Dans un article publié le 9 juin 2025 dans The Globe and Mail, le journaliste Tim Kiladze rapporte une mise en garde sans équivoque de Michael Sabia, actuel PDG d’Hydro-Québec et ancien dirigeant de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Intervenant lors de la conférence Intersect 2025 organisée par The Globe and Mail, Sabia a dressé un constat sévère : le Canada souffre d’un « déficit d’ambition » qui mine sa capacité à mener à bien des projets structurants. Ce manque de volonté est, selon lui, aggravé par un système réglementaire beaucoup trop complexe qui rebute les investisseurs.
Des couches de règlements « comme une pile de crêpes »
Sabia n’a pas mâché ses mots pour décrire l’environnement réglementaire canadien. Il a comparé l’empilement des règles actuelles à « une pile de crêpes », évoquant une confusion normative qui ralentit voire dissuade l’investissement privé dans les grands projets. S’il reconnaît que plusieurs de ces règlements ont été mis en place avec de bonnes intentions – notamment pour encadrer les émissions énergétiques – il estime que leur cumul est devenu contre-productif.
Le PDG d’Hydro-Québec appelle donc à un allègement des procédures d’approbation, à une rationalisation des normes, et à une révision du partenariat avec les communautés autochtones, insistant sur l’importance du contact humain et de la confiance dans le développement de ces relations.
Le besoin d’un capital de transition
Autre problème majeur soulevé par Sabia : le manque de capital de risque pour financer les premières étapes des projets d’infrastructure. Il rappelle que les grands fonds de pension comme la CDPQ ou le RPC évitent les investissements précoces en raison de leur volatilité. Il appelle à créer un mécanisme de capital-pont, assumant davantage de risques initiaux, afin d’attirer ensuite les investisseurs institutionnels une fois la rentabilité stabilisée.
Une critique implicite de la loi C-69
Sans la nommer directement, les propos de Sabia ciblent notamment la Loi sur l’évaluation d’impact (C-69), adoptée en 2019, dont les effets sont largement critiqués par plusieurs acteurs du milieu économique et énergétique. L’Institut économique de Montréal (IEDM) a notamment publié, le 16 janvier 2025, un communiqué dénonçant l’effet dissuasif de cette loi sur l’investissement dans le secteur énergétique canadien.
Selon Gabriel Giguère, analyste senior à l’IEDM, la loi C-69 élargit de manière excessive la portée des évaluations en y intégrant des critères sociaux et culturels, créant un climat d’incertitude pour les promoteurs de projets. Résultat : les investissements dans l’extraction pétrolière et gazière ont chuté de 24,4 % en dix ans au Canada, alors qu’ils ont augmenté de plus de 25 % au niveau mondial durant la même période. Le processus d’évaluation est jugé trop long, trop politisé et imprévisible. À titre d’exemple, le projet Cedar LNG est le seul à avoir été approuvé sous le nouveau régime… après 3,5 années d’attente.
L’IEDM propose un retour à un système plus souple, avec des délais fixes, la reconnaissance automatique des évaluations provinciales, et la réintroduction d’un droit au permis automatique lorsque les normes sont respectées, tel que prévu dans la loi canadienne de 2012.
Un appel à saisir le moment
Michael Sabia ne se limite pas à une critique : il appelle à l’action immédiate pour éviter un déclin économique prolongé. Il reconnaît les craintes liées au ralentissement actuel, mais insiste sur le fait que l’investissement massif et rapide dans les projets d’infrastructure est la meilleure réponse pour limiter les impacts.
« Just go forward and seize the moment », a-t-il lancé, appelant à retrouver un esprit de conquête économique.
Ce discours intervient au moment même où le gouvernement de Mark Carney tente de réformer l’approche fédérale avec le projet de loi sur « One Canadian Economy », qui vise à accélérer les projets d’intérêt national. Il promet des délais de deux ans pour l’approbation des projets majeurs, contre cinq actuellement. Si cette volonté politique est saluée, encore faudra-t-il, comme le souligne Sabia, qu’elle soit suivie d’un nettoyage réglementaire en profondeur – sans quoi les promesses resteront lettre morte.
Crédits : Article basé sur le reportage de Tim Kiladze publié dans The Globe and Mail le 9 juin 2025, avec des contributions de Steven Chase et Stephanie Levitz. Analyse complémentaire fondée sur le communiqué de presse de l’Institut économique de Montréal (IEDM) du 16 janvier 2025.