L’annonce du président Donald Trump voulant ordonner la reprise « immédiate » des essais nucléaires américains a provoqué une onde de scepticisme parmi les experts. Comme le rappellent Gordon Lubold et ses collègues d’NBC News, cette volonté, affichée avec emphase sur Truth Social, se heurte à la réalité logistique, diplomatique et scientifique. En clair : tester à nouveau une bombe atomique n’est ni simple, ni rapide, ni utile.
Les États-Unis ne disposent plus que d’un seul site apte à accueillir des essais : l’ancien Nevada Nuclear Test Site, près de Las Vegas, où toutes les expériences se dérouleraient sous terre. Or, réactiver ces infrastructures demanderait plusieurs centaines de millions de dollars et au moins deux années de préparation. « Il n’y a rien d’immédiat dans le domaine du nucléaire », a résumé Gregory Jaczko, ex-président de la Commission de réglementation nucléaire américaine, lors de l’émission Meet the Press.
Trump a annoncé sa directive juste avant sa rencontre avec le président chinois Xi Jinping, en Corée du Sud. Dans son message publié mercredi, il affirmait : « En raison des programmes d’essais des autres pays, j’ai ordonné au Département de la Guerre de commencer les essais de nos armes nucléaires sur une base équivalente. Ce processus commencera immédiatement. » L’ancien président cherche visiblement à afficher une posture de fermeté dans un contexte de rivalité stratégique avec Pékin et Moscou.
Mais pour les spécialistes interrogés par NBC News, cette stratégie pourrait se retourner contre Washington. D’un point de vue technique, les États-Unis n’ont plus besoin d’effectuer de véritables essais pour maintenir la fiabilité de leur arsenal. D’un point de vue géopolitique, une reprise américaine des tests offrirait une justification parfaite à la Chine pour relancer ses propres expériences, alors que son programme nucléaire reste bien moins avancé. « Parmi les grandes puissances nucléaires, la Chine serait la première bénéficiaire d’une reprise des essais », estime William Alberque, ancien directeur du centre de non-prolifération de l’OTAN.
Selon Alberque, Trump cherche peut-être à utiliser cette annonce comme levier diplomatique, pour forcer la Russie à négocier un nouvel accord de limitation des armements. Mais la démarche demeure périlleuse. Les États-Unis et la Russie possèdent déjà toutes les données nécessaires pour moderniser leurs arsenaux. « Il n’y a plus de nouvelle science à découvrir dans la conception des armes nucléaires », rappelle-t-il.
Après sa rencontre avec Xi, Trump a justifié sa décision à bord d’Air Force One : « Nous ne faisons plus de tests depuis longtemps. Mais puisque d’autres le font, je crois qu’il est approprié que nous le fassions aussi. » En réalité, la seule nation connue pour avoir testé une arme nucléaire au XXIᵉ siècle demeure la Corée du Nord, dont le dernier essai remonte à 2017.
Le secrétaire à la Défense, Pete Hegseth, a assuré que le Pentagone collaborerait avec le Département de l’Énergie pour préparer cette éventuelle reprise. Il a déclaré depuis Kuala Lumpur : « Le président a été clair : nous devons conserver une dissuasion crédible. Reprendre les essais, c’est une façon responsable d’y parvenir. » Une vision loin de faire l’unanimité parmi les experts en contrôle des armements.
Car cette initiative violerait le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE), signé par les États-Unis en 1996 avec 186 autres pays. Ce texte proscrit toute explosion nucléaire, militaire ou civile, et vise à freiner la prolifération des armes atomiques tout en évitant les conséquences sanitaires et environnementales désastreuses des essais. Daryl Kimball, directeur de l’Arms Control Association, rappelle qu’aucune preuve ne montre que la Chine ou la Russie ont recommencé à tester. « Les États-Unis maintiennent la sécurité et l’efficacité de leur arsenal sans recourir à des explosions depuis 1992 », a-t-il souligné.
En réalité, la position de Trump s’inscrit dans la logique du programme Project 2025 du Heritage Foundation, qui recommande explicitement de rejeter la ratification du TICE et de reprendre les essais « si nécessaire, en réponse aux développements adverses ».
Mais pour la majorité des spécialistes, cette rhétorique relève davantage du symbole politique que d’une stratégie réaliste. Entre le coût colossal, les délais techniques et le risque d’une nouvelle course aux armements, une reprise des essais pourrait surtout affaiblir la crédibilité internationale des États-Unis — et ranimer les fantômes de la guerre froide.



