Le marché du travail canadien donne des signes inquiétants de dégradation, et les premiers à en subir les conséquences sont les plus jeunes. Dans un article publié le 11 juin 2025 par CBC News, la journaliste Jenna Benchetrit tire la sonnette d’alarme : la génération Z fait face au pire taux de chômage des jeunes observé depuis un quart de siècle, en dehors des années de pandémie. Les témoignages recueillis illustrent une réalité bien plus profonde qu’un simple ralentissement conjoncturel : une crise structurelle qui risque de laisser des cicatrices durables.
Une génération diplômée… et désœuvrée
L’article de Jenna Benchetrit s’ouvre sur un moment de joie mêlée d’appréhension : Sarah Chung, finissante de l’Université de Calgary, célèbre sa collation des grades tout en admettant candidement : « c’est morne ». Malgré son diplôme en médias et communication, elle n’a trouvé aucun emploi dans son domaine et envisage désormais de prolonger ses études en maîtrise, faute de débouchés.
Elle n’est pas seule. Selon les données de Statistique Canada, les jeunes de 15 à 24 ans affrontent un taux de chômage comparable à celui de la récession du milieu des années 1990. Or, les conditions actuelles sont bien différentes : les réseaux sociaux, l’intelligence artificielle, l’économie de plateformes et les mutations démographiques ont entièrement redessiné les contours du monde du travail.
Des conditions économiques aggravantes
La journaliste de CBC attribue ce déséquilibre à une « tempête parfaite » de facteurs économiques : inflation galopante post-pandémie, immigration massive dépassant la création d’emplois, tensions commerciales avec les États-Unis, et crainte d’une récession imminente. Pour Tricia Williams, directrice de recherche au Future Skills Centre de l’Université métropolitaine de Toronto, « le chômage des jeunes est un canari dans la mine de charbon », révélateur des fragilités du marché du travail dans son ensemble.
Ce diagnostic est confirmé par Brendon Bernard, économiste principal chez Indeed. Après un regain d’embauches post-pandémie, la demande des employeurs s’est affaiblie, accentuée par les hausses de taux de la Banque du Canada, la baisse de la consommation et une conjoncture de plus en plus incertaine.
De la précarité au déclassement
L’effet est immédiat : jeunes diplômés surqualifiés pour les emplois disponibles, multiplication des emplois alimentaires, stagnation des carrières avant même qu’elles ne commencent. Ben Gooch, ingénieur mécanique de 24 ans diplômé de McMaster, travaille à temps partiel dans un centre de jardinage. Il a postulé à plus de 100 offres sans succès. « Je lance des fléchettes sur un mur en espérant qu’une touche la cible », confie-t-il à CBC.
La situation est similaire pour Thivian Varnacumaaran, finissant en génie électrique à York University, qui dit avoir soumis entre 400 et 500 candidatures. « Je ne suis pas pessimiste, mais je suis réaliste », dit-il.
Des cicatrices durables
Ces parcours individuels s’inscrivent dans un phénomène bien documenté : le « wage scarring », ou cicatrice salariale. Miles Corak, professeur d’économie à New York (CUNY), rappelle que l’entrée sur le marché du travail en période de récession réduit les revenus futurs, même après avoir trouvé un emploi stable. Ces jeunes finissent souvent dans des secteurs qu’ils n’avaient pas envisagés, avec des salaires inférieurs à ceux qu’ils auraient pu obtenir en période faste.
Les récessions des années 1980 et 1990 en offrent une démonstration frappante : les jeunes de 17 à 24 ans avaient vu leurs revenus chuter durablement, avec des taux de chômage de 18,3 % en 1983 et de 17,2 % en 1992-1993.
Une jeunesse à la dérive… et une société en attente
Au-delà des destins individuels, c’est la capacité d’intégration sociale et économique de toute une génération qui est en jeu. « Les jeunes sont une ressource précieuse qu’on doit soutenir pour qu’ils contribuent pleinement », soutient Tricia Williams.
Mais selon Corak, la situation actuelle reflète surtout l’empreinte laissée par un modèle économique de plus en plus fragmenté : certains jeunes surpassent leurs parents, tandis que d’autres courent en vain sur un tapis roulant immobile. « Beaucoup sont plus stressés, avec un sentiment d’immobilisme », dit-il.
Ben Gooch résume le sentiment général : « Je n’ai pas encore commencé ma carrière. J’attends que la vie commence. »
Une crise générationnelle révélatrice
En donnant la parole à ces jeunes et en croisant les perspectives économiques et humaines, Jenna Benchetrit brosse un tableau aussi lucide qu’inquiétant. La jeunesse canadienne, souvent perçue comme une promesse d’avenir, devient un symptôme des déséquilibres profonds de notre modèle économique. Si rien n’est fait pour rétablir la fluidité du marché de l’emploi et la reconnaissance des qualifications, ce ne sont pas seulement des carrières individuelles qui seront compromises, mais la capacité de la société à se renouveler et à avancer.
Pour lire l’article original et consulter les données sous forme de graphismes :
Jenna Benchetrit, “Gen Z is facing the worst youth unemployment rate in decades. Here is how it’s different”, publié par CBC News le 11 juin 2025.