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Le tour de magie « Mark Carney »

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Léandre St-Laurent est intervenant social auprès de jeunes ayant une déficience intellectuelle ou de l’autisme. De 2020 à 2022, il enseigne en adaptation scolaire. Il détient un baccalauréat en science politique et philosophie, et entreprend sa maîtrise en philosophie. Passionné de philosophie, de sciences sociales, de littérature et de cinéma, il collabore avec certaines revues et journaux, dont L’Action nationale. 

La guerre commerciale avec les États-Unis et la crainte de l’annexion font remonter un sentiment canadien refoulé à la surface. L’appel à l’unité sonne comme une formule magique dont l’Amérique du nord britannique a toujours eu le secret. Par tours de passe-passe, notre pacte pseudo-fédératif se présente d’abord et avant tout comme une démocratie parlementaire globale apaisée, alors qu’il sert également – et avant tout- à légitimer une conquête militaire, à imposer une révolution libérale détruisant l’identité des peuples qu’elle assujettit et à préserver anachroniquement un morceau d’empire britannique qui n’est pas vraiment un pays.

Une conjuration des élites libérales canadiennes

Les circonstances imposent la formule magique du jour : la formule Mark Carney. De façon superficielle, c’est la version canadienne-anglaise de cette propension de nos élites occidentales des dernières décennies à camoufler leur détachement mental et matériel d’avec une majorité populaire enracinée.

Du moment que le peuple en appelle à un renouvellement d’élites ayant perdu sa confiance – essentiellement, c’est ce qu’est le « populisme » -, ces dernière sont prêtes à toutes sortes de contorsions pour empêcher l’inévitable d’advenir, de maintenir coûte que coûte ce même régime qui a précipité la crise, quitte à assumer un déficit de légitimité démocratique.

Plutôt que d’assumer les conséquences de leurs actes, et de faire face aux contrecoups de leur ultra-progressisme et de leur ultra-libéralisme, ces élites nous pondent un numéro de prestidigitation. L’on reprend le même univers mental, les mêmes idées rances et les mêmes réseaux qui entretiennent la crise. L’on fait tomber du ciel quelqu’un de « sérieux » venu supposément de l’extérieur : un banquier, un affairiste ou un technocrate aguerri fera l’affaire. Comme par magie – et par magie il est entendu la mobilisation des relais partisans, financiers et médiatiques des élites au pouvoir-, ce sauveur reprend cet assemblage d’idées expirées, les met au malaxeur de la modération et du confusionnisme, pour en ressortir une bouillie que nombre d’électeurs auraient refusé d’avaler si on lui en présentait les ingrédients réels. L’on accentue encore davantage la rupture entre le peuple et ces élites. C’est là le modus operandi d’une certaine « gauche » de gouvernement et de l’extrême centre libéral lorsqu’ils sont confrontés aux crises qu’ils ont eux-mêmes générées.

La menace bien réelle du trumpisme sur l’unité canadienne constitue la bouée de sauvetage des élites libérales canadiennes, sans laquelle il serait difficile de mettre en scène le tour de magie « Carney ». Voilà notre Macron canadien, partisan d’un « en même temps » qui ne pourra pas faire autrement que de mener à un pourrissement de la situation. Considérant le niveau de défiance inédit de nombreux Canadiens envers leur classe politique – ces mêmes Canadiens qui, il y a peu, étaient prêts à condamner le Parti libéral du Canada (PLC) à la marginalité électorale-, ce n’est qu’une question de temps avant que l’électorat prenne conscience du subterfuge. Engagés dans un retournement marketing comparable à celui de Kamala Harris lors des élections présidentielles américaines de 2024, la blitzkrieg électorale canadienne pourrait toutefois permettre aux libéraux de réussir ce tour de passe-passe, juste à temps.

Ce que le tour de magie camoufle

Cette opération de camouflage est sans commune mesure, dans l’histoire récente du Canada. Elle vient masquer le fait que cette équipe qui nous vend ce « nouveau » sauveur est la même qui, sous Justin Trudeau, a utilisé le régime de 1982 pour faire du Canada un laboratoire d’expérimentation sociale d’une radicalité que l’Occident n’avait plus connu, depuis longtemps.

Sous l’administration Trudeau, le Canada devait effacer son identité nationale, afin de constituer le premier pays « post-national ». Pour ce faire, l’impératif d’accélérer l’immigration mena la gouverne libérale à flirter avec l’idée d’une « Initiative du siècle », favorisant une immigration de  masse devant faire du Canada un pays de 100 millions d’habitants, d’ici 2100.[1] À raison de plus de 2 millions d’immigrants entre 2021 et 2024[2], et plus du double en considérant l’immigration irrégulière[3], cet agenda mit peu de temps à rendre le système d’immigration dysfonctionnel et à susciter de l’hostilité chez ceux qui sont pourtant les habitants de la capitale mondiale du multiculturalisme.

En politique intérieure, le gouvernement fédéral se donna le rôle de bienfaiteur de l’humanité,  rôle incompatible avec la modestie qui incombe à sa fonction fédérative. Profitant des crises qui se multipliaient, il fit exploser la dépense publique, activa la planche à billets à plein régime, doubla la dette publique, s’ingéra dans les compétences provinciales, accentua la centralisation et généralisa l’endoctrinement intersectionnel dans la fonction publique.

Résultat des courses : la machine fédérale cessa de fonctionner convenablement dans l’octroi de ses services, l’inflation s’accentua drastiquement, la crise du logement devint structurelle, certaines tensions intercommunautaires émergèrent[4], l’entrisme religieux continua à faire son bout de chemin et les opportunités pour de l’ingérence étrangère se multiplièrent. En termes de dynamisme économique, le Canada, pourtant pays du G7, est désormais à la remorque des autres pays de l’OCDE, et ne semble pas prêt de s’en remettre[5]. Le Wall Street Journal parle même de la « décennie perdue ».[6]

Ce que le coup de baguette cache, c’est aussi la façon par laquelle un tel agenda politique a pu s’imposer aussi longtemps. Durant les deux dernières années du règne de Trudeau fils, une majorité de l’électorat n’adhérait plus à cette direction des affaires publiques. En exploitant à son avantage les règles du parlementarisme britannique, Trudeau fit tout pour empêcher une alternance normale et saine du pouvoir. Profitant de la balance du pouvoir, les néodémocrates, se sentant investis d’une mission de petits trotskistes qui savent mieux que le peuple ce qui est bon pour lui, saisirent cette opportunité historique pour lui imposer des politiques publiques dont il ne voulait pas.  

Pour ajouter l’insulte à l’injure, la voie de sortie du PLC ne fut pas directement celle des urnes. Avant, l’on prit bien soin de nominer un non élu, en la personne de Mark Carney, de façon à mousser une candidature parfaitement adaptée à une propagande répondant à une crise qui sidère et tétanise les Canadiens. Le lapin que le PLC sort ainsi de son chapeau a beau avoir changé de pelage, c’est encore et toujours un lapin. Carney était le conseiller économique de Trudeau et maintient la même équipe. De deux chose l’une : soit Carney a passé les dernières années à avaler des couleuvres, en soutenant une vision qu’il n’endossait pas, ce qui peut alors  nous faire douter de son intégrité et de son sérieux, soit les Canadiens se font mentir et se feront imposer une vision de la gouverne qu’ils rejetaient déjà, sous Trudeau.

Plus fondamentalement, le tour de magie « Carney » prend la forme d’un acte désespéré visant à hisser un rideau, pour cacher la scène tragi-comique qu’est devenu le Canada. Sa réaction face à l’agression étatsunienne n’est pas seulement celle d’un pays niais retrouvant magiquement les vertus de la souveraineté. Nous voyons là la manifestation du fantôme d’un pseudo empire qui n’arrive plus à retrouver son enveloppe corporelle. Le règne de Trudeau fils n’aura été que l’accélérateur d’une dynamique de décomposition du statut impérial de cette Amérique du nord britannique révolue. Détaché concrètement du lien colonial de la couronne, le Canada a intégré de façon maximaliste l’économie étatsunienne, a négligé ses responsabilités en termes de défense et de sécurité, a transformé sa frontière en passoire et a cessé d’avoir une politique étrangère digne de ce nom. Une souveraineté de pacotille. Sans identité nationale, il n’est plus qu’un morceau de continent prêt à être avalé.

Face à l’impérialisme continental américain, la réaction canadienne est donc pseudo-impériale, avant d’être nationale. Même si sa géographie l’en empêche, sa soif de grands ensembles va vers la bureaucratie bruxelloise et une OTAN 2.0. Sur le plan intérieur, l’appel à l’unité canadienne prend inévitablement la forme d’une uniformisation de l’ensemble canadien et d’une centralisation plus poussée. Signe de desseins  « impériaux », la future administration Carney invite Mark Wiseman, fondateur et président de l’ « Initiative du siècle », à siéger au Conseil sur les relations canado-américaines.[7] Dans son Cabinet, Carney abolit le poste de ministre aux langues officielles, et nomme Rachel Bendayan, qui ne croit pas le fait français menacé et en fustige la défense vigoureuse[8], au ministère de l’immigration.

Cette fuite en avant, en plus d’aggraver la guerre commerciale, ne peut faire autrement que d’accentuer les tensions avec certains éléments enracinés de ses entités fédérées : l’autonomisme et le conservatisme fiscal de l’Alberta et des prairies, ainsi que la « société distincte » québécoise. Aucune illusion d’optique ne pourra faire se volatiliser cette réalité. La manœuvre politique sera-t-elle plus forte que les tendances de fond?


[1] Il s’agit là d’un lobby important, auprès du gouvernement canadien, et plus spécifiquement des libéraux. Pour avoir une idée de leur projet, il suffit de consulter leur site internet : https://www.centuryinitiative.ca/

[2] Voir : https://www.statista.com/statistics/443063/number-of-immigrants-in-canada/

[3] Jérôme Labbé, «L’immigration temporaire commence à baisser au Canada», Radio-Canada Info, 19 mars 2025.

[4] Nous pensons ici, tout particulièrement, aux tensions entre Musulmans et Juifs, et, plus modestement, à celles entres Indiens hindous et Sikhes.

[5] Alex Whalen, Milagros Palacios & Lawrence Schembri, «We’re getting poorer: GDP per Capita in Canada and OECD, 2002-2060», Fraser Institute, Bulletin 2024.

[6] The Editorial Board, « Has Canada Learned From Its Lost Decade? », Wall Street Journal, 10 mars 2025.

[7] Raphaël Pirro, « Immigration : Carney invite le président de l’Initiative du siècle au Conseil sur les relations canado-américaines », Le journal de Québec, 21 mars 2025.

[8] Boris Proulx, « La nouvelle ministre des Langues officielles hésite sur la défense du français au Québec », Le devoir, 20 décembre 2024. (À noter qu’elle était à ce poste, sous Trudeau, avant que Carney ne l’abolisse).

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