Un sondage national mené par Abacus Data du 24 au 29 octobre 2025, auprès de 2 922 adultes canadiens, révèle que les perceptions à l’égard de l’immigration demeurent globalement négatives, mais stables par rapport à l’an dernier.
Selon les auteurs David Coletto et Eddie Sheppard, la hausse du scepticisme observée en 2024 semble avoir atteint un plateau : près d’un Canadien sur deux (49 %) évalue aujourd’hui l’immigration de façon défavorable, un chiffre pratiquement inchangé depuis les 50 % mesurés en novembre 2024.
Les chercheurs notent toutefois que cette stabilisation ne traduit pas un regain d’optimisme, mais plutôt une phase d’adaptation à une nouvelle réalité marquée par la crise du logement, la pression sur les services publics et la prudence accrue du gouvernement fédéral avant la présentation de son prochain plan d’immigration.
Des clivages générationnels et politiques profonds
L’étude met en évidence d’importantes différences selon l’âge et l’affiliation politique.
Les jeunes adultes (18-29 ans) demeurent les plus favorables à l’immigration : 36 % en ont une perception positive, contre 22 % chez les 45 ans et plus.
Sur le plan partisan, les électeurs libéraux (39 %) et néo-démocrates (26 %) se montrent nettement plus ouverts que les conservateurs (68 %) et les sympathisants du Bloc québécois (61 %), dont les majorités expriment des opinions négatives.
À l’échelle régionale, le scepticisme atteint des sommets dans les Prairies (Alberta : 56 %, Saskatchewan et Manitoba : 53 %) et au Québec (49 %), tandis que les provinces de l’Atlantique demeurent plus accueillantes. Les écarts entre les sexes sont modestes : 29 % des femmes ont une vision positive de l’immigration, contre 22 % des hommes.
Inquiétudes persistantes quant aux capacités d’accueil
Abacus Data constate que les motifs d’inquiétude demeurent principalement économiques et infrastructurels plutôt que culturels.
Une majorité de Canadiens continue d’associer l’immigration à des pressions croissantes sur les ressources :
- 69 % estiment qu’elle aggrave la crise du logement ;
- 60 % jugent qu’elle pèse sur le système de santé ;
- 58 % sur les services sociaux ;
- et 60 % lient l’arrivée de nouveaux arrivants à la congestion urbaine.
Ces proportions sont quasi identiques à celles de 2024. « Les Canadiens n’expriment pas tant un rejet de l’immigration qu’une inquiétude face à la capacité du pays à absorber le flux de nouveaux arrivants », résument Coletto et Sheppard.
Les principales raisons invoquées pour expliquer le dysfonctionnement du système demeurent inchangées :
- 51 % évoquent un manque de logements et d’infrastructures ;
- 47 %, une pression excessive sur les services publics ;
- et 38 %, un simple excès d’arrivées simultanées.
L’objectif de 380 000 nouveaux arrivants jugé encore trop élevé
Malgré la réduction des cibles annoncée par Ottawa — 380 000 immigrants prévus en 2026, contre 500 000 initialement —, 67 % des répondants considèrent que le seuil demeure trop haut.
Ce chiffre, bien qu’en légère baisse par rapport aux 72 % enregistrés en 2024, traduit une préférence persistante pour la modération.
Les plus critiques se trouvent parmi les électeurs conservateurs (79 %), bloquistes (81 %), ainsi que les Canadiens âgés de 45 à 59 ans (74 %).
Même chez les libéraux et les néo-démocrates, environ la moitié des répondants estiment que les seuils devraient être réduits.
Des bénéfices reconnus, mais inégalement perçus
Malgré ce climat de réserve, Abacus Data souligne qu’une part significative de la population reconnaît toujours les apports positifs de l’immigration :
- 35 % y voient une réponse à la pénurie de main-d’œuvre ;
- 26 % un moteur de croissance économique ;
- et 24 % un moyen d’équilibrer le vieillissement démographique.
Cependant, près d’un tiers des Canadiens (30 %) affirment ne percevoir aucun avantage, une proportion qui grimpe à près de 50 % chez les électeurs conservateurs.
Ce fossé traduit la politisation croissante de la question migratoire, désormais liée à des identités partisanes et générationnelles distinctes.
Les conservateurs gagnent du terrain sur la compétence en immigration
Sur le plan de la confiance politique, le Parti conservateur du Canada est jugé le plus apte à gérer le dossier migratoire, recueillant 38 % des appuis, en hausse de quatre points depuis 2024.
Les libéraux, quant à eux, bondissent à 29 % (+13 points), tandis que le NPD recule à 7 %.
Les électeurs ayant une perception négative de l’immigration favorisent massivement les conservateurs, alors que ceux aux opinions positives ou neutres penchent vers les libéraux — signe d’une polarisation croissante du débat.
Un message clair avant le prochain budget fédéral
Pour David Coletto, « les Canadiens veulent un système d’immigration qui fonctionne, pas nécessairement un système plus petit ».
Mais tant que la perception de rareté — logements, soins, infrastructures — dominera, toute politique d’expansion risquera d’alimenter la méfiance.
Le rapport conclut que le débat s’est stabilisé, sans retour à l’optimisme pour autant.
Le gouvernement fédéral, qui s’apprête à annoncer ses nouvelles cibles dans le prochain budget, doit composer avec une opinion publique plus pragmatique qu’hostile, mais toujours conditionnée par la crise du coût de la vie.
Méthodologie
Le sondage a été réalisé en ligne auprès de 2 922 répondants adultes au Canada, entre le 24 et le 29 octobre 2025, à partir du panel Lucid exchange.
Les données ont été pondérées selon l’âge, le genre et la région conformément aux données du recensement.
La marge d’erreur équivalente pour un échantillon probabiliste comparable est de ± 1,8 %, 19 fois sur 20.
Abacus Data Inc. précise que l’étude respecte les normes du CRIC (Canadian Research Insights Council) en matière de recherche d’opinion publique.



