Dans la foulée des débats sur l’énergie, qui se sont enflammés au Québec depuis 2022 lorsqu’on a appris qu’Hydro-Québec allait manquer d’électricité en 2027, un argument souvent avancé a été celui qu’un peuple nordique ne pouvait se permettre de précariser son approvisionnement énergétique. Je le mentionnais d’ailleurs pas plus tard qu’hier, dans mon article sur l’interdiction de la vente de voiture à essence :
Les Québécois, un peuple nordique, seront totalement à la merci des éléments et du froid, et complètement dépendant d’une société d’État qui accumule souvent les lenteurs et les complications. Mettre tous nos œufs dans le panier de l’électrique, dans notre situation, n’est pas seulement risqué ; c’est pratiquement de la négligence criminelle.
Or, durant la même période, les politiques de transition agressives se sont accumulées dans tous les paliers de gouvernement, et un activisme de plus en plus radical a continué de faire augmenter la pression pour bannir des modes de chauffages dans la province. Notamment au gaz, mais aussi au bois.
C’était le cas pour la ville de Québec, qui a interdit l’utilisation de poêles à bois non certifiés sur son territoire en 2021, et a annoncé en 2023 l’interdiction de tous types de foyers au bois décoratifs ou d’ambiance à partir de 2030. Fini, le crépitement de la bûche un soir de Noël…
Mais pour certains, ce n’est pas qu’à Noël qu’on allume le poêle ou le foyer : mais pour se chauffer l’hiver durant. Cela s’avère même très économique en comparaison des autres modes de chauffage, cette interdiction touche donc directement à leur portefeuille.
Créer un précédent : le droit à l’énergie
C’est dans ce contexte de précarité énergétique grandissante que 4 citoyens de la ville de Québec ont mis en demeure la Ville de Québec lundi pour qu’elle abroge ces réglementations. Ils donnent à la ville jusqu’au 15 février pour qu’elle annule ou modifie son règlement, sans quoi, ils la poursuivront en justice.
L’avocat en charge du dossier, Samuel Samson, veut par cette poursuite établir un précédent : le droit à l’énergie. Selon Radio-Canada, « ce concept émergent n’est pas reconnu dans le droit canadien, mais il attire de plus en plus l’attention à l’international. »
L’idée serait que l’énergie est un droit tout autant indispensable que le droit à l’eau potable et à un environnement sain. Considérant le statut nordique du Québec, cet argument se retrouve renforcé.
Samuel Samson, interrogé par Radio Canada, explique que le règlement de la ville de Québec entraverait « le droit des gens à accéder à l’énergie, la capacité des gens d’autosatisfaire leurs besoins, puis la liberté [de prendre] des moyens d’y parvenir ».
Résistance légitime ou obstination?
La réponse ne s’est pas fait attendre du côté de l’administration municipale : Bruno Marchand a déclaré en point de presse mardi n’avoir « aucune ouverture » face à ces demandes, et répondu d’emblée qu’il refuserait de se soumettre à la mise en demeure. Il a justifié cette intransigeance par le fait que la ville avait mise en place un programme de compensation pour les citoyens affectés, qui couvrirait 90% du coût de remplacement des appareils jusqu’à un montant de 1000$.
Évidemment, ce 1000$ ne concerne que le remplacement du poêle, et ne prend pas du tout en compte les économies potentielles réalisées années après années avec un chauffage d’appoint, mais passons.
Selon le président de l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique, toujours interrogé par Radio-Canada, ces revendications citoyennes seraient « incohérentes », puisque la réglementation concernerait les foyers décoratifs, ce qui ne cadrerait pas dans l’argument de la sécurité énergétique. Selon lui, ce type de foyer serait même « une perte d’énergie ». En outre, il affirme que « la Charte québécoise des droits et libertés de la personne inclut le droit de vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité
« , et que l’usage de foyers décoratifs au bois serait contradictoire avec ce droit.
Mais encore : en cas de panne – qui se multiplient en raison du piètre état de notre réseau de distribution – ces foyers décoratifs ont changé la donne pour de nombreux Québécois depuis des décennies. Il y a quelque chose de profondément imprudent de négliger et lever le nez sur quelconque manière de se chauffer, ne serait-ce que de manière temporaire. Le concept du « droit à l’énergie » semble toujours pertinent, particulièrement en un contexte politique qui a démontré à maintes reprises que l’activisme ne s’arrêtera pas là, que les foyers décoratifs ne seront probablement que la première étape avant des interdictions encore plus larges.