Depuis plusieurs années, l’industrie du camionnage nord-américaine traverse une crise silencieuse : celle de la compétence, de la sécurité et de la concurrence déloyale. Entre la pénurie de main-d’œuvre, la prolifération de permis obtenus frauduleusement et les drames routiers impliquant des conducteurs mal formés, le secteur est devenu un symbole des dérives d’une économie mondialisée où la pression du marché prime sur la rigueur des contrôles. C’est dans ce contexte tendu que l’administration Trump a choisi de resserrer la vis.
Un article de Jason Hopkins pour le The Tennessee Star, rapporte que la Maison-Blanche a enclenché un virage majeur dans la régulation du transport routier. En imposant un resserrement drastique sur les permis de conduire commerciaux (CDL) délivrés à des étrangers, le gouvernement entend non seulement sécuriser les routes américaines, mais aussi protéger le gagne-pain des camionneurs nationaux. Ce durcissement, motivé par une série d’accidents mortels impliquant des chauffeurs sans statut légal, s’inscrit dans un débat nord-américain de plus en plus brûlant sur la formation, la fraude et l’exploitation dans le secteur du camionnage — un débat qui résonne fortement jusqu’au Canada.
Des hausses de tarifs et un regain d’espoir pour les camionneurs américains
Comme le rapporte Jason Hopkins, plusieurs camionneurs affirment que la nouvelle politique fédérale a déjà des effets visibles.
Ilya Denisenko, propriétaire de ICV Express, confie qu’il a pu négocier une cargaison initialement affichée à 1 000 $ jusqu’à 1 900 $, soit presque le double :
« Sans même parler à quelqu’un, ils ont approuvé 1 900 $. »
Ce revirement découle d’une série de mesures du Department of Transportation (DOT), dont la vérification obligatoire du statut migratoire et des tests linguistiques plus stricts pour les candidats à un permis commercial. L’administration Trump estime qu’environ 200 000 détenteurs de CDL seraient des étrangers non domiciliés aux États-Unis. Plusieurs d’entre eux, selon l’enquête fédérale, ont obtenu leur licence dans des États où les contrôles sont quasi inexistants — notamment la Californie et New York.
Des drames routiers qui ont forcé Washington à agir
Les mesures annoncées par le secrétaire aux Transports Sean Duffy découlent directement d’accidents tragiques.
En Floride, un camionneur indien sans statut légal a provoqué la mort de trois personnes en effectuant un demi-tour interdit sur l’autoroute. En Californie, une fillette de cinq ans a été grièvement blessée dans un carambolage impliquant un autre conducteur étranger, également détenteur d’un permis délivré en violation des règles fédérales.
Face à cette série d’incidents, Washington a suspendu l’émission de CDL non domiciliés en Californie, menaçant de retenir jusqu’à 160 millions de dollars de fonds routiers si l’État ne se conformait pas avant la fin octobre.
L’administration a aussi rétabli les exigences linguistiques abolies sous Barack Obama, mesure que les syndicats de camionneurs saluent comme une victoire après une décennie de déréglementation.
Une problématique qui dépasse la frontière américaine
Cette question n’est pas propre aux États-Unis. Au Canada, Québec Nouvelles a documenté depuis 2024 plusieurs dérives similaires dans le système de délivrance des permis de conduire, souvent au profit de travailleurs étrangers insuffisamment formés.
En octobre 2024, j’avais publié un article sur les permis de conduire expéditifs accordés aux immigrants, révélant le laxisme de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ).
Les nouveaux arrivants pouvaient rouler jusqu’à six mois sans avoir réussi leurs examens de conduite, parfois après les avoir échoués. En 2023, plus de 112 000 permis étrangers avaient ainsi été échangés pour des permis québécois, souvent sans vérification des compétences réelles. À l’époque, je constatais que ce problème touchait principalement les permis ordinaires. Or, depuis, il s’est étendu aux classes professionnelles, notamment aux permis de camionneurs, où les conséquences sont autrement plus graves.
Quelques mois plus tard, en avril 2025, Anthony Tremblay signait pour Québec Nouvelles un reportage explosif sur un système d’écoles de conduite complices au Canada, facilitant l’obtention de permis de camionnage à des travailleurs étrangers, particulièrement issus de la communauté sikhe. L’enquête révélait un réseau de formation frauduleux, validant de faux examens contre paiement. Tremblay qualifiait alors la situation de « bombe à retardement sur nos routes » — une expression qui s’est depuis avérée prophétique.
Des tragédies qui se multiplient au Canada
En août 2025, la Presse canadienne rapportait l’arrestation de Navjeet Singh, camionneur ontarien de 25 ans impliqué dans un accident mortel au Manitoba. La collision, survenue près d’Altona, avait coûté la vie à une mère et sa fille de huit ans. Singh avait fui le pays pendant près de neuf mois avant d’être intercepté à son retour à Toronto.
Comme nous le rapportions dans Québec Nouvelles, ce drame révélait les mêmes failles structurelles qu’aux États-Unis : permis douteux, formation déficiente et contrôle administratif laxiste.
Cette tragédie s’ajoute à une série d’accidents qui ont marqué l’imaginaire collectif : le drame des Broncos de Humboldt en 2018, celui de la Florida Turnpike en 2025, ou encore de multiples collisions impliquant des chauffeurs issus de l’immigration récente. Tous partagent un dénominateur commun : la combinaison d’un laxisme institutionnel et d’une pénurie chronique de main-d’œuvre dans le transport routier.
Pression économique, exploitation et perte de confiance
Le 26 août 2025, j’analysais dans Québec Nouvelles ce phénomène sous l’angle des pressions économiques et de l’exploitation systémique. Des entreprises de transport nord-américaines exploitent des travailleurs étrangers sous statut précaire ou via le stratagème des « Chauffeurs inc. », un montage fiscal qui permet de les traiter comme de faux travailleurs autonomes.
Ce modèle, dénoncé aussi par Radio-Canada, crée une course vers le bas : les entreprises respectueuses des règles sont pénalisées, tandis que les compagnies fautives prospèrent grâce à une main-d’œuvre bon marché et malléable.
Les conséquences sont directes : des routes moins sûres, des accidents plus fréquents et un mépris croissant pour un métier autrefois respecté.
Comme le rappelait récemment Anthony Tremblay (Québec Nouvelles, octobre 2025) :
« Le métier de camionneur est noble, exigeant et vital pour l’économie. Il mérite mieux que d’être souillé par des stratagèmes malhonnêtes. Les familles canadiennes méritent d’avoir confiance : qu’en face d’elles, il y ait un professionnel, pas un imposteur. »
Ottawa sous pression : une enquête parlementaire sur le camionnage
Le 7 octobre dernier, Radio-Canada rapportait qu’un comité de la Chambre des communes a officiellement lancé une enquête sur les normes de travail dans le secteur du camionnage.
Le comité s’intéresse particulièrement au modèle Chauffeur inc., dans lequel les transporteurs classent leurs conducteurs comme entrepreneurs incorporés pour éviter de leur verser les protections sociales et les avantages prévus au Code du travail.
Selon Stephen Laskowski, président de l’Alliance canadienne du camionnage, il s’agit d’un véritable « marché noir » :
« Ces chauffeurs sont indiscernables des employés, mais leurs employeurs utilisent cette fiction juridique pour les priver de tous leurs droits. »
De son côté, Angela Splinter, PDG de Trucking Human Resources Canada, a averti que ces pratiques compromettent la stabilité à long terme de la main-d’œuvre et faussent la concurrence au profit d’entreprises sans scrupules.
Le Bloc québécois a présenté dix recommandations, dont la création d’un registre public des entreprises fautives et l’interdiction pour les travailleurs étrangers temporaires d’exercer comme chauffeurs incorporés.
Un enjeu continental de sécurité publique
De la Floride au Manitoba, de la Californie au Québec, le constat est identique : les failles dans l’encadrement du camionnage et la tolérance envers des pratiques douteuses mettent directement en danger la vie des citoyens.
Alors que l’administration Trump a choisi d’imposer une ligne dure, le Canada se débat encore dans la complaisance bureaucratique et les compromis politiques.
Comme je l’écrivais cet été, cette complaisance a un coût : celui d’une perte de confiance dans les institutions et d’une explosion du sentiment d’insécurité sur les routes.
Le contraste est frappant : aux États-Unis, des permis sont révoqués, des États sanctionnés, et les tarifs du transport repartent à la hausse ; au Canada, des enquêtes parlementaires s’ouvrent pendant que les accidents se poursuivent.
L’article de Jason Hopkins pour The Tennessee Star, révèle la dimension politique et économique d’un problème qui dépasse largement la question migratoire : la crise de la compétence et de la responsabilité dans l’industrie du camionnage.
Les États-Unis ont choisi la fermeté et la réforme ; le Canada, lui, tergiverse encore entre compassion administrative et inaction chronique.
Sur un continent où des millions de tonnes de marchandises circulent chaque jour, la sécurité routière n’est plus seulement une question de réglementation : c’est une bataille pour la confiance, la compétence et la dignité des travailleurs.



