Le CRTC face à une menace de poursuite : une analyse du conflit autour de QUB Radio

Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) est au centre d’une controverse qui soulève des questions cruciales sur la régulation des médias au Canada. L’affaire concerne un accord entre Québecor et Leclerc Communication pour diffuser les émissions de QUB Radio sur la fréquence 99.5 FM à Montréal, un changement qui met en lumière les tensions persistantes entre les règles réglementaires du secteur et les nouveaux défis posés par les plateformes numériques. Alors que cette affaire fait rage, un acteur majeur du marché, Cogeco, menace de poursuivre le CRTC pour son retard à se prononcer sur la légalité de cet accord.

Le contexte du conflit : l’accord entre Québecor et Leclerc

L’accord signé entre Québecor et Leclerc Communication pour la diffusion des programmes de QUB Radio sur 99.5 FM a eu lieu en août 2024, marquant un tournant dans le modèle de diffusion du réseau. Initialement lancée en 2018 sous forme numérique, QUB Radio s’est aventurée sur la fréquence FM avec une programmation en simultané, de 6 h à 18 h en semaine. Cette décision a immédiatement suscité des critiques dans l’industrie, les concurrents accusant l’accord de violer des principes de régulation de la concentration des médias. Le CRTC, chargé de veiller au respect des règles concernant la propriété des médias au Canada, est appelé à se prononcer sur cette affaire qui pourrait avoir des implications profondes pour le marché médiatique québécois.

L’argument de Cogeco et l’inaction du CRTC

Selon un rapport de National Post par Antoine Trépanier, Cogeco a adressé une lettre au CRTC, dans laquelle elle exprime sa frustration face à l’inaction de l’agence concernant l’accord entre Québecor et Leclerc. La société accuse le CRTC de ne pas remplir ses obligations et de ne pas agir de manière adéquate pour réguler cette situation. Cogeco met en avant le fait que cet accord pourrait enfreindre les politiques sur la concentration des médias, une règle fondamentale visant à éviter que quelques entreprises dominent un marché.

Cogeco et Bell Media, les principaux concurrents de Québecor dans le secteur de la radiodiffusion, soutiennent que l’accord porte atteinte à la concurrence. Ils demandent au CRTC de mettre en œuvre les régulations nécessaires pour empêcher cette forme de concentration des médias et préserver la diversité de l’offre médiatique. Le CRTC, pour sa part, a jusqu’à présent tardé à rendre une décision définitive, ce qui a conduit Cogeco à évoquer la possibilité d’une action en justice pour forcer l’agence à trancher.

La réponse de Québecor et les défis du modèle de régulation actuel

En réponse, Québecor a fermement rejeté les accusations et défendu son modèle de diffusion, arguant que l’accord respectait pleinement les règles en vigueur et qu’il représentait une adaptation nécessaire aux évolutions du marché. Selon un communiqué de l’entreprise, l’accord vise à diversifier l’offre de contenu et à offrir aux auditeurs québécois un choix plus large, en particulier dans un environnement où la radiodiffusion traditionnelle est de plus en plus concurrencée par des géants numériques comme Spotify et Apple. Québecor insiste également sur le fait que cet accord s’inscrit dans une démarche d’innovation, en permettant de combiner les avantages des plateformes numériques et des fréquences FM traditionnelles, tout en apportant une nouvelle voix dans un marché de plus en plus homogénéisé.

Cette défense met en lumière les limites du système de régulation actuel. Le modèle de régulation, conçu pour protéger la diversité des voix et empêcher la concentration des médias, semble aujourd’hui mal adapté aux dynamiques de l’ère numérique. Si la régulation des grandes entreprises traditionnelles est cruciale pour maintenir la diversité des contenus, elle doit aussi tenir compte de la réalité d’un secteur où les acteurs numériques échappent largement à ce cadre et où des modèles hybrides, comme celui proposé par Québecor, semblent offrir une alternative viable.

Une question de flexibilité dans la régulation des médias

Le cas de QUB Radio soulève la question de la nécessité de réformer la régulation des médias afin de permettre aux entreprises locales de rester compétitives face aux géants mondiaux du numérique. Pierre-Karl Péladeau, lors de ses interventions aux audiences du CRTC sur les services de diffusion en ligne en 2023, a dénoncé le fardeau administratif imposé aux grands médias, qui les empêche d’être compétitifs dans le contexte numérique. Il a expliqué que les réglementations actuelles, telles que les rapports obligatoires, les redevances à verser, et les investissements dans des fonds comme le Fonds des médias du Canada, grèvent leur capacité d’innovation et d’investissement.

Il a précisé : « Nous sommes assujettis à faire des rapports, il faut payer des redevances, il faut investir dans le Fonds [des médias du Canada], il faut distribuer toutes sortes de chaînes que malheureusement peu de personnes regardent. Il y a un coût qui est lié à tout ça. Aujourd’hui, on a des départements d’affaires réglementaires très importants. Le fardeau réglementaire est extrêmement lourd et, malheureusement, il est venu impacter de façon significative notre capacité financière d’investir. »

Péladeau met ainsi en lumière la contradiction d’un système où les grands médias doivent se soumettre à une régulation stricte, tandis que les géants du numérique échappent largement à ces contraintes. Selon lui, la régulation, bien qu’essentielle pour préserver la diversité, doit s’adapter aux nouvelles réalités du marché numérique pour ne pas nuire à la compétitivité des entreprises locales.

Le retard du CRTC à se prononcer sur l’accord entre Québecor et Leclerc, comme le rapporte Le National Post, révèle un système de régulation qui peine à s’adapter à l’environnement numérique actuel. Si le CRTC continue d’appliquer des règles rigides, il risque de favoriser la concentration des médias et de rendre la compétitivité des acteurs locaux encore plus difficile. Cette affaire souligne donc l’urgence de réformer le cadre réglementaire pour soutenir l’innovation et la diversité des voix dans un paysage médiatique mondial de plus en plus concurrentiel.

Besoin d’une réforme de la régulation

Il est évident que le cadre réglementaire actuel n’est plus adapté aux réalités du secteur médiatique. Si le CRTC a un rôle clé à jouer dans la régulation des médias, il est impératif que les règles soient repensées pour permettre à tous les acteurs, grands et petits, de prospérer dans un environnement médiatique mondialisé. Le modèle hybride de Québecor, bien qu’il soit controversé, pourrait bien être un exemple de la façon dont les entreprises locales peuvent s’adapter aux nouvelles dynamiques tout en respectant les principes de diversité médiatique. Le CRTC, dans cette affaire, devra trouver le juste équilibre entre la régulation nécessaire et la souplesse indispensable pour soutenir l’innovation.

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