La journaliste Stephanie Taylor, dans un article publié le 31 octobre 2025 dans le National Post, rapporte que la Cour suprême du Canada a invalidé à une faible majorité la peine minimale obligatoire d’un an d’emprisonnement pour possession et consultation de pornographie juvénile. Cette décision, rendue par cinq juges contre quatre, repose sur l’idée qu’une peine uniforme peut devenir inconstitutionnelle lorsqu’elle s’applique à des infractions dont les circonstances varient considérablement.
L’affaire à l’origine du jugement concernait deux hommes du Québec ayant plaidé coupable à la possession de plus d’un millier de fichiers montrant des enfants, parfois âgés de trois ans, victimes d’abus sexuels. Toutefois, la Cour a fondé sa réflexion non sur ces cas précis, mais sur un scénario hypothétique : celui d’un jeune de 18 ans impliqué dans un échange d’images sexuelles avec une personne de 17 ans. Ce cas « raisonnablement prévisible », selon les juges majoritaires, montre que la peine minimale pourrait être « totalement disproportionnée » dans certaines situations, violant ainsi la Charte canadienne des droits et libertés.
La juge Mary Moreau, rédigeant l’opinion majoritaire, a souligné que le Parlement reste libre d’imposer des peines minimales, mais que celles-ci deviennent vulnérables lorsque les crimes visés couvrent un large éventail de comportements. Dans son jugement, elle précise que la criminalité liée à la pornographie juvénile va du délinquant organisé, collectionnant des milliers d’images d’enfants, au jeune adulte recevant une photo sans l’avoir sollicitée. Dans le second cas, la magistrate estime qu’une absolution conditionnelle pourrait être suffisante, rendant une peine d’un an manifestement excessive.
Cette position a profondément divisé le pays. Plusieurs élus conservateurs ont dénoncé le jugement, le qualifiant de dangereux et contraire à la volonté populaire. Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, a réclamé sur la plateforme X que le gouvernement fédéral utilise la clause dérogatoire pour rétablir la peine minimale, affirmant que « ces prédateurs restent derrière les barreaux pour le reste de leur misérable vie ». Danielle Smith en Alberta et Scott Moe en Saskatchewan ont tenu des propos similaires, estimant que ce sont aux législateurs élus, et non aux juges, de définir les sanctions.
Le chef conservateur Pierre Poilievre a promis, dans un communiqué, que s’il accédait au pouvoir, il rétablirait les peines minimales pour la possession de matériel d’exploitation d’enfants. Selon lui, la décision de la Cour suprême est « totalement erronée » et prive les tribunaux d’un outil essentiel pour protéger les enfants contre les agresseurs.
Du côté du gouvernement, la porte-parole du ministre de la Justice Sean Fraser, Lola Dandybaeva, a indiqué que la décision était à l’étude. Elle a rappelé que « les crimes exploitant les enfants sont parmi les plus graves et les plus odieux de notre société » et que le gouvernement entend renforcer les mesures de protection promises lors de la dernière campagne électorale.
Dans leur opinion dissidente, le juge en chef Richard Wagner et la juge Suzanne Côté ont défendu le maintien de la peine minimale, estimant qu’elle traduit la gravité exceptionnelle des crimes commis contre les enfants et sert à dissuader les potentiels délinquants. Ils rappellent que « chaque photo ou vidéo représentant un enfant est un acte d’exploitation qui laisse des cicatrices profondes et durables », et que la sévérité des sanctions exprime « l’indignation légitime de la société ».
Stephanie Taylor rappelle que cette décision s’inscrit dans une série de jugements similaires rendus par la Cour suprême depuis 2015, qui ont invalidé plusieurs peines minimales jugées contraires à la Charte. Dans des arrêts récents, notamment Hills et Marchand en 2023, les magistrats avaient déjà conclu que la dissuasion et la dénonciation ne peuvent justifier une peine automatique lorsque l’infraction couvre un spectre de comportements très large.
La question du recours à la clause dérogatoire par Ottawa ou les provinces reste ouverte, tout comme le débat sur l’équilibre entre la proportionnalité des peines et la protection des victimes mineures. La Cour a rappelé que le législateur conserve la responsabilité d’adapter la loi, mais le jugement a ravivé un vieux clivage : celui entre l’indépendance judiciaire et la volonté populaire en matière de justice criminelle.



