Il fut un temps où l’on reprochait à la politique canadienne d’être terne, prévisible, voire soporifique. Ce temps est révolu. Le Canada moderne, miné par les tensions géopolitiques et les luttes internes, se redessine sous nos yeux comme un puzzle dont les pièces ne veulent plus s’imbriquer. Les provinces ne coopèrent plus : elles s’observent, se concurrencent, se défient — et parfois, elles se poignardent dans le dos.
Mark Carney, le faux phénix rouge
L’arrivée de Mark Carney à la tête du Parti libéral avait été saluée comme celle d’un sauveur économique. Un banquier central, rompu aux arcanes de la finance mondiale, un modéré capable de tenir tête à Donald Trump et de préserver le Canada des tempêtes commerciales à venir. Mais à l’image de Justin Trudeau avant lui, Carney semble avoir hérité d’un pays ingouvernable.
Face à la montée des tarifs douaniers américains, Carney peine à obtenir des concessions de Washington. Les discours fermes et les poses viriles face à Trump ne suffisent plus. En interne, le Canada semble désarmé, paralysé par ses querelles intestines.
Ford tend la main… et le poignard
La vive controverse sur le salaire des médecins au Québec illustre à elle seule le désordre canadien. Le projet de loi de la CAQ visant à réformer le mode de rémunération de ceux-ci a provoqué une véritable levée de boucliers dans le corps médical. Une vingtaine de médecins de la Côte-Nord songent ouvertement à quitter la province. Quelle a été la réaction de l’Ontario ? Une opération séduction en bonne et due forme.
Doug Ford, dans un français tout à fait approximatif mais politiquement calculé, a lancé une ligne téléphonique destinée aux médecins québécois. L’objectif ? Leur faire miroiter des conditions plus favorables, une meilleure reconnaissance professionnelle et un meilleur traitement salarial. Le pragmatisme ontarien s’exprime ici avec cynisme : on ne rate jamais une bonne occasion d’affaiblir son voisin.
Une fédération sans solidarité
Le Canada est un pays vaste, divers, mais en perpétuelle friction. Le ressentiment historique du Québec envers le gouvernement fédéral et l’Ontario perdure. Depuis l’époque coloniale, la perception d’un favoritisme industriel envers l’Ontario a contribué à cristalliser un sentiment d’injustice dans l’imaginaire québécois. Les tensions récentes n’ont fait que ranimer cette vieille rivalité.
Pour répondre à la menace de Donald Trump, on ne parle pas de Team Canada, mais d’initiatives individuelles faites à gauche et à droite. Pensons à la catastrophique publicité lancée par Doug Ford reprenant le discours de Ronald Reagan contre les tarifs. Ce qui provoqua la colère de Donald Trump, et l’imposition de tarifs supplémentaires.
Et ce n’est pas tout. La Saskatchewan, province agricole par excellence, demande que le Canada lève les tarifs sur les véhicules électriques chinois… en échange de la levée des tarifs chinois sur le canola. Une stratégie économique logique pour elle, mais suicidaire pour l’Ontario, dont l’industrie automobile vacille déjà sous les coups de Trump.
Quand chaque province joue sa partition
Ce chaos interprovincial révèle une chose : l’absence de coordination nationale. L’Alberta souhaite exploiter au maximum ses ressources pétrolières ; le Québec préfère les énergies vertes. Certaines provinces réclament la décroissance écologique, d’autres misent sur l’extraction intensive. Loin de favoriser la complémentarité, ce découpage fédératif devient un champ de mines politiques.
On aurait pu croire que le traumatisme de la pandémie et la menace Trump imposeraient un nouveau pacte de solidarité. Il n’en est rien. Le Canada s’enfonce dans un provincialisme concurrentiel où les gouvernements cherchent moins à coopérer qu’à se surpasser — ou à se nuire.
Un géant énergétique à la dérive
Comment un pays aussi riche, aussi vaste, aussi diversifié peut-il paraître aussi impuissant ? Pourquoi le Canada, pourtant membre du G7, puissance énergétique, modèle social vanté à l’étranger, semble-t-il incapable de se gouverner harmonieusement ? Même les États-Unis, avec leur fragmentation culturelle, religieuse et politique, font mieux, parfois, en matière de coordination. Les étrangers de passage chez nous ont du mal à comprendre la cohérence de ce pays, le deuxième plus vaste au monde après la Russie.
Peut-être est-ce là le vrai nœud de l’identité canadienne : une fédération qui n’a jamais vraiment appris à fonctionner ensemble. Un pays riche de ses provinces, mais pauvre de ses visions communes.



