Sanae Takaichi, la « Dame de fer » du Japon en route vers le pouvoir

Sanae Takaichi, surnommée par plusieurs « la Dame de fer du Japon », vient de réaliser un rêve qu’elle caressait depuis trois décennies : diriger le Parti libéral-démocrate (PLD) et, sauf surprise, devenir la première femme à la tête du gouvernement japonais. Tinshui Yeung, de la BBC, retrace le parcours singulier de cette politicienne conservatrice de 64 ans, élue le 4 octobre 2025 à la tête du PLD, un parti fragilisé par les scandales et la montée de l’extrême droite.

Née à Nara en 1961, fille d’un employé de bureau et d’une policière, Sanae Takaichi n’était pas destinée à la politique. Avant d’y faire carrière, elle fut batteuse de heavy metal, animatrice de télévision et passionnée de voitures – sa Toyota Supra, aujourd’hui exposée dans un musée de Nara, témoigne de cette époque plus libre. Elle pratiquait aussi la plongée sous-marine, un signe d’énergie et de discipline qui allait marquer tout son parcours.

C’est durant les années 1980, au plus fort des tensions commerciales entre Washington et Tokyo, qu’elle trouve sa vocation politique. Désireuse de comprendre la perception américaine du Japon, elle part travailler au Congrès américain, dans le bureau de la démocrate Patricia Schroeder, connue pour ses critiques envers Tokyo. Là, Takaichi observe combien les Américains confondent les cultures asiatiques et conclut : « À moins que le Japon ne soit capable de se défendre lui-même, il restera à la merci d’opinions superficielles venues des États-Unis. »

Elle tente sa chance aux législatives de 1992 comme indépendante, échoue, mais persiste et entre au Parlement dès 1993, avant de rejoindre le PLD trois ans plus tard. Élue dix fois députée, elle n’a perdu qu’un seul scrutin et s’est imposée comme une figure majeure du conservatisme japonais. Elle a dirigé plusieurs ministères – Économie, Commerce, Sécurité économique – et a détenu le portefeuille des Affaires intérieures et des Communications plus longtemps que quiconque.

Proche du défunt premier ministre Shinzo Abe, dont elle se revendique héritière, elle promet de ranimer sa politique économique dite « Abenomics », fondée sur la relance budgétaire et monétaire. Comme Abe, elle défend un renforcement des capacités militaires du pays et plaide pour assouplir les restrictions imposées aux Forces d’autodéfense par la Constitution pacifiste de 1947. Ses visites répétées au sanctuaire controversé de Yasukuni, où reposent des criminels de guerre, rappellent la fermeté de son nationalisme.

Cependant, Tinshui Yeung souligne que la « Dame de fer » a nuancé son discours social : durant sa dernière campagne, elle a promis des crédits d’impôt pour les entreprises offrant des services de garde, une déductibilité partielle des frais de garderie et une meilleure reconnaissance du travail des aidants. Ces positions s’enracinent dans son vécu personnel : « J’ai moi-même connu trois fois l’expérience des soins aux proches. Je veux bâtir une société où l’on n’abandonne plus sa carrière pour s’occuper d’un parent malade ou d’un enfant. »

Fidèle à ses convictions, elle reste opposée au mariage homosexuel et au maintien du nom de jeune fille pour les femmes mariées, qu’elle juge contraires à la tradition. Mais elle se présente désormais comme la gardienne d’un équilibre : « Le PLD doit changer pour le bien du Japon, tout en plaçant l’intérêt national avant tout. »

Son élection, survenue au moment du 70e anniversaire du PLD, vise aussi à freiner la percée du parti d’extrême droite Sanseito, passé de 1 à 15 sièges grâce à son slogan « Le Japon d’abord ». En choisissant Takaichi, le PLD espère reconquérir un électorat conservateur lassé par les scandales et par un pays en perte de repères face au vieillissement, au déclin démographique et à une économie stagnante.

Sanae Takaichi devrait être confirmée première ministre le 15 octobre, accomplissant ainsi ce qu’aucune femme n’avait réussi avant elle au Japon. Son parcours, entre rock, télévision, fidélité à Abe et ambition inflexible, témoigne d’un mélange de modernité et de tradition – une équation inédite pour un pays en quête de renouveau politique.

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