Nous avons appris aujourd’hui que la GRC privilégiait la piste terroriste dans son enquête sur l’attaque au couteau survenue le 20 décembre dernier au restaurant La belle et le bœuf de Chicoutimi. Bien que l’information sorte aujourd’hui, de nombreux commentateurs avaient souligné les manifestations de soutien au terrorisme d’Ahmed May sur les réseaux sociaux, et ce, quelques heures seulement après l’évènement.
Le ressortissant tunisien, qui n’est au pays que depuis 2 ans, était cuisinier et s’en serait pris à d’autres employés, dont une serveuse et une gérante. Les témoignages font état de coups de couteau, de « doigts coupés » et une victime est toujours hospitalisée à ce jour.
Son avocat, Me Nicolas Gagnon, explique que l’employé était en conflit avec sa gérante et que l’attaque était le résultat d’une dispute qui aurait dégénéré. Cela dit, de nombreux éléments portent à croire à une préméditation de nature terroriste.
Rapidement après l’attaque, des photos d’Ahmed May faisant le « Tawhid » – un doigt pointé en l’air pour représenter l’unicité de Dieu en Islam – avaient fait surface. Ce symbole revêt une lourde charge symbolique, puisque comme le Takbir (le fait de scander Allahu akbar), il est devenu incontournable dans les milieux terroristes islamistes. Par exemple, les combattants de l’infâme « État islamique », ayant ravagé l’Irak et la Syrie et multiplié les attentats partout sur terre, étaient souvent représentés le doigt en l’air en train de faire ce symbole.
De plus, la chronologie de certaines de ces publications est accablante. En effet, l’assaillant aurait publié un selfie de lui-même en train de faire le Tawhid seulement quelques minutes après son attaque, autour de 14h20, le 20 décembre 2023.
Mais les publications d’Ahmed May ne se limitaient pas à faire le Tawhid. En effet, l’individu partageait régulièrement des publications à saveur islamistes sur ses réseaux sociaux. Notamment, des publications faisant l’éloge d’Yahya Sinwar, chef du Hamas dans la bande de Gaza, ainsi qu’Abou Obaïda, porte-parole des brigades Izz al-Din al-Qassam.
De nombreuses publications comprenaient aussi un triangle rouge pointé vers le bas, un symbole couramment utilisé par le Hamas pour désigner des cibles israéliennes.
L’individu aurait aussi publié des statuts laissant croire qu’il planifiait son attaque. Le 19 décembre, accompagné par ce fameux triangle rouge, il publiait « bientôt bientôt bientôt » en référence à « la belle équipe Bœuf », témoignant d’une excitation évidente pour ce qui allait se produire. Le même jour, il faisait une publication comprenant la phrase « c’est un jihad de victoire ou de martyr ».
Les éléments portant à croire à une radicalisation islamiste sont donc légion, et les liens avec l’évènement semblent assez solide pour présumer une attaque de nature terroriste. Une situation que déplorent plusieurs commentateurs, car toutes ces informations étaient disponibles le jour même de l’attaque, mais n’ont pas été mentionnées par les médias, qui déclaraient simplement que le motif de l’attaque n’était pas connu.
La défense argue cependant que les penchants idéologiques de l’individu n’ont pas de liens avec l’attaque, et qu’il ne s’agit que d’une chicane entre employés qui aurait dégénéré. Ahmed May était apparemment frustré contre sa gérante, qui lui aurait notamment demandé de laver les toilettes, et aurait laissé exploser sa rage ce jour-là.
On en revient donc à un problème récurrent dans le traitement de ces attaques terroristes faites par des « loups solitaires » : si les motivations idéologiques et la radicalisation sont bien présentes, l’absence de lien direct avec une organisation et le profil sociologique et psychologique des assaillants peuvent venir troubler les analyses.
Tant la radicalisation que les problèmes psychologiques peuvent expliquer ces attaques, mais les deux phénomènes peuvent aussi s’entre-alimenter. Un individu psychologiquement instable est plus susceptible de tomber dans des idéologies radicales, et un individu radicalisé est plus susceptible de développer des problèmes psychologiques.
De la sorte, il est possible qu’une chicane de cuisine ait bel et bien poussé Ahmed May à commettre l’irréparable, mais qu’il ait aussi trouvé des justifications islamistes à ses actes. De nombreux loups solitaires sont initialement des individus isolés et frustrés qui trouvent dans le terrorisme une manière de se venger contre la société. L’erreur, cependant, serait de n’attribuer d’importance qu’à la composante psycho-sociale et évacuer complètement l’obsession qu’il semblait avoir pour l’islamisme violent.
D’autant plus que les services de renseignements font état d’une hausse de la menace terroriste partout au pays en raison de la guerre actuelle entre Israël et le Hamas. Les actes antisémites et « islamophobes » seraient en hausse, et les politiques d’immigration actuelles n’offrent probablement pas les assurances nécessaires pour bien trier les nouveaux arrivants.
Malgré une relative accalmie de la menace islamiste dans les dernières années, nous continuons de voir ces attaques se produire sur notre sol dans une relative indifférence médiatique. Cette récente attaque à Chicoutimi fait suite à l’attaque d’un policier à la barre de fer par Ali Ngakuriye à Montréal en 2020, où les médias furent aussi très silencieux sur sa nature préméditée et islamiste, jusqu’à ce que les éléments d’enquête rendent la chose impossible à ignorer.
