. La Colombie-Britannique détient également le record canadien du laxisme judiciaire, avec 76,5 % des peines inférieures à 30 jours, contre 58,5 % ailleurs au pays. « Il est déraisonnable d’espérer que le système correctionnel puisse corriger le comportement d’un délinquant lorsque les peines sont si brèves », conclut le rapport.
Pour la Ville de Kelowna, ces constats traduisent une impasse : tant que les tribunaux continueront de relâcher les mêmes individus après quelques jours de détention, les efforts municipaux pour ramener la sécurité au centre-ville risquent de rester vains. Le rapport, présenté comme un cri d’alarme plus que comme une étude académique, exhorte les autorités provinciales et fédérales à rétablir un équilibre entre compassion et responsabilité.



