Le Canada autorise discrètement la vente de viande clonée sans étiquetage

À l’heure où la traçabilité alimentaire et la confiance envers les institutions publiques constituent l’un des derniers remparts entre le citoyen et les géants de l’agro-industrie, Ottawa vient de franchir une ligne que peu avaient vue venir. Un article de Heather Klein, publié le 2 novembre 2025 dans le Winnipeg Sun, révèle que Santé Canada a levé en catimini les restrictions imposées depuis vingt ans sur la vente d’aliments issus d’animaux clonés, autorisant désormais que la viande et les produits laitiers provenant de bovins et de porcs clonés — ou de leur descendance — soient écoulés au pays sans étiquetage ni avis public.

Une révision administrative, passée presque sous silence, mais qui bouleverse en profondeur la politique alimentaire canadienne. Sous couvert de science, c’est la notion même de consentement du consommateur qui vacille : mangerons-nous bientôt de la viande clonée sans le savoir ?

Une décision discrète, mais majeure

Selon les informations rapportées par Heather Klein, le changement découle d’un réexamen de politique amorcé en 2023 par Santé Canada, en collaboration avec l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) et Agriculture et Agroalimentaire Canada. À l’issue de cette révision, les autorités ont conclu que les produits issus du clonage animal ne présentent “aucun risque accru pour la santé humaine, animale ou l’environnement” par rapport à ceux provenant d’élevages traditionnels.

Cette conclusion a conduit le ministère à retirer les produits issus du clonage bovin et porcin de la catégorie des “aliments nouveaux”, une désignation qui exigeait auparavant une évaluation scientifique préalable et une divulgation publique avant toute mise en marché.
Autrement dit : ces produits peuvent désormais être vendus comme n’importe quelle autre denrée alimentaire, sans contrôle additionnel ni mention particulière.

Une politique fondée sur la « science » — ou sur la confiance ?

Dans les documents cités par le Winnipeg Sun, Santé Canada soutient que ses analyses scientifiques démontrent une composition « indistinguable » entre les produits issus du clonage et ceux provenant de la reproduction naturelle. Le ministère insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un relâchement des normes de sécurité, mais d’une mise à jour scientifique après deux décennies d’expérimentation et d’observations.

La politique initiale remontait à 2003, époque où le clonage par transfert nucléaire de cellules somatiques (SCNT) — la même technique utilisée pour créer Dolly la brebis — soulevait encore de nombreuses incertitudes. À l’époque, les aliments issus de clones étaient classés comme « novel foods » précisément parce que la science manquait de recul. Les éleveurs devaient donc soumettre des dossiers détaillés pour démontrer l’innocuité de leurs produits avant toute autorisation de vente.

Vingt ans plus tard, explique Klein, Santé Canada estime que “la science a rattrapé la politique”. Le ministère juge désormais inutile cette étape de vérification, considérant les clones et leurs descendants comme biologiquement équivalents aux animaux élevés de manière conventionnelle.

Une consultation restreinte et peu médiatisée

Heather Klein précise que le processus de consultation publique s’est tenu discrètement à la mi-2024 : les citoyens et organismes intéressés pouvaient envoyer leurs commentaires par courriel jusqu’à l’automne.
Mais moins de 1 200 personnes et organisations auraient été directement avisées — un chiffre dérisoire pour un changement aussi fondamental du système alimentaire. Les résultats de cette consultation n’ont jamais été largement diffusés.

À la fin de 2024, la modification réglementaire semblait déjà approuvée, et les registres gouvernementaux confirment qu’elle est désormais en vigueur depuis novembre 2025.
Aucune annonce politique, aucun communiqué majeur, seulement une révision administrative “en silence”.

Les critiques dénoncent un déficit de transparence

Pour plusieurs experts cités par le Winnipeg Sun, le fondement scientifique de la décision ne suffit pas à justifier l’opacité du processus. Un analyste en politiques alimentaires cité anonymement déplore que « la plupart des consommateurs s’attendent à être informés quand un changement aussi fondamental touche leur assiette ».
Même si le clonage n’introduit pas de gènes étrangers — contrairement aux OGM —, il soulève des questions morales, écologiques et culturelles quant à la perception du vivant et à la confiance envers les institutions.

L’absence d’étiquetage accentue ces inquiétudes : aucun moyen pour le consommateur de savoir si son steak, son lait ou son fromage provient d’un clone ou de sa descendance.
Selon Klein, les aliments issus de chèvres ou de moutons clonés demeurent toutefois soumis à une évaluation préalable, ceux-ci n’étant pas inclus dans la levée de restriction.

Un précédent silencieux pour l’agroalimentaire canadien

Santé Canada soutient que cette évolution n’altère en rien les exigences du Règlement sur les aliments et drogues, et que tous les produits — clonés ou non — doivent répondre aux mêmes standards de sécurité.
Mais le fait que la décision ait été rendue sans débat parlementaire ni conférence de presse étonne jusque dans les milieux agricoles. Elle illustre la croissante technocratisation du secteur alimentaire, où des décisions à fort impact sociétal peuvent être adoptées sans véritable participation du public.

Comme le conclut Heather Klein, c’est une “révision bureaucratique chuchotée” qui pourrait néanmoins modifier durablement ce qui se retrouve dans les assiettes des Canadiens : une mutation silencieuse, peut-être sans danger, mais sûrement sans précédent dans la politique alimentaire du pays.

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