Réponse à Boucar Diouf : « Le mot en « S » pour systémique »
Ce texte est une réponse à l’article de M. Boucar Diouf, publié dans La Presse, le 20 février 2021.
Par Cochise Brunet-Trait, enseignant en sociologie
De façon globale, je dois avouer que j’ai apprécié le texte de M. Diouf. On y trouve une belle démonstration de ce qu’est la discrimination systémique, et comment elle peut avoir des conséquences qui vont au-delà du parcours individuel. M. Diouf y démontre également avec clarté et éloquence comment l’approche systémique est beaucoup plus appropriée pour expliquer les phénomènes sociaux que l’approche rationaliste, qui tend à lier chaque phénomène à une cause unique, alors que tout phénomène est causé par une combinaison de différents facteurs. Évidemment, le but de mon intervention n’est pas de lui envoyer que des fleurs, malgré tout mon respect pour M. Diouf; nous savons tous qu’étant donné que les fleurs poussent dans un pot, ce dernier leur est indissociable.
Comme M. Diouf, je suis d’abord et avant tout un homme de science. Nous savons que dans le domaine des sciences, autant naturelles que humaines, la précision est essentielle, ce qui implique par le fait même l’importance d’utiliser les bons mots aux bons endroits.
Dans son article, on peut y lire que « le racisme est une discrimination. » Or, le racisme, c’est bien plus que ça. Le racisme est une idéologie visant à légitimer la discrimination raciale; cette idéologie consiste à classer et hiérarchiser les être humains en catégories que l’on a appelé les races; des catégories arbitraires étant donné qu’elles n’ont aucune validité sur le plan scientifique.
Les rapports entre les différentes communautés culturelles et ethniques, étant un sujet d’études important en sociologie, plusieurs concepts ont été inventés afin de les décrire et les expliquer. Par exemple, il y a le concept de l’ethnocentrisme, qui consiste à porter un jugement défavorable face aux pratiques culturelles d’un autre groupe au profit de celles de son propre groupe, et celui de xénophobie, qui consiste en une crainte ou une hostilité irrationnelle envers l’étranger. Bien que ces concepts constituent un continuum, dont l’aboutissement est le racisme, il est important de ne pas les confondre. Je tiens à noter au passage qu’au Québec, la xénophobie se manifeste principalement par la crainte que l’immigrant n’aime pas le Québec et ne veuille pas s’y intégrer.
Ceci étant dit, je ne nie pas l’existence du racisme systémique. Seulement, ce concept n’est pas approprié pour décrire la situation québécoise. Si je me fie au Robert, systémique signifie « relatif à un système dans son ensemble. Analyse systémique : qui analyse les faits en tant qu’éléments de systèmes complexes. ». Ainsi, la Loi sur les Indiens constitue une manifestation de racisme systémique, puisqu’on a érigé un système lié à la « race », attribuant des droits différenciés dépendant de celle-ci; cette loi infâme est raciste comme l’étaient les lois ségrégationnistes aux États-Unis et l’Apartheid en Afrique du Sud. On ne peut donc utiliser le même concept pour décrire et expliquer la situation des minorités ethniques au Québec (à l’exception des nations autochtones), et celle aux États-unis avant 1964 et en Afrique du Sud avant 1991.
Pour conclure, on peut donc constater que ce n’est pas le mot racisme qui pose problème, car nous savons tous qu’il y en a dans toutes les sociétés, y compris la nôtre. Ce n’est pas le mot systémique non plus qui pose problème. Le problème, c’est la synergie entre le mot racisme et le mot systémique, qui produit un gaz nauséabond et irrespirable pour la majorité des Québécois.