Ce matin, le gouvernement du Québec a annoncé son intention d’interdire le gaz naturel pour le chauffage des bâtiments résidentiels, commerciaux et institutionnels d’ici 2040. Il succombe ainsi à la pression de nombreux groupes militants et municipalités qui poussaient pour un bannissement mur à mur de la ressource depuis un an. C’est cependant une décision extrêmement risquée considérant l’insécurité énergétique grandissante de la province, qui se dirige droit vers les pénuries d’électricité à partir de 2027.
Ce bannissement sur tout le territoire, à l’exception de l’Outaouais, qui devra mettre en place son propre échéancier d’ici 2026, ne s’appliquerait pas seulement aux nouveaux bâtiments, mais aussi aux bâtiments existants. Ceux qui voudront continuer d’utiliser du gaz devront s’approvisionner en gaz de source renouvelable (GSR), qui ne représente pourtant que 2% de l’offre d’Énergir à l’heure actuelle.
Dès 2026, le chauffage au gaz naturel « fossile » sera interdit pour les nouvelles constructions résidentielles de moins de 600 mètres carrés et de moins de trois étages.
Tarissement des surplus énergétiques québécois
Cela représente une mesure plutôt radicale pour « accélérer la transition énergétique », considérant les grandes incertitudes de la province en termes d’énergie pour les prochaines années. En effet, nous apprenions en 2022 qu’Hydro-Québec manquerait d’électricité à partir de 2027 et que des mesures drastiques devaient être entreprises.
Ainsi, entre 2022 et 2024, sous le leadership du « superministre » de l’Énergie, de l’Économie et du Développement Pierre Fitzgibbon, le gouvernement évaluait la possibilité de construire de nouveaux barrages, d’augmenter l’efficacité énergétique et de construire plus de parcs éoliens. Selon le ministre à l’époque, il faudrait construire d’urgence des capacités de production équivalentes à « la moitié d’Hydro-Québec » actuellement.
En outre, on apprenait que Québec ne pouvait déjà plus suffire à la demande industrielle, et ne pouvait même pas approuver la moitié des demandes de branchement pour des projets.
Dans ce contexte extrêmement précaire, le gouvernement a entamé de grandes campagnes de sensibilisations sur la « sobriété énergétique », encourageant les citoyens à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour améliorer leur efficacité énergétique. Chaque petit geste, nous disait-on, aiderait à éviter des pénuries d’énergie en période de pointe.
Or, alors qu’on craignait qu’Hydro-Québec ne manque bientôt d’électricité, le gouvernement maintenait quand même le cap sur une transition énergétique radicale, misant sur le bannissement mur à mur de toute exploitation et activité d’exploration des énergies fossiles sur le territoire et sur l’électrification forcée du parc automobile. Ce faisant, il mettait la province encore plus à risque de pénurie énergétique.
Pressions militantes et municipales
Dans le même temps, de nombreuses municipalités déclaraient vouloir interdire le chauffage au gaz naturel sur leur territoire, tout en faisant des pressions militantes sur le gouvernement pour qu’il étende l’interdiction à la province. À un point tel qu’Hydro-Québec avait dû émettre un avertissement expliquant qu’il ne serait pas capable de suffire à la demande advenant le fait d’une conversion de tous les systèmes de chauffage existants ou futurs. De son côté, le gouvernement avait mis en place un règlement qui rendait toute interdiction municipale conditionnelle à son approbation.
C’était là des signes clairs qu’on était très inquiet par ces appels à bannir le chauffage au gaz, et qu’on devait mettre des gardes fous à ces interdictions. Or, quelques mois plus tard, la Communauté métropolitaine de Montréal, qui regroupe 79 municipalités, allait quand même de l’avant avec un projet d’interdiction à partir de 2025 et le soumettait à l’approbation du gouvernement.
Probablement conscient du risque de « contagion » de ce type d’interdiction, le gouvernement n’avait toujours pas donné son approbation à la CMM, la semaine dernière. Une situation qui fâchait beaucoup les militants, qui déplorait qu’on « ralentisse » l’élan des municipalités vers le bannissement du gaz – ce qui était pourtant exactement la crainte du gouvernement.
Selon la CMM, Hydro-Québec aurait assuré être en mesure de suffire à la demande en cas de pareille interdiction, mais cela ne prenait pas en compte les impacts d’un bannissement dans toute la province. Hydro-Québec annonçait d’ailleurs dans les mêmes jours devoir revoir à la hausse ses prévisions de demande d’électricité, ce qui poussait la société d’État à demander à la population de faire des économies d’énergie encore plus drastiques, en se dotant de thermopompe et en « baissant le chauffage », par exemple…
C’est donc une décision assez invraisemblable et risquée de la part du gouvernement Legault d’étendre l’interdiction du chauffage au gaz naturel à l’ensemble de la province et dans des échéanciers aussi rapides alors qu’on demande déjà à la population de se serrer la ceinture du point de vue énergétique.
Un peuple nordique
Pour de nombreux québécois, le caractère nordique du pays fait en sorte que le choix d’un mode de chauffage relève d’un droit essentiel. Dans un climat où les températures peuvent atteindre les -40 – voire pire – les gens n’ont pas le luxe de négliger quelconques alternatives.
Il est certain que les Québécois sont très fiers de leurs capacités de production hydroélectrique et sont très attachés aux objectifs de réduction des gaz à effet de serre, mais ils sont aussi conscients des risques énormes reliés au fait de mettre tous leurs œufs dans le même panier. Il est donc particulièrement étrange de la part du gouvernement de vouloir retirer aux gens la liberté de choix et les forcer à dépendre uniquement d’Hydro-Québec, qui est déjà en difficultés.
Comme je le disais dans un article la semaine passée :
Nous n’avons même pas besoin de retourner à la crise du verglas de 1998 : de nombreux Québécois ont fêté Noël dans l’obscurité en 2022, et pour de nombreux d’entre eux, les foyers et cuisinières aux gaz ont été une bénédiction qui faisait des envieux.
Et que dire de son rôle pour amortir les périodes de pointe? Il serait tout à fait irresponsable de se priver de sources énergétiques au Québec alors qu’on se dirige droit vers les déficits. En ce sens, le gouvernement du Québec devrait prioriser la sécurité énergétique plutôt que les signalements de vertu qui, au final, n’auraient qu’un impact négligeable sur les émissions globales.